Chapitre 7

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Bientôt, la montagne devient de plus en plus effilée, comme si des lames de pierre avaient percé la forêt en contrebas. Les chevaux serpentent sur un sentier escarpé entre le vide et les arêtes rocheuses. Par moment, d’immenses oiseaux fauchent de leurs ailes la crête des pins. Une brume glaciale recouvre peu à peu le sol d’une couverture duveteuse. Dans ce paysage blanc et gris, le temps semble s’être arrêté comme dans une gravure antique. Les fougères disparaissent peu à peu des pentes sous le givre et la neige.

La nuit ne tarde pas à tomber, refroidissant encore un peu les quatre membres du convoi. Entre deux épines de roche, les voyageurs frigorifiés trouvent une étroite crevasse abritée leur permettant de monter un campement.

- On va vraiment dormir là sur ce sol gelé ?

- Tu exagères mon petit cyaniste. Avec un bon feu et un repas chaud tout ira bien. Nous ne sommes qu'à deux mille mètres d’altitude.

- Environ mille deux cent, monsieur Bord, ce col ne va pas si haut dans la montagne.

- J’ai trop la dalle pour réfléchir. On mange quoi ? J’ai rien bouf… avalé depuis ce matin.

- C’est vrai que pendant que nous déjeunions, tu dormais encore, ma pauvre enfant.

- Ne la prenez pas en pitié Sire Antoine, elle vient de terminer les biscuits de Mme Bertine. Nous n’avons plus rien des vivres qu’elle nous avait donné.

- QUOI ! Il restait que ça à graille ?

- Tu abandonnes l’idée de corriger ton vocabulaire ?

- Tais-toi crétin. Passer par la montagne rallonge notre trajet de deux jours et on n'a plus rien à manger !

- Rassurez- vous Mademoiselle, Monsieur Bord m’a demandé de ramener des vivres en plus des chevaux. Nous n’avons pas à nous soucier des repas à venir.

- Enfin, malgré tout, rien n’égale les collations de Madame Bertine et toi petit moineau tu nous en a privés.

- Oui, cette égoïste…

- Suffit Ethio. Accroche cette toile au lieu de geindre ! Et toi petit cyaniste, comme tu as bien mangé durant le trajet, va nous chercher de quoi allumer un feu. Antoni et moi allons nous occuper de nos montures et inspecter cette grotte.

- C’est toujours Antoine…

Chacun se met au travail avec peu ou très peu d’enthousiasme. Antoine s’occupe des chevaux éreintés, Marvin disparaît au fond de la crevasse et Ethio installe une tente. Enfin, il essaie en tout cas. Nime s’éloigne un peu pour ramener du bois mort coincé dans les nombreux tas de pierres qui bordent les parois. Bien vite, les fagots s’amoncèlent, provenant d’éboulements plus ou moins récents. Mais alors que Nime s'acharne sur une branche récalcitrante, le sol se dérobe brusquement sous ses pieds.

Nime atterrit au fond d’un gouffre, heureusement sans dommages. Incapable de remonter, elle est soulagée de voir pointer un visage familier au bouc flamboyant au-dessus d’elle.

- Mais que faites-vous là ?

- Je joue au bowling, ça se voit pas Ethio ?

- À votre intonation sarcastique, j'en déduis que vous vous en sortez à merveille.

- Parfaitement !

- Très bien ! Alors dans ces conditions, je vous laisse…

- QUOI ?!

La barbichette disparaît en emmenant avec elle l’espoir de la jeune fille. La malheureuse retire progressivement les pierres et les branches qui l’empêchent d’atteindre la paroi de la crevasse. Mais au bout de quelques secondes, une peluche verte et moelleuse atterrit sur son visage. Alors qu’elle la ramasse, un détail attire son attention : dans une anfractuosité, uniquement visible du fond du gouffre, un blason. Du moins ce qu’il en reste. Elle respire et se redresse prenant dans ses bras le lapin.

- Quel étrange dessin… Un ibis et un serpent rouge, j’ai déjà vu ça à Stiss. On dirait l'entrée d’une vieille mine écroulée… Mais bon c’est complètement bouché. Rah ! Ce sale petit nobliaux barbichu me traite de tous les noms depuis notre rencontre parce que je ne suis pas l’exorciste qu’il voulait voir donc maintenant il m'abandonne ?! … Enfin, Il a peut être raison, ils ont tous raison, je ne suis pas faite pour être exorciste, lapin… Théo disait que j’étais trop radine, Ethio que je ne suis pas assez noble et voilà qu’on m’embarque à Paldorion pour que j’enchaine les bourdes. Monsieur Docra, mon maître n’aurait jamais agi de la sorte… Pour commencer, il ne serait jamais tombé dans ce foutu trou et …

- MADEMOISELLE NIME, ATTRAPER LA CORDE !

- Monsieur Antoine ?

En un rien de temps Bernadette, la nouvelle mule favorite d’Antoine, la remonte à la surface. Assise par terre, les genoux écorchés, elle observe les trois autres débattre inutilement de choses et d'autres en ramassant les fagots qu’elle a déjà amassés. Ensuite, ils se retrouvent autour d’un bon feu, assis sur les confortables peluches de Nime, pour déguster des sandwichs de Taïtaï. Ethio essaye quant à lui de s'asseoir sur la lourde caisse de fer emmené depuis Stiss, Nime, le regardant du coin de l’oeil dit alors :

  • Si j'étais toi j’éviterais …

Le garçon repousse la boite un peu mal à l'aise. Puis ils se couchent sans un mot et dorment jusqu'au petit matin. Très petit matin, car à peine les premières lueurs du jour percent-elles les nuages qu’Antoine joue les Hérauts.

- Debout cher amis, nous ne devons pas tarder si nous voulons arriver à la capitale dans trois jours. Monsieur Bord, vous avez encore bu cette nuit ? Combien de fois dois-je vous dire que c’est mauvais pour vous.

S’ensuit une nouvelle dispute totalement stérile jusqu’au départ de la troupe.

- Antoiiiiiine ~ C’est looooong ~ Quand est ce qu’on arrive ?

- Nous ferons une halte dans une heure pour midi mademoiselle Nime.

- Encore une heure… Marre, on s’traine, c’est la m…

- Nime, par pitié ! Pour vous, je veux bien consentir à vous apprendre les bases de la vie en société. Cela vous permettra de ne pas faire honte à mon maître une fois arrivés chez les Trimera.

- Tais-toi Ethio…

- Ne me dites pas que vous êtes encore en colère parce que je ne vous ai pas tout de suite remontée hier ? J’étais parti quérir nos camarades. De plus, je ne vous ai pas laissé seul, je vous ai lancé votre chose verte.

- Le lapin ? J’ai l’impression qu’il préfère ton crâne à ma compagnie ! Si ça se trouve il est en crush sur toi !

- Vous êtes donc un lapin mon cher ami ?

La peluches, depuis la veille fièrement posée sur la tête de l’exorciste, n’en descend pas.

- Bien sûr que c’est un lapin. Ça s’voit, avec ses grandes oreilles et tout.

- Avec le clou qui dépasse de son visage molletonné j’ai cru que vous aviez essayé de coudre une licorne.

- Mais il a pas une tête de canasson !

- De cheval ma chère, le traiter de canasson est malpoli.

- Hein ? Arrête de r’prendre ma façon de parler ! Cheval ou canasson, ça veut dire pareil.

- Si vous permettez, je vais continuer à vous corriger. Vous devriez dire : “cela signifie la même chose” et articulez bien toutes vos syllabes s’il vous plaît.

- Mais pourquoi tu me fiche pas la paix !

- Et j’ajouterais qu’une négation se forme avec : ne et pas.

- Nan…

- Non ? Même ce mot vous est difficile à prononcer ? Le cas est plus grave que ce que je pensais. Voilà pourquoi j’ai bien fait de préparer une liste de quelques mots classés par ordre alphabétique pouvant enrichir votre vocabulaire. Le premier est donc “acariâtre”, utiliser pour parler d’une personne avec un caractère désagréable , puis “allègrement” qui signifie simplement “avec entrain”, à ne pas confondre avec (blablabla)

Ainsi se termine l’heure la plus longue de tout le voyage.

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