Chapitre 9
Les quatres compères se mettent en route, contraints d’abandonner leurs chevaux restés de l’autre côté de la toile ensorcelée. Seule Bernadette, chargée de toutes les affaires, était à l’avant du convoi avec Antoine au moment où ils ont été piégés.
- C’est très profond pour une mine non ?
- N'essayez pas de changer de sujet cette fois mademoiselle, vous avez des choses à nous dire.
- Ok… Bon, alors pour commencer, je vous ai menti sur un tout petit point quand nous nous sommes rencontrés.
- Ah ! Et que disais-je à ce moment-là ?
- Tais toi Ethio. Même si pour une fois tu avais raison… En vrai, j’ai quinze ans et non dix sept.
- QUOI ?!
- Arrêtez d’avoir l'air choqué ! Le plus bizarre c’est que vous m’ayez cru.
- Attends, un instant mon petit cyaniste… Tu as tué le démon rouge à treize ans ?
- En fait je n’étais pas seule. C’est maintenant que commence l’histoire que vous voulez sûrement connaître du coup…
Ils reprennent leur marche avec attention, bifurquant dans les boyaux humides et sombres de la grotte éclairée par le bâton d’Ethio à l’avant, et par une lanterne d’Antoine à l’arrière.
- … Voilà ce qui s’est passé :
Il y a deux ans, j’avais un maître, un exorciste chassé de sa famille, qui s'est retrouvé à travailler dans les usines de Stiss. Il s’appelait Frank Docra. Monsieur Marvin, connaissez-vous la famille Docra ?
- Non, mais si tu veux mon humble avis, et en toute honnêteté, je dirais que ce patronyme est un nom d’emprunt.
Nime fronce les sourcils toisant le dos de Marvin devant elle. Le vieil homme n’en fait aucun cas et continue de suivre Ethio dans le couloir.
- Non… Frank ne m’aurait pas menti. Bref…
Mon maître était un fervent opposant de la famille Cador. Pourtant il y a des années, c’était une famille reconnue et aimée des habitants de leur ville. Pourtant un jour, ils ont subitement changé de comportement. Frank m’a raconté qu’à cette époque, Walter, le chef de la famille Cador a commencé à mener des expériences sur ses propres membres dans le but de développer des nouvelles techniques. Bientôt ils ont abandonné leurs obligations et laissé la ville en totale perdition. Très vite, Stiss a été infestée par de nombreux fantômes au point que ses commerces et ses usines ont commencé à pericliter. Et il y a deux ans, ils ont commis une erreur fatale… Ils ont créé une chose démoniaque. Enfin j’appelle cela une erreur, mais en y réfléchissant un peu c’était peut-être volontaire. Cet énorme truc à décimé la garde de la ville et empoisonné les rivières et les puits. Il l’ont appelé le démon rouge en raison de la couleur rouille que prenait l’eau sous son influence.
Aucun Cador n’est venu au secours de la population, ils ont juste disparu. On suppose qu’ils ont tous péri quand le démon est apparu. Mon maître et moi, nous sommes allés l’affronter, mais il avait la puissance d’une dizaine de combattants. Nous avons juste pu le sceller dans un pantin que Frank avait taillé dans du sureau. Pourtant même sous cette forme, le jouet continuait à bouger. Alors que nous rentrions, ils c’est jeté sur Frank et l’a entraîné dans le cours d’eau qui traverse Stiss. Frank s'est noyé et j’ai enfermé le pantin démoniaque dans cette boîte en fer.
Trois paires d’yeux fixent aussitôt l’objet en question que Nime porte sur son dos. Et comme si elle avait également compris, Bernadette ralentit pour prendre un peu de distance. Mais la conteuse ne se retourne pas pour le voir et continue son récit.
- J’ai juste conservé le couteau qu’il m’avait offert. Mais même ça…
- Incroyable mon petit cyaniste. Voilà donc comment est née la légende du grand exorciste de Stiss. Une mascarade, c’est donc ce que tu es ?
- Quoi ?
- Sais-tu pourquoi j’ai demandé à mon cher Monsieur Artone de rapporter des vivres ? C’est parce que j’avais prévu de passer par cette route. Le droit de passage était une excuse, je n’y suis même pas assujetti.
- Monsieur Bord ?!
- Mon palefrenier et mon incapable de disciple aurait eu du mal à comprendre que je veuille tester tes compétences petit cyaniste. Un temps, j’ai caressé l’espoir que tu fasses partie d’une des familles d’exorcistes. Mais finalement tu n’es qu’une profiteuse des bas-fonds...
Le groupe entre dans une large cavité. D’immenses stalactites et stalagmites percent la grotte pleurant inlassablement leur goutte à goutte. Le vieil homme s’avance dans la salle et grimpe sur une butte de pierre. Là, il lisse sa barbe en ajustant les anneaux d’ivoire de celle-ci :
- Comme c’était prévisible, tu n’es qu’un petit moineau faible et voleur. Qui plus est, une apprentie de ce niais de Frank Cador, ou plutôt Docra un nom d’emprunt bien stupide. Je n’aurais jamais dû perdre mon temps à recruter Caroline pour quelqu’un d’aussi insignifiant que toi. Il vaut mieux mettre fin à cette mascarade ici !
CAROLINE ! TU PEUX SORTIR RIEN NE SERT DE GÂCHER NOS FORCES POUR ELLE ! Ce n’est plus nécessaire…
Une voix fluette traverse l’espace résonnant sur toutes les parois.
- Navré monsieur Bord, j’ai un tout autre plan.
L’enfant aux cheveux roux sort de l’ombre, et s’avance sur une corniche proche du plafond. En dessous d’elle, occultant une galerie, un grand drap gris est suspendu par les angles. Elle dévisage alors le groupe de plus en plus surpris par la situation.
- Je ne vais pas pouvoir accéder à votre demande. Tout comme je ne peux pas vous laisser insulter mon père, Frank Cador
- Quoi ? Mais je connais ta mère, tu es une Jouvence…
- Certes oui, mais vous ne connaissez pas mon vrai père. Je ne me suis pas brouillée avec ma famille, j’ai juste choisi celle avec qui je voulais rester. Mais avant, je dois régler leur compte à tous ceux qui ont contribué à son assassinat.
- Mais Caroline ! Je n’ai tué personne.
- Je le sais Nime, mais tu es impliquée. Je ne peux laisser partir aucun de vous. Ce serait stupide ! Sauf vous, Monsieur Antoine, si vous voulez vous en sortir, faites simplement demi-tour. Après tout, si il y a une seule personne innocente ici c’est bien vous.
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