Chapitre 10
Chacun est divisé, mais Antoine ne bouge pas d’un pouce, il lâche juste la longe de Bernadette la laissant partir.Troublé Ethio hésite et prend la parole.
- Et moi que vous ai-je fait ? Que me reprochez vous ?!
- C’est simple, toi et Marvin faites partie de ces nobles hypocrites qui ont déchu les Cador. Trêve de bavardage, vous allez mourir ici.
- Sale traîtresse ! Nous avions un marché, tu devais m’aider à déjouer l'imposture de cette fausse exorciste.
- Sache que je n’ai accepté cette mascarade que pour mieux assouvir ma vengeance ! Je suis une membre de la famille Jouvence, la cheffe de la famille Cador et pour laver l'honneur de ma famille, tous les témoins doivent disparaître. Ah ah ah !
Caroline sort un couteau à la lame finement gravée et tranche la toile. En tombant, un sceau tracé à sa surface libère une épaisse brume blanche. Immédiatement, la vapeur froide se répand et inonde la pièce grimpant le long des colonnes de pierre. De ces flots blêmes, pointent alors des bras et des visages décrépis: les esprits désincarnés des mineurs morts dans ces galeries. Marvin sort sa baguette et trace d’un geste fluide des symboles pour élever autour de lui une barrière protectrice. Nime pose sa boîte en fer et libère ses trois poupées de leurs fils rouges. L’exorciste est de retour dans son élément naturel : la chasse aux fantômes.
Le hérisson couvert de givre bondit, gelant la brume, la changeant en fines paillettes argentées dans son sillage. L’ours cyclope et le chat tricolore s’étirent, faisant craquer leurs coutures, et aspirent goulument les fantômes en avançant. Pourtant les spectres des mineurs sont innombrables et assoiffés, désireux de se repaître de l’âme des malheureux aventuriers.
Nime, solitaire dans son combat, se tourne vers ses seuls alliés, mais Antoine a disparu. Ethio a érigé, comme Marvin, une petite bulle protectrice autour de lui et contient avec peine les spectres qui l'assaillent. Son maître, de son côté, rejoint l’entrée de la galerie aux fantômes et essaie de ressouder le drap tailladé.
Les peluches se battent férocement, gelant et engloutissant la fumée comme de la barbapapa, mais cet océan est sans fin. Les fantômes se déversent en continu de la fissure et gagnent du terrain à chaque seconde. Les chances de survie du quatuor s'amenuisent face à la horde d’esprits qui redouble de fureur. Sans attendre l'issue du combat, Caroline prend le large dans une galerie sombre.
Alors que les combattants, ou plutôt les victimes de cet assaut désespèrent, Antoine réapparaît, portant sur son dos le gros sac contenant tout le matériel de Nime. Ethio, son bouc de nouveau flamboyant, court vers lui, bien à l'abri dans sa petite bulle et l’y fait entrer. Les deux compagnons parviennent à fendre le combat pour rejoindre Nime et lui remettre ce qui fait sa plus grande force : ses clous et le reste de ses poupées. Bientôt l'armée de Nime déferle dans la pièce, tandis qu’elle scelle des âmes dans de nouvelles peluches vides qui viennent aussitôt grossir ses rangs.
Ethio, le crâne couvert de sueur et le postiche à terre depuis longtemps, protège ses deux amis de sa barrière défensive. Pendant ce temps, Marvin fait honneur à son titre de grand exorciste royal et parvient à recoudre le drap et à reformer les glyphes. Mais le déferlement des fantômes l'empêche de refermer l’ouverture de la galerie avec.
Lentement, mais sûrement, la mer de fumée blanche recule sous les efforts des exorcistes, pour laisser place à une ribambelle de créatures colorées s’agitant chaotiquement d’un bout à l’autre de la mine. Mais alors que le problème semble réglé, un dernier adversaire, un esprit plus imposant, se dresse alors devant Marvin. Le vieil homme tente de renforcer sa barrière protectrice en y ajoutant de nouveaux glyphes. Mais le fantôme se rue vers lui avant qu’il ne termine son dessin.
Soudain, un chat rapiécé et un ours à l’œil unique retiennent in extremis le geste de la créature d’outre-tombe. Marvin complète son schéma et d’un geste de la main pulvérise le monstre dans un éclair violet fracassant. Le vieillard, soutenu par Ethio, grimpe alors sur un stalactite et remet le sceau en place sur la toile tendue. Essoufflé, il fait un état des lieux.
- Finalement mon petit cyaniste, tu n’es peut être pas une fraude.
- C’est que maintenant que tu t’en rends compte le vieux ? J’ai dit que Frank était là pour sceller le démon rouge, pas qu’il avait tout fait.
- C’est vrai que ses techniques de scellement mis à part, Frank était un piètre exorciste.
Tandis que les peluches courent partout pour gober les derniers spectres, le groupe se reforme. Marvin glisse la main dans sa poche et lance un petit objet à Nime emballé dans un mouchoir. La jeune fille l’ouvre et ses yeux s'illuminent aussitôt, balayant tous les reproches qu'elle avait imaginés pendant le combat.
- Mon canif ! Espèce de vieux renard !
- Je ne l’avais pas jeté. Après tout tu avais l'air d’y tenir, et…
- Ouais, enfin tu pensais plutôt le garder hein ? Sale rat !
- Je préfère ignorer cette remarque, mais…
- Elle a raison monsieur Bord, après ce que vous venez de faire, je pense que nous avons au moins le droit de vous faire part de notre désaccord.
- Tartoine ! Vous me devez respect et obéissance, je vous rappelle que je suis toujours votre supérieur.
- Je le conçois, mais Monsieur, mon nom est et restera toujours Antoine et vous feriez mieux de l'intégrer, si vous voulez garder mon respect.
Ethio s’en mêle à son tour.
- Ah ! Heu… Oui ! Vous devriez avoir honte Monsi…. vous n’êtes qu’un sale c… c… c… concombre !
- T’es pas non plus obligé de m'imiter espèce d’idiot, intervient Nime.
- Merci, je n'essaierai plus, c’était fort déplaisant.
Ils commencent tous à rassembler leurs affaires pour faire le point. Très vite, Nime s’écrie :
- Attendez, ma boîte a disparu ! Je l’avais pourtant posé ici, mais maintenant que la brume s’est retirée je ne la vois plus. Antoine aide-moi à la retrouver !
- On la cherchera plus tard, il vaut mieux qu’on rattrape Caroline. Cette psychopathe ne peut pas rester seule dans la nature.
- Tu n’as pas tort Antoine, ça fait deux ans que ma boîte est scellée, je ne pense pas que ça pose problème. Au pire, je passerai après mon recensement pour la recupérer. Le plus important pour l’instant, c’est d’aller m'innocenter. Vous trois rassembler mes peluches, je pars devant.
- Oui, tu as raison, si elle est aussi obstinée que son père, Frank Cador, alors elle nous retrouvera un jour ou l’autre pour finir le travail.
- Rattrapez là vite mademoiselle Nime ! Bernadette va vous conduire. Nous allons terminer de ranger tout ce bazar.
La jeune fille enfourche la mule et traverse les dernières galeries jusqu’à la sortie de la mine. Après tout ce temps dans la semi-obscurité de la montagne, la lumière du jour l'éblouit et l’oblige à s’arrêter. Le silence étouffant de la montagne laisse place au craillement de dizaines corneilles tournoyant au-dessus de la nouvelle arrivante. Bernadette affolée, jette sa cavalière sur l’herbe et s’éloigne au galop.
Le soleil du matin réchauffe la clairière creusée dans la forêt de pin, au centre de laquelle un grand pigeonnier étire son ombre. La tour semble en bien moins bon état de près que du haut des remparts de Taitai. Le lierre fend les pierres et le drapeau rouge orné du blason des Cador pend lamentablement ignoré par le vent. Pourtant, la centaine d'oiseaux tournant autour de celle-ci est bien moins intimidante que le lieu en lui-même. Parmi toutes les ailes noires, un éclat rouge surgit. Une enfant aux couettes éclatantes s'avance d’un pas furieux.
- Hé ! Comment tu t’en es sortie ?
- Je reste l’exorciste de Stiss, et tu devrais te douter que ce n’est pas à la chance que je dois ma réputation.
- Apparemment ! Mais ça ne lave pas pour autant ton crime. J’ai rejoint Marvin pour assouvir ma vengeance.
- Ah oui ? Et comment as tu fait pour me trouver ? Personne n’était censé savoir que j’avais quitté Stiss.
- C’est simple. Quand j’ai appris la mort de mon père, j’ai fugué de Xandria et quitté les Jouvence. Je me suis établi ici, et j'ai intercepté toutes les communications adressées à Stiss. L’une d’elle, une convocation au recensement, m’a appris qu’un mystérieux exorciste l’avait remplacé. J’ai patiemment attendu qu’ils envoient une délégation pour l’identifier. En général ça ne dure que quelques mois. Mais dans ton cas, ça a pris un an.
- Je n’ai pas tué ton père.
- MENTEUSE ! Tu étais avec lui quand il est mort.
- Peut-être, mais tu te trompes. C’est toi la seule criminelle ici !
- Au contraire ! Je rétablis la justice et l'honneur de mon père. Je n’ai fait qu’essayer de venger mon père ! Ton récit dans la grotte a failli me convaincre que tu étais son apprentie. Mais tes méthodes diffèrent trop des siennes. Tu n’utilises aucune technique de scellement. Comment ose-tu prétendre être son élève…
- Et pourtant c’est le cas, a ton avis comment crois tu que j’anime mes peluches…
- Tais toi ! Tout est de ta faute.
- Ne fais pas l’autruche ! Tu ne sais pas ce qu’il s'est passé, et je peux te prouver que j’étais son élève ! J’ai encore ma lame d'apprentie. Regarde-la !
Nime traverse d’un pas décidé la nuée de corneilles sans la quitter des yeux. Bientôt les deux jeunes filles se retrouvent face à face. Nime lui tend un canif assez petit, usé par des années d’utilisation.
- Il est en piteux état… Mais je reconnais qu’il n’y a que mon père pour faire ce genre de gravures.
- Les couteaux, c’est pas trop mon truc.
- Tu es peut-être l’élève de mon père…
- T’es super longue à la détente en fait. J’ai aucune envie de t’affronter à nouveau, alors rends toi sans résistance.
- Et qu’est ce qui me prouve que tu n'as pas récupéré un de ses couteaux en pillant son cadavre ?
- Faut pas abuser non plus.
- N'est ce pas chose courante à Stiss ?
- Mais quelle image avez-vous de ma ville ?
- Depuis que les usines de Stiss ont fermé, la ville a périclité et la plupart de ses habitants sont tombés dans la criminalité…
- Veuillez cesser de me prendre pour une délinqu… Zut, je crois que les cours d’Ethio m’ont contaminée.
Bref, tu peux choisir de venir avec nous de ton plein gré jusqu’à la capitale pour témoigner devant les Trimera que tu es la seule responsable de mon retard, ou de te faire botter les fesses maintenant.
- Je vais y réfléchir.
- Un peu plus vite s’il te plait. C’est la décapitation que je risque si j’traine trop à faire mon recensement.
- J’accepte de venir sans rechigner, mais en échange, raconte-moi comment mon père est mort.
- Ok ! Laisse-toi faire, je vais te révéler toute l’histoire pendant que je m’assure que tu ne fausse plus compagnie.
Nime, utilise alors un fil rouge pour attacher lui attacher la cheville. Pendant le récit, Caroline fixe Nime d’un œil nouveau comme si elle avait eu une révélation.
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