Chapitre 14
Devant la grille de l'académie, les trois compères arrivent à bout de souffle, sous les regards subjugués des étudiants sûrement jaloux de leur look de voyageurs n’ayant pas pris de bain depuis plus d’une semaine. Ils franchissent les grilles pour se présenter devant le secrétariat. Pendant qu’Antoine les présente, Nime prend Ethio à part.
- Etions-nous vraiment obligés de courir ? Je suis trempée, maintenant, c’est malin !
- Nous n’avions pas le choix, on est censé me donner mon autorisation dans trente minutes. Si je suis en retard, je devrai passer sept ans à l’école ! Mais tu as raison, il vaudrait mieux être un minimum présentable devant ce directeur.
- Enfile ma veste et ne bouge pas, je vais te recoiffer.
Il sort un petit flacon et l’asperge de parfum à la lavande.
- NON ! Mais c’est infecte, arrête ça tout de suite !
- Je te préviens, l’apparence compte beaucoup ici, tout comme les bonnes manières. Tu ne sais pas tenir une argumentation sans insulte, tu es hirsute et pour couronner le tout, ça fait une semaine qu’on ne s’est pas lavé.
- C’est mal barré à ce point ?
- D’après moi, tes chances de réussite sont quasiment nulles. Si seulement nous avions eu le temps de pousser ton apprentissage linguistique…
- D’autres conseils ?
- Je peux te suggérer de rester polie, courtoise et …
Un surveillant invite Nime à le suivre, ce qu'elle fait, légèrement intimidé. Alors que la jeune fille s’éloigne dans un couloir au tapis rouge bordé d’armures et de grands tableaux, Ethio lui lance :
- En fait, le plus simple, c’est que tu fasses le contraire de ce que tu ferais normalement et espérer que la chance te sourie !
Il soupire en la laissant partir et disparaître dans la pénombre. Les traits tirés par l’épuisement, il se tourne vers Antoine.
- Mais, où est donc Caroline ?
- Je crois qu’elle a croisé son frère.
- Je comprends, elle est allée revoir sa famille.
- A vrai dire je pense qu’elle les fuit.
Nime accompagne le surveillant en essayant tant bien que mal de retenir leur itinéraire. Elle abandonne l'idée au deuxième escalier identique aux précédents qu’ils montent puis redescendent avec, toujours, le même rythme monotone. L'exorciste de Stiss ne sait même plus si elle est à l’étage ou au sous-sol et l’envie de parler la démange terriblement. Elle suit son guide depuis un petit moment déjà avec le méchant pressentiment de tourner en rond. Soit ce tableau a été peint en plusieurs exemplaires, soit l’homme qui la précède la fait tourner en bourrique. Nime décide de lui fausser compagnie, à l’embranchement suivant. Elle se glisse entre les armures et court vers l’escalier qu’ils viennent de descendre et le remonte pour trouver la seule fenêtre qu’ils ont croisée depuis le début de leur marche. La jeune fille se penche au-dessus du vide d’où elle peut voir la grande horloge de la ville : treize heure cinquante !
Elle peste. Il ne lui reste plus que dix minutes. Elle réfléchit et suppose que la personne la plus importante de l'académie se trouve forcément tout en haut. Il n’y a que deux étages au-dessus d’elle, et une fenêtre ouverte par laquelle un petit oiseau bleu au ventre jaune s’échappe. Nime commence son ascension. Sans regarder le vide, elle se hisse sur le fin rebord et progresse jusqu’à une colonne sculptée qui remonte jusqu’à la fenêtre en question. Il ne lui reste plus qu'à l’escalader. En moins de cinq minutes, elle roule dans la pièce à bout de souffle. Mais quelle n’est pas sa surprise quand en entrant, elle tombe, non pas sur le directeur, mais sur le ballet brosse géant qu’ils ont quitté quelque minutes plus tôt.
- Halvor ?!
Les deux se regardent en chien de faïence pendant un court instant avant que la grande horloge ne sonne quatorze heures. La sonnerie fait sursauter Nime qui court vers la porte. Mais avant de la franchir, elle se fait attraper par le colosse. Elle se débat et l’autre pousse un soupir.
- Une seconde, de quel droit tu t'introduis chez moi, t’es une voleuse, c’est ça ?
- Mais non, j’dois aller voir le dirlo !
- C’est lui qu’tu veux voler ?
- Mais puisque je te dis que je veux voler personne ! Lâche moi, maintenant.
- Je sais que t’es pas d’ici ! On est pareils tous les deux. Ceux de l’académie sortent toujours des truc du style “Veuillez ne pas troubler l’équanimité de mon âme”.
- Mais si ! Bien sûr que je peux parler comme eux… Tiens, je connais même le mot “acariâtre” !
Sur ce, elle lui décoche un bon coup de pied et se libère.
- Quoi ? C’était une insulte ?
- En vrai je suis pas sûr, mais dans tous les cas, sois rassuré mon ami, je suis bien une vraie exorciste qui parle avec plein de mots ésotériques et de belles phrases fanfreluchiques !
- C’est bon, je te crois, mais j’te ferai pas de cadeaux.
- Ok, tu peux me dire quand même où est le directeur ?
- C’est en face, la porte noire à double battants. Et t’es pas en retard, toutes les horloges de l’école ont trois minutes d’avance.
Il la regarde alors comme si elle était une sorte de limace gluante. À bien y réfléchir, l’escalade l’a beaucoup fait transpirer, donc ce n'est pas si loin de la réalité. Nime lui rend son regard. À ses yeux, il a l’allure d’un gros sanglier mutant avec cinq paires yeux et un balai sur la tête. Malheureusement, elle ne peut s’offrir le luxe de le détailler plus que ça, car l’aiguille de l’horloge vient tout juste d'avancer d’une minute.
La presque retardataire part en courant, prend le couloir d'en face, serre son virage et arrive en face de la porte, à côté des deux battant fermés se dresse une petite horloge : treize heure cinquante neuf. Pile à temps !
Avant qu’elle ne puisse reprendre son souffle, un coucou sort de la petite horloge.
- Quatorze heures ! Quatorze heures !
Sous les cris stridents de l’oiseau mécanique, elle finit par entrer, oubliant même de frapper à la porte.
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