Chapitre 2
L’homme au chapeau, ou plutôt, l’Homme au Chapeau, lui avait tendu un mouchoir avant de remettre sa veste pour cacher son t-shirt taché. Il était descendu du train quelques minutes plus tard en disant “Madame, ce fut un plaisir !”, “Pour moi aussi !” avait-elle répondu en souriant. Il renifla l’index et le majeur qu’il avait introduit en elle quelques instant plus tôt et lui jeta un dernier regard comme pour graver la scène dans son esprit à tout jamais. Lorsqu’il fut sorti elle porta à son nez sa main souillée peu avant par le sperme d’un inconnu. Il ne sentait pas mauvais comme celui de Julien, au contraire, il sentait le plaisir, il sentait le désir. Enivré par cette odeur, elle glissa l’autre main dans sa cullote. Elle se toucha rapidement et s’emmena à l’orgasme sans perdre de temps. Son corps était un volcan resté en sommeil trop longtemps et maintenant que le feu était ravivé, il semblait que rien de pourrait l’éteindre.
L’étreinte de la fatigue qui suit souvent le plaisir lui ferma les yeux, elle rêva de l’homme au chapeau, de ses yeux gris, de son visage qu’elle avait à peine vu. Il débarquait à son travail et la sortait de sa chaise pour la baiser sur le bureau, la tête dans le clavier. Puis chez elle devant julien et sa bite molle il la saisissait par l’épaule pour la mettre à genoux et lui enfoncer son pieux dur comme la pierre dans la bouche. Les mains solidement accroché à ses épaules, il ne s’arrêtait pas de la secouer, même après que son jus se soit échappé par sa bouche entrouverte.
- Madame !
Ophélie ouvrit les yeux, elle essuya un filet de salive qui avait coulé sur son menton pendant qu’elle dormait et regarda la contrôleuse qui lui faisait face. Il s’agissait de la même que quelques instant avant. A présent que l'excitation était retombée, elle se sentait terriblement gênée d’avoir tenu un penis en sa présence quelques heures plus tôt. Fort heureusement elle ne semblait avoir rien remarqué. La femme lacha ses épaules. Il y avait des années qu’Ophélie n’avait pas dormi aussi profondément.
- Votre billet s’il vous plaît ?
- Pardon, oui tout de suite.
Elle sortit son téléphone qui s’était éteint et ne parvenait pas à se rallumer. Son irritation se transforma en gène puis en peur. Elle n’avait plus d’argent et ses parents, qui avaient accepté du bout des lèvres de l’héberger le temps qu’elle se remette en selle, avaient été clair sur le fait qu’ils ne rembourseraient aucune dette, et elle en avait déjà plusieurs. Ses derniers euros était partit dans le billet de train qu’elle était incapable de présenter car son téléphone n’avait plus de batterie. Lorsqu’elle avait quitté l’appart, julien l’avait rattrapée, par pour la retenir, pas pour l’embrasser une dernière fois ni même pour s’excuser. Il avait juste pris le câble de chargeur qui dépassait de sac en disant “C’est à moi je crois.”, sur un ton d’excuse. Il s’agissait en effet du dernier câble en état de fonctionnement qu’ils partageaient et comme il avait été dans la même boite que son téléphone le mesquin en réclamait la propriété. Celui qui n’avait jamais payé les courses, jamais payé de caution, toujours en retard sur sa part du loyer, avait bien tenu le compte des câbles. Rouge de honte elle dit :
- Désolé j’ai plus de batterie, sa voix se brisa sur la fin de phrase.
Comment avait-elle pu être aussi conne ? Elle aurait dû l’étrangler avec son câble. Des larmes se mirent à couler sur ses joues, sans qu’elle puisse les arrêter.
- Je peux voir votre téléphone ? demanda la contrôleuse de sa voix enjouée.
Ophélie, penaude, lui tendit l’appareil. Elle commença à fouiller dans sa sacoche.
- Je paierais pas plus cher si je m’assois ? dit-elle en souriant.
Après quelques minutes de farfouillement la contrôleuse sortit triomphalement un câble de la sacoche. Elle brancha le téléphone à une prise dans la cabine et Ophélie soupira de soulagement et ses larmes séchèrent. C’est à ce moment-là qu'elle remarqua l’absence de l’homme en surpoids qui avait dû descendre pendant qu’elle dormait.
- Bon ça prend toujours du temps pour charger. Vous allez où comme ça ? demanda-t-elle en souriant.
- Limoge, et vous ? demanda machinalement Ophélie avant de réaliser qu’elle ne parlait pas à un passager libre de descendre quand il veut, mais à une employée forcée d’accompagner le train jusqu’à un certain arrêt.
Elle se sentit à nouveau bien bête mais la femme qui lui faisait face éclata d’un petit rire généreux et communicatif.
- Pareil à Limoge aussi, c’est là-bas que j’habite. Vous venez visiter ?
- Non je rentre chez mes parents.
- Ho vous allez voir vos parents, c’est bien ça, ils doivent être contents.
Ophélie remarqua son accent et sourit : elle avait fait beaucoup d’effort lorsqu’elle vivait à Paris pour masquer le sien. Tout ça pourquoi ? Elle n’avait jamais réussi à se faire passer pour une vraie parisienne : pas assez sophistiquée.
- Vous êtes étudiante ?
- Non, mais j’ai fait des études de cinéma, crut-elle bon de préciser.
- Hoo, vous travaillez dans le cinéma ? Vous avez rencontré des acteurs ? Des célèbres je veux dire ?
Ophélie hocha négativement la tête, hélas comme le lui avait dit son père “Il ne suffit pas de faire une école de cinéma pour faire du cinéma, il faut un truc en plus sinon tout le monde le ferais”. Et le truc en plus Ophélie pensait que c’était le talent, mais en fait il s’agissait plutôt d’un réseau de gens déjà implantés dans l’industrie ou alors de parents producteurs.
- Vous travaillez dans quoi si c’est pas indiscret ?
- Chez Pubédia, une petite boite de publicité à Renne, enfin je travaillais, ils ont fermé boutique la semaine dernière.
Elle essaya de rallumer le téléphone et une lueur encourageante émergea de l’écran. Comme il prenait du temps à finir de s’allumer la contrôleuse qui semblait d’humeur bavarde continua de parler :
- Vous avez un fiancé ?
Ophélie surprise par la question releva la tête.
- Oui, enfin non plus maintenant, je l’ai quitté.
Brusquement la réalité de cette déclaration la frappa. C’est vrai elle l’avait quitté et elle ne comptait pas revenir. Elle ne l’avait dit à personne, ni à ses parents, ni à sa meilleure amie Sarah qui serait soulagée car elle avait toujours considéré julien comme un tocard. Il lui faudrait affronter le retour à Limoge seule, personne à qui dire que ses parents semblaient déçus par son manque total de réussite dans la vie. Personne pour la soutenir et répondre à ses messages à deux heures du mat. Personne pour comprendre qu’elle commençait un nouveau boulot et que c’était dur. Non pas que julien ait jamais fait ces choses là. Quand elle parlait, il faisait semblant de l’écouter sans lâcher son téléphone des yeux.
Finalement le téléphone vibra dans sa main la ramenant au présent elle composa son code et ouvrit l’appli avant de tendre l’appareil à la contrôleuse.
- Ha il y a un problème madame, c’est un billet pour le onze décembre, la dernière fois que j’ai vérifié on était toujours en novembre.
Ophélie sentit comme une pierre tomber dans sa poitrine, son cœur se mit à battre trop vite comme si un danger immédiat la menaçait. Elle reprit le téléphone et vérifia fébrilement les dates sur l’application et dans le message de confirmation. Tout correspondait, elle s’était bel et bien planté de mois en achetant son billet et maintenant en plus des dettes qu’elle avait contracté pendant qu’elle vivait à Renne pour payer les courses de julien, il lui faudrait payer une amende. Ses yeux se mirent à pleurer de manière absolument incontrôlable. Elle se mit à renâcler de façon pathétique.
- Madame, c’est pas grave, déclara la contrôleuse. Vous vous appelez Ophélie c’est ça ? demanda-t-elle d’une voix qui se voulait rassurante.
- Oui, répondit timidement l'intéressée derrière un rideau de pleurs.
- Ophélie c’est pas grave, répéta-t-elle.
- Si, vous vous rendez pas compte, je rate toujours tout, explosa-t-elle en sanglots.
La colère, la frustration et la tristesse se déversèrent par ses yeux et sa bouche. Elle raconta tout, les études hors de prix pour sa famille modeste ; le boulot minable qui ne suffit ni à son envie de création artistique, ni à rembourser ses parents ; parents qui la regarde échouer avec déception ; son mec nul à tout point de vue mais qu’elle a quand même gardé deux ans sur les bras ; la peur de retourner chez ses parents et de retourner bosser au supermarché comme eux ; la peur du jugement des autres qui, eux, avait sut rester à leur place et ne pas péter plus haut que leur cul. La liste de ses échecs la submergea éructant par sa bouche sans rime ni raison. Toutes ces choses qu’elle avait voulu dire sans y parvenir. Lorsqu’enfin le flot se tarit elle réalisa que la contrôleuse lui avait pris la main.
- Okay, okay, respire Ophélie ! Écoute, moi c’est Marina, je vais te dire un secret : moi aussi j’ai fait tout un tas de conneries dont je suis pas bien fière, moi aussi j’ai peur, moi aussi devant les autres je fais semblant d’avoir réussi. Les ratés on en a toutes eu un dans notre vie tu vas t’en remettre et les boulots il y en a d’autres.
Comme Ophélie continuait de pleurer à chaude larme, la contrôleuse ajouta :
- Je vais te dire un secret, j’ai jamais pris de risque dans ma vie, j’ai toujours joué la sécurité, j’ai fait ce qu’on me disait, tu es plus jeune que moi et tu as déjà habité dans trois villes différentes. Oui tu as raté des trucs, mais la plupart des gens n'essayent même pas !
Ophélie senti comme une vague de chaleur tomber sur ses épaules. Comme si on venait de l’embrasser avec douceur. Jamais personne n’avait admiré les risques qu’elle prenait, on se contentait en général de pointer du doigts ses échecs. Elle essaya de calquer sa respiration sur les mouvements de main en forme de vague que faisait Marina à hauteur de son visage. Son souffle se calma, puis son cœur et enfin ses larmes.
- Mais j’ai tellement honte de retourner chez mes parents alors que je les ai pas remboursé et que j’ai une amende en plus et … ha merde j’ai oublié de leur dire que le train va avoir du retard.
Elle sentit les larmes poindre à nouveau au bout de ses yeux.
- On se calme, on respire. Envoi leur un message, on a pas encore dépassé l’heure d'arrivée du TGV.
Le message fut vite envoyé et rapidement la réponse de son père vibra dans sa main “Ok, tu te débrouilles pour rentrer ?” Elle sentait son agacement à travers le téléphone et renvoya le laconique “oui” que son téléphone lui proposait d’envoyer automatiquement après certains messages.
- Voilà, ça c’est fait. Tu vois on se sent bien ? demanda Marina avec la voix qu’on utilise en général pour parler aux enfants capricieux et aux débiles mentaux légers.
Ophélie hocha la tête.
- Maintenant si tu veux pas habiter chez tes parents, il y a une solution simple : prend toi un petit appart à côté de ton fameux supermarché et d’ici là tu peux dormir chez moi.
Ophélie lui jeta un regard interloqué, jamais personne ne lui avait proposé quelquechose d’aussi gentil.
- Et pour mon billet ?
- C’est bon tu as payé un trajet juste pas le bon, on va pas se formaliser pour ça en plus le train va avoir un retard monstre, dit Marina avec son grand sourire.
Ophélie qui n’en croyait toujours pas ses oreilles demanda :
- Tu veux bien m’acceuillir chez toi ?
- Ben si je te le dis !
- Je vais chialer, marmonna la jeune fille.
Marina l’entoura de ses bras et la secoua :
- Aller t’as assez chialé pour l’année, je repasse par ici quand on arrive à la gare.
Elle rajusta son képi sur sa crinière blonde et s’en alla.
Ophélie envoya un message à son père pour le prévenir qu’elle ne dormait pas à la maison mais qu’elle serait à la caisse du supermarché le lendemain dès sept heures.
Lorsque le train arriva dans le paysage familier qui précédait Limoge Ophélie rassembla ses affaires. Elle fut prise d’un moment de doute lorsque tout le monde eut quitté le train, mais finalement Marina se présenta toujours souriante.
- Allez viens ma belle, tu as besoin de dormir.
Ophélie la suivit, lorsqu’elle entra dans le parking réservé aux employés elle se demanda si finalement suivre une inconnue jusqu’au fond d’un parking sombre était bien sage, mais Marina lui donnait une impression de sûreté. Elle prit place dans la voiture bien propre, un petit sapin accroché au rétroviseur central dégageait une bonne odeur de nature.
Sur le trajet, les lueurs de la ville défilant derrière la vitre l’hypnotisèrent. Elle se sentait bien pour la première fois depuis des années, elle se sentait en sécurité.
Marina vivait avec un certain Adrien, un homme un peu plus âgé qu’elle qui avait un regard aimable, la surprise passée il proposa un sandwich et une tasse de thé à la nouvelle venue qui les dégusta avec plaisir pendant que Marina installait un lit dans la chambre d’ami de leur modeste appartement.
Après quoi Adrien attira Marina dans leur chambre commune et Ophélie repensant à ses ébats de la journée s’endormit en les écoutant jouir dans la pièce d’à côté repue par leur bonheur comme s’il s’était agit du sien.

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