LE MARIAGE    suivit de :  MICHEL MONSAINT

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Les préparatifs du mariage avançaient bon train, Sélène et les deux mamans (Catherine étant la maman de substitution de Sélène) passèrent beaucoup de temps à tout organiser en dehors de leurs heures de travail. Félix et Edmond les encouragèrent avec entrain, tout en se délassant de leur harassante journée au turbin ! Néanmoins, ils s’employèrent pendant un temps à la fabrication de divers lampions et autres serpentins, travail ardu s'il en, est qui leur demanda beaucoup d’abnégation. La réception aurait lieu en extérieur, dans une guinguette du côté de Nogent. Pour faire des économies, tout le monde participa à la décoration, même Adrien, venu faire la connaissance des familles, se vit chargé de confectionner un panneau de bienvenue. Il proposa d’apporter des calicots du PCF pour décorer la piste de danse, mais cette louable intention fut rejetée à l’unanimité !

Enfin, le jour sacré du mariage arriva. C’était par une belle journée de juin, devant monsieur le maire du dix-neuvième. Sélène était éblouissante dans sa longue robe immaculée. Sous son léger voile transparent, son sourire illuminait son visage. Gaspard lui, était admirable d’élégance dans son costume trois pièces gris perle. Les amoureux échangèrent enfin leurs anneaux, sous les regards complices de leurs témoins respectifs. Ensuite, la noce se dirigea en voiture vers l’église Saint Georges de la Villette pour la célébration religieuse. Edmond accompagna Sélène jusqu’à l’autel tandis que Mireille se chargea d’y conduire son Gaspard. La scène était émouvante, les orgues jouèrent la marche nuptiale et les femmes essuyèrent élégamment leurs yeux. On n’a jamais vraiment su pourquoi les femmes pleuraient dans les églises, surtout quand on joue de l’orgue. Dans les mariages, et même aux enterrements, l’orgue, ça les bouleverse !

Après la cérémonie, dans la joie et la bonne humeur, tous les invités s’entassèrent dans les voitures qui, dans un concert de klaxons, se dirigèrent vers la guinguette de Nogent. Le traiteur avait bien fait les choses, d’immenses tables disposées en U permettaient à tout le monde de se voir, pour le vin d’honneur, on avait érigé des cascades de champagne, des petits fours, des gâteaux, rien ne manquait. Pendant que les enfants couraient dans le jardin, les adultes faisaient connaissance, une coupe à la main et le sourire engageant. La glace fut vite rompue, les convives semblaient ravis. La fête se prolongea tard le soir, il y avait un second mariage dans une autre partie de la guinguette, les deux noces fusionnèrent sur la piste de danse décorée comme pour un quatorze juillet, l’ambiance était tout à fait torride ! Tout se déroula magnifiquement, les deux mariages en se combinant, réussirent même à créer des liens. Après un rock’n roll endiablé, Pierre-Louis, le tonton de Sélène, obtint un rendez-vous avec une jeune femme absolument splendide ! Catherine, légèrement grise, affirma avoir aperçu Sélène en train de danser et de discuter à deux endroits de la piste en même temps et dans des tenues différentes… Cela fit bien rire autour d’elle, à commencer par elle-même ! Vraiment, ce fut un mariage réussi !

Pour leur nuit de noces, les parents de nos deux jeunes époux leur avaient réservé une suite dans un grand hôtel du faubourg Saint-Honoré, Le Bristol. Cet établissement était si somptueux qu’ils y passèrent deux nuits et deux jours, heureux comme des enfants égarés dans un paradis accessible.

—Nous sommes mariés, tu te rends compte Gaspard ? C’était vraiment merveilleux aujourd’hui ! Le plus beau jour de ma vie ! Une vraie journée de princesse…

—De plus, c’est drôlement romantique ici… on y passerait bien toute sa vie, répondit-il, ébloui autant par l’endroit que par sa femme.

—Une super journée de princesse avec mon petit prince ! continua Sélène en reprenant sa référence à Saint-Exupéry. Tu as entendu… Catherine m’a vue à deux endroits en même temps ! C’est incroyable… J’ai le don d’ubiscui… Machin-chose…

—Ubiquité ! corrigea Gaspard. Je crois que c’est elle qui était un peu cuitée…

—Oh ! Comment tu parles de ma tutrice ! Elle était juste un peu gaie ! s’amusa Sélène.

—En tout cas, on s’est bien marré ! Et ton oncle qui a capturé une biche entre deux jerks ! Quelle rigolade !

—Il finira peut-être pas sa vie tout seul en fin de compte… augura la jeune mariée.

—Va savoir… conclut Gaspard.

—Il y a quand même quelque chose qui me tracasse… reprit Sélène.

—Quoi donc ma chérie ?

—Bah rien… Moi aussi, j’ai dû boire une coupe de trop…

—Vas-y dis-moi ! insista le jeune homme.

—Eh bien, à un moment, j’ai ressenti quelque chose d’étrange... comme une présence invisible, j’ai eu un peu la chair de poule… c’était bizarre.

—Et puis ?

—Et puis c’est tout. Peut-être un courant d’air un peu frais.

—C’était sûrement un fantôme ! Ouh ! Ouh ! s’esclaffa Gaspard en serrant la jeune femme dans ses bras.

—De toutes façons, je ne crois pas aux spectres. répondit-elle, assez peu convaincante. Allez ! Embrasse-moi idiot !



MICHEL MONSAINT


Vint le jour du rendez-vous avec Monsaint. Gaspard s’enfonça dans le fauteuil qui commençait à lui être familier. La voix enveloppante du praticien l’emporta dans un dédale de souvenirs incertains. C’est une chose de revenir sur son passé, mais c'en est une autre de faire le tri dans les vrais et les faux souvenirs qui encombrent nos mémoires. Monsaint était assez expérimenté pour débusquer ces fameux faux souvenirs. Il avait une technique et un savoir-faire qu’il avait lentement élaborés au fil de ses années de pratique.

Michel Monsaint le mit doucement sur la voie : « Nous sommes avant l’accident, vous venez jouer de temps en temps dans le parc… généralement, personne ne vous accompagne… vos parents sont restés à la maison… » Gaspard revécut ses sorties solitaires, oh pas bien loin de sa maison, dans le quartier de la rue Lepic… il revit sa classe à l’école primaire, le cours préparatoire… le maître, un homme rigoriste, dans son éternel costume noir, il ressemblait à un croquemort… Gaspard avait très peur des croquemorts… pourquoi ?

« Je suis chez ma grand-mère paternelle, dans sa chambre… elle est allongée sur son lit. Elle est morte, c’est ce que mes parents ont dit. Je suis tout seul avec elle. Je n’ai pas encore peur de la mort. Elle semble endormie, elle a les mains croisées sur sa poitrine. C’est une vieille dame, mais elle est encore jolie. La blancheur de ses cheveux se confond avec celle de son visage, on dirait une statue de marbre immaculé. À côté de son lit, une sorte de caisse allongée est posée sur deux tréteaux… Je tire la seule chaise de la pièce près de la caisse en bois vernis et je grimpe dessus pour voir ce qu’il y a dedans. Il n’y a rien, à part du tissu rouge rembourré… qui a l’air confortable… J’ai envie de m’allonger à l’intérieur. Je me hisse sur la pointe des pieds avec difficulté et puis j’arrive à m’étendre dans cette espèce de coffre qui me fait penser à un bateau… (La respiration de Gaspard s’accélère), maintenant, il y a du bruit dans le couloir, des gens entrent dans la chambre… je ne bouge pas, je sais que j’ai fait une bêtise… et puis quelqu’un met un couvercle pour fermer la boîte, il fait complétement noir, j’essaie de sortir, mais je suis coincé ! Je crie et tape du poing sur le bois… la boîte ne s’ouvre pas… je reste là-dedans, je ne sais pas combien de temps, j’ai la tête qui bourdonne… terrifié, je finis par pousser un hurlement assez puissant pour réveiller ma grand-mère ! Alors le couvercle s’ouvre… Au-dessus de moi, se penchent quatre têtes hideuses, ce sont les employés des pompes funèbres, ils m’extirpent de ma prison en riant bruyamment et me propulsent dans le couloir en se moquant de moi… Je cours me cacher dans la cave... la cave, c’est un endroit rassurant que je connais bien. J’y passe beaucoup de temps… je joue avec des vieux objets du temps de mon grand-père… je ne l’ai pas connu… »

On m’avait cherché pas mal de temps avant que je ne remonte à la surface, les croquemorts se bidonnaient encore du tour qu’ils m’avaient joué. « Ah ben le gamin, il est parti comme un rat se cacher dans la cave… avec les rats ! » Après, ils ont mis la grand-mère dans son cercueil... les quatre imbéciles l’ont chargée dans le corbillard. Avec mes parents et quelques voisins, on avait suivi la carriole jusqu’au cimetière sans passer par l’église… elle n’était pas croyante… j’ai failli m’évanouir quand les croquemorts ont descendu le cercueil dans le caveau de famille. J’ai voulu sauter dans le sépulcre, on m’a retenu par le col… je voyais tout malgré mon jeune âge… et j’entendais tout, le raclement de la dalle de ciment… le bruit de la caisse qui cognait dans les parois du caveau… Je n'oublierai jamais les quatre croquemorts et leurs têtes d’abrutis. »

Gaspard avait complétement refoulé cet épisode du cercueil lors du décès de sa grand-mère. Cette dernière régression sous hypnose l’éclairait daventage, il commençait à comprendre les emboîtements des divers épisodes de ses tribulations psychiques. La relation entre son attirance pour les caves et les souterrains, son obsession pour les puits, jusqu’au choix de son métier d’égoutier… Sa peur des croquemorts… Tout devenait évident pour lui. Gaspard était psychotique, il allait bien falloir qu’il l’admette. Le docteur Monsaint posa son diagnostic définitif : « Je ne vous dis pas que vous êtes guéri M. Lechat, il vous faudra vivre avec votre psychose le reste de votre vie, vous formez un couple inséparable. Vous devriez vous faire aider par un psychiatre, si vous vous sentez trop mal. Il existe de bons traitements ». Monsaint se fit payer et raccompagna Gaspard à la porte de son cabinet.

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