REGROUPEMENT FAMILIAL

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À l’entrée principale de la communauté des souterrains, se trouvait un large couloir donnant dans une salle, attenante au grand hall. Ce n’était pas la salle des pas perdus de Saint Lazare, mais l’endroit était suffisamment vaste pour accueillir les diverses manifestations, les fêtes et réunions sportives de la société des sous-sols. En temps ordinaire, des petits groupes se réunissaient pour bavarder ou pour chanter en jouant de la guitare, assis confortablement sur les mousses.

C’était surtout un lieu de rendez-vous, de rencontre et d’échange pour les habitants. Gaspard et Luna y passaient beaucoup de temps, en soirée avec quelques complices. C’est dans cette grotte qu’ils se rendirent pour solliciter l’aide de leurs amis. Il leur fallait réunir une douzaine de volontaires afin d’organiser une battue pour mettre la main sur les deux néo-souterrains. Adrien et Sélène devaient encore errer dans le labyrinthe des carrières. Marcel avait pris la tête d’un groupe de cinq personnes, secondé efficacement par Luna qui connaissait parfaitement les galeries. Gaspard avait rejoint un second groupe pour explorer une autre direction. Les deux pelotons restaient en contact grâce à leurs talkies-walkies.

— Papa ? Tu crois qu’on va les trouver ? Ils sont descendus immédiatement après l’incendie ?

— Oui Luna, je pense qu’ils ont suivi le même chemin que tous les surfaces quand ils ont fini leur vie là-haut. Ils sont descendus à la verticale de l’endroit où…

— J’ai eu trop de chagrin… Quand leur maison a brûlé. J’avais retrouvé ma sœur et puis…

— Ne t’en fais pas ma chérie, on va bientôt être enfin réunis. Ils ont péri dans l’incendie, mais ce n’était qu’un passage d’un monde vers un autre. — Marcel avait passé son bras autour du cou de Luna — Tu vas revoir ta sœur comme tu as retrouvé Gaspard… Intacte et rajeunie !

Comme pour conjurer le mauvais sort, le père et la fille n’osèrent pas évoquer le danger pour Sélène et son mari, de se retrouver au milieu de la colonie de proscrits qui s’était établie non loin de leur quartier. Il s’agissait de souterrains rejetés par l’ensemble des communautés. Des dissidents, soumis au dictat de leur secrétaire général, Jean-Claude Méchulon.

Les deux groupes arpentaient en vain les galeries depuis des heures, quand ils se rejoignirent devant l’entrée d’un étroit tunnel plongé dans le noir. Sur le calcaire sombre des parois du boyau, leurs faisceaux révélèrent des slogans d’un autre âge : lève-toi camarade ! Ou À mort les fascistes ! La propriété, c’est le vol ! Des graffitis peints à la bombe, à moitié effacés par le temps. Apparemment, ils approchaient du repaire des partisans de JC Méchulon.

— Éteignez vos faisceaux ! Plus un bruit ! recommanda Marcel. On va tenter de s’infiltrer chez eux…

Après dix minutes de marche, nos explorateurs se retrouvèrent devant une excavation fermée par une épaisse grille métallique. Un cadenas rouillé en interdisait l’entrée. Le commando ne se laissa pas impressionner et passa à travers les barreaux sans la moindre difficulté. Au fond de la grotte, des piles de caisses en bois étaient entreposées. Que contenaient-elles ? Quelqu’un dans le groupe proposa :

— Regardons ce qu’il y a dedans, on sait jamais… Ça peut nous être utile !

Sans qu’il ne fût nécessaire de les forcer, les caisses livrèrent leur contenu. Des fusils et des pistolets-mitrailleurs rouillés, datant certainement de la Seconde Guerre mondiale ou du conseil national de la résistance. De vieilles grenades dont les goupilles corrodées étaient sur le point de céder… Il y avait aussi, des panoplies du parfait communiste : drapeaux et chemises rouges moisies, casquettes assorties complétement mitées. Prudent Gaspard, qui avait connu les horreurs de la guerre, ordonna à voix basse :

— Ne touchez à rien, ça peut exploser au moindre choc ! Fichons le camp !

La petite troupe réunifiée se remit en marche en se tenant sur ses gardes. Les volontaires qui la composaient ignoraient qui ils pouvaient rencontrer, ce pouvait être des individus vindicatifs, voire violents. Le commando n’était pas vraiment en territoire ami, mais il progressait vite ; au loin, dans l’obscurité du souterrain, ils commencèrent à distinguer une lueur tremblotante. En approchant, ils réalisèrent qu’il s’agissait de lanternes éclairant une entrée creusée dans la roche. Il y avait une porte de bois qu’ils poussèrent. Derrière cette porte, nos amis découvrirent une salle, longue et haute comme une cathédrale.

Dans cette salle, des milliers de chaises étaient parfaitement alignées. Chaque chaise était occupée… Homme, femme, enfant… Tous portaient un uniforme et une casquette rouge vif. Pas un espace inoccupé n’apparaissait. Au fond de la salle, une estrade surplombait un public immobile et silencieux. L’auditoire écoutait religieusement le discours enflammé d’un orateur debout, cramponné à sa tribune. A sa verve, on reconnut illico JC Méchulon.

— « Camarades ! Nous allons conclure maintenant, cette réunion du comité central en vous présentant nos nouveaux membres ! Au nombre de trois, ils nous sont arrivés, tout récemment. Après un violent incendie, ils sont descendus pour grossir les rangs de nos fidèles militants ! Veuillez accueillir les camarades Sélène Leriche et son mari Adrien Leriche ainsi que le camarade Bernard-Marie Vesly ! »

— Qu’est-ce que ça veut dire ? Demanda Luna. Ils ont déjà été embrigadés ? Qu’est-ce qu’il vient faire là, Bernard-Marie Vesly ?

— Il devait être avec eux dans l’incendie… rétorqua Marcel, il va falloir qu’on les récupère le plus vite possible… Je reste avec Gaspard ! Puis s’adressant aux autres volontaires : les amis, vous pouvez rentrer, merci infiniment pour votre aide, on se revoit pour le débriefing !

— Et moi ? Interrogea Luna, Je peux pas rester avec vous ? Je peux être utile…

Marcel se tourna vers Gaspard. Ce dernier prit la main de la jeune femme.

— On reste ensemble !

Nos trois amis retournèrent dans la grotte où moisissaient les caisses de bois et se saisirent des chemises rouges les moins abîmées. Même si elles sentaient le renfermé, ces liquettes leur permettraient de se fondre dans le public de l’assemblée. C’est exactement ce qu’ils firent, ainsi, ils purent enfin approcher Sélène et Adrien sans être inquiétés. Immédiatement, Luna interpella sa sœur :

— Sélène ! Enfin ! Vous voilà ! Vous n’êtes pas tombés au bon endroit ! On vous cherchait…

Sélène tomba en larmes dans les bras de sa jumelle.

— Comme tu es belle Luna ! On dirait que tu as vingt ans…

— J’ai toujours vingt ans ! Je vais te montrer comment on fait pour rajeunir.

Pendant que les jumelles s’embrassaient et discutaient beauté, Gaspard et Adrien étaient tombés dans les bras l’un de l’autre.

— Alors mon vieux Gaspard ! Je vois que tu es en pleine forme ! Tu fais plaisir à voir ! Ce n’est pas trop difficile de vivre là-dessous ?

— Non, c’est même mieux que là-haut. On a moins chaud… Répliqua Gaspard.

— Il n’y a pas de soleil, chez vous.

— C’est pas plus mal, et puis d’ailleurs, on n’en a pas besoin.

Intervention de Marcel qui ne voulait pas être en reste des retrouvailles :

— Alors ma chérie ! On n’embrasse pas son père ?

— Oh papa ! Jamais je n’aurais espéré te revoir un jour ! Regarde ! je viens de perdre soixante ans d’un seul coup !

— Comme tu m’as manqué Sélène ! Tu es vraiment superbe !

— Toi aussi, tu es beau papa ! Et tu es si jeune aussi ! Quel bonheur de te revoir…

— Il ne faut pas qu’on reste là trop longtemps, nous ne sommes pas chez nous, Souffla Marcel, on vous racontera tout ça plus tard.

Adrien, subjugué par l’ambiance des lieux, fit remarquer :

— Je les trouve vraiment sympas et accueillants tous ces gens… De vrais camarades… On se sent vraiment chez soi ici.

— Dis donc Adrien… Tu comptes garder ton apparence de vieux prophète combien de temps encore ? Questionna Sélène.

— Ben, je suis bien comme ça, regardez, ils m’ont donné un uniforme tout neuf ! Eh ! On ne vous a pas encore présenté notre ami Bernard-Marie ! Il est arrivé avec nous…

— Comment il a fait pour se retrouver là ? Interrogea Luna.

— Ben, il était venu nous présenter son livre, celui qui a permis à Marcel de quitter la dimension-oubli, expliqua Adrien, on a passé la journée ensemble et comme il était tard, on lui a proposé de dormir dans la chambre d’amis. Vous connaissez sûrement la suite, comme nous, il a été victime des flammes…

— En tous cas, vous ne pouviez pas mieux tomber ! S’esclaffa Sélène. Vous devez vous sentir aussi à l’aise qu’Adrien, au milieu de tous ces cocos !

— Il me semble qu’ils ont certaines bonnes idées. Répliqua BMV. Il faudrait s’en inspirer pour développer un capitalisme de masse. Moi aussi, je pourrais rajeunir ? Je me verrais bien avec soixante ans de moins !

—En tous cas, moi je reste pas là, avertit Gaspard, qui rentre avec moi ?

Sélène, Luna et Marcel lui emboîtèrent le pas, Adrien et BMV ne semblaient pas décidés à quitter l’univers communiste.

— Je vais rester ici, répondit BMV, je pense être en mesure de leur apporter des idées pour moderniser leur société. On se reverra sûrement un de ces jours !

— Euh… Je vous suis, déclara Adrien sur un ton hésitant, il y a peut-être des choses à améliorer chez vous…

— Tu as intérêt Adrien ! Intima Sélène. Et tu vas me faire le plaisir de changer d’aspect !

La petite bande prit congé de Bernard-Marie et s’enfonça silencieusement dans l’obscurité des galeries.

— Je n’ai même pas pensé à demander un autographe à Jean-Claude Méchulon ! regretta Adrien.


A suivre.

***

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