Chapitre 1

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Ashby 1853

Il arrêta Sultan, son étalon noir, à quelques mètres de sa demeure.

Le château d'Ashby apparaissait à l'horizon, imposant. Ses deux tours s'élevaient et semblaient chatouiller le ciel bleu de ses deux drapeaux. L'un représentait les armoiries du Marquis de Northampton et l'autre le drapeau du Royaume-Uni, signalant l'allégeance du maître des lieux à la couronne.

Ashton frissonna. Deux ans que son père était mort et il ne réalisait toujours pas être le maître de ce domaine, possesseur du titre. Ces deux dernières années, il avait préféré noyer son chagrin et sa peur dans un tour d'Europe, laissant l'intendance de son héritage à sa chère belle-mère. Vanessa qui l'avait accueilli comme un fils alors qu'il avait tant besoin d'une mère. Il ne la remercierait jamais assez de tout ce qu'elle avait fait pour lui par le passé et aujourd'hui encore. Cette responsabilité, elle n'aurait pas dû l'assumer. Mais il était là pour reprendre sa place.

Alors qu'il approchait, il aperçut Beckie et Bastien qui s'évertuaient à faire flotter un cerf-volant. Un sourire se forma sur ses lèvres, il n'y avait pas un brin de vent. Un peu plus loin, Mathilda dessinait sagement. Le tableau de ses frères et soeurs sur la pelouse du domaine d'Ashby épanchait son angoisse. Quand Mathilda, se rendant compte de sa présence, fixa ses yeux bleus sur lui, elle stoppa son crayon. Elle se leva, ramassa ses jupes et courut à sa rencontre, suivie de ses frères et sœurs, en criant :

- Ash !

Il stoppa net l'imposant étalon et en sauta avec l'agilité d'un félin. Il attrapa Mathilda dans sa course et la fit tournoyer sans effort. Elle riait à pleine gorge en tentant de retenir son chapeau de paille qui glissait de sa tête. Tout en la gardant contre lui, il serra Beckie de son autre bras libre. Bastien attendait, patient, que ses sœurs lui laisse un peu de place.

- Tu es presque un homme maintenant, lui dit-il en regardant le beau jeune homme qu'était devenu Bastien.

Il avait juste quatorze ans, mais en paraissait seize. Bastien rougit du compliment et se dodelina sur ses pieds. D'ailleurs, ils avaient tous les trois bien grandit pendant ses deux ans d'absence.

- Ash, je suis si heureuse que tu sois de retour. dit Mathilda en reprenant sa position sur la terre ferme.

- Et moi donc ! Vous m'avez manqué petits garnements.

- Sans vouloir être désobligeante, je ne suis plus une petite fille.

Ashton observa la jeune fille qui lui faisait face. Elle avait grandi et était tout en courbe féminine. Oui, sa petite sœur était devenue une femme, elle ressemblait à sa mère avec ses boucles blondes et ses grands yeux bleus tout comme Bastien. Leur blondeur avait toujours contrasté avec sa tignasse brune, seul indice qui pouvait indiquer que leur parentalité n'était pas totale. Beckie, qui avait quinze ans, se rapprochait plus de leur père avec ses cheveux châtains et ses yeux noisette. Il sourit à Mathilda. Il se prévoyait des heures de surveillance, à n'en pas douter, interminables et angoissantes.

- Effectivement, tu as grandi et es presque une femme maintenant.

Elle fit la moue.

- Comment ça presque !

Il rit de bon cœur, heureux de retrouver les taquineries fraternelles. Sa famille était son ancrage, son havre de paix. Bras dessus, bras dessous, avec ses sœurs, ils se dirigèrent vers la grande porte d'Ashby. L'arrivée d'Ashton s'était répandue comme une traînée de poudre et les domestiques s'était réunis en file le long de l'escalier. Ils courbaient l'échine dès lors que le Marquis de Northampton passait à leur hauteur. Ashton Compton eut un signe, une parole pour chacun. Ils les connaissaient presque tous depuis sa plus tendre enfance. Ce genre de déférence le mettait mal à l'aise, mais il devait s'y habituer.

Vanessa, la Marquise en titre, la veuve de son père, l'attendait dans l'embrasure de la porte, un grand sourire aux lèvres. Arrivé à sa hauteur, elle plongea dans une profonde révérence. Il la releva, lui tendant la main et baisa ses doigts gantés. Une fois la Marquise debout, elle lui offrit sa joue qu'il embrassa sans autre cérémonie.

- Maman, tout ce formalisme n'était pas nécessaire.

Elle lui sourit avec tendresse.

- Il me semble au contraire qu'il l'était. Après tout, vous êtes maintenant sa seigneurie le Marquis de Northampton.

La formalisation dans sa bouche rendait le fait réel, inéluctable. Un voile d'angoisse passa dans les yeux d'Ashton. La lourde responsabilité du marquisat semblait déjà l'écraser. Il savait qu'il ne pouvait y échapper. Deux ans à sillonner les routes d'Europe, à s'enivrer des meilleurs vins, à se perdre dans les bras de jolies filles, tout ça constituait une distraction temporaire. Il devait à son père d'affronter ses devoirs, il le décidait aujourd'hui. Il rejoignait le foyer pour s'occuper des affaires de la famille, prendre soin de l'avenir des siens et reprendre la place qui lui revenait à la chambre des Lords. Ainsi, Vanessa se déchargerait de toute obligation. Le choix d'une épouse, qui lui donnerait l'héritier nécessaire à la prolongation de la lignée, préoccupait aussi son esprit. Tout à ses pensées, ils se dirigèrent dans le grand salon vert où Vanessa lui servit une collation.

- Vos appartements sont prêts. Vos affaires ont été montées dans la chambre de votre père. La vôtre maintenant.

Il ne répondit pas, s'attardant à regarder par la fenêtre l'étendu du domaine.

- Je suis heureuse que vous soyez rentré Ashton.

Il se tourna vers elle, un sourire mélancolique sur son visage.

- Il était temps. J'ai trop tardé.

- Vous avez pris le temps qu'il vous fallait.

La voix de Vanessa se teinta de tristesse. Les habits noirs qu'elle portait, montraient qu'elle vivait toujours le deuil de son mari au temps présent. Ashton, lui, avait enfin trouvé la force d'avancer.

- Maman...

Ce n'était pas habituel, mais Vanessa l'avait laissé l'appeler ainsi. La première fois, des larmes avaient perlé de ses yeux face à ce petit garçon craintif qui mettait tant d'espoir en elle. Et de toute façon, elle préférait maman à "Mère". Ses propres enfants avaient imité Ashton pour son plus grand plaisir.

Elle leva la main pour l'empêcher de continuer.

- Je sais la lourde tâche qui vous attend Ashton. Je veux que vous sachiez que je serais toujours à vos côtés pour vous épauler.

Sa culpabilité refit surface. Il n'avait pas été là pour les soutenir dans leur deuil. Le sien s'avéra égoïste. Il ne se montra pas inquiet de la tristesse de ses frères et sœurs, encore moins de celle de Vanessa. Son chagrin l'accablait trop lourdement.

- Comme toujours maman, de ça, je n'ai jamais douté. Mais je dois prendre mes responsabilités et l'une d'elles est de produire l'héritier du marquisat. Je suis enfin prêt.

Elle le regarda avec ce mélange de douceur et de désapprobation dont elle seule possédait la maîtrise.

- Rien ne presse.

- Non, mais j'aurais bientôt 27 ans...

Un rire discret s'échappa de la gorge de Vanessa.

- Un âge fort avancé.

- Ne vous moquez pas maman. Le sujet est sérieux et je me dois de trouver la plus parfaite des marquises.

- Oh, la perfection !

- Sophie Sinclair était la préférence de père ?

La question laissa Vanessa pensive. Les Sinclair étaient des amis de longue date. Son mari pouvait avoir nourri l'espoir d'unir son fils à la fille aînée de la maison Sinclair, mais en réalité, ils ne discutaient jamais du mariage d'Ashton. Feu le Marquis de Northampton savait d'expérience ce qu'une union arrangée pouvait avoir de conséquence et elle nourrissait la certitude qu'il ne souhaitait pas une alliance sans amour pour son fils. Sophie Sinclair était très jolie cependant et il paraissait possible que les jeunes gens se plaisent. Ils ne s'étaient pas revus depuis des années. Elle espérait qu'Ashton ne prendrait pas comme un signal l'invitation des Sinclair au repas de bienvenue organisé le lendemain.

Le repas en question était plutôt intime. Les Sinclair et Philippe Tremaine le meilleur ami d'Ashton qui l'avait suivi dans son périple Européen, assistaient au dîner. Mathilda pour la première fois avait eu la permission de participer au souper des adultes et elle en était toute excitée. Réunis dans la salle à manger, Lord Sinclair accaparait déjà Ashton. Il avait l'espoir d'élever sa fille au rang de marquise. Sophie Sinclair illustrait le pur joyau anglais, blonde aux yeux bleus, le teint laiteux. Ashton la trouva jolie mais vaniteuse. Elle entretenait un certain snobisme et des manières hautaines qui enlevaient son charme premier. Sa conversation semblait s'arrêter à elle et aux médisances. Ashton se promit de se forcer à connaître la personnalité qui devait bien se cacher sous cette façade peu engageante. La jeune fille possédait le profil parfait d'une future marquise et son père Lord Sinclair le Vicomte de Woodville disposait d'un réseau intéressant à la chambre des Lords qui pourrait lui être utile. Après tout, n'était-ce pas l'objectif des mariages de leur classe, une simple histoire d'affaire, de réseau et d'argent ?

Philippe s'approcha de la cheminée où Ashton semblait plongé dans ses pensées.

- La fille Sinclair est une superbe femme.

- C'est vrai.

- Dommage que son caractère le soit un peu moins. Elle ferait une belle marquise.

- Donnons-lui un peu de temps. Il est difficile de juger d'une personne en quelques heures.

- Si tu le dis.

Il tapota l'épaule d'Ashton qui tourna la tête vers la demoiselle en grande conversation avec Vanessa et son frère, Elliot Sinclair. Oui, tout aurait été plus simple si la jeune fille avait été moins insipide.

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