Chapitre 3

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La fête de l'été se déroulait tous les derniers lundis d'août. À cette occasion, Yardley Hasting se parait de couleurs vives. Le vicaire de St Andrews Church invita bien évidemment Ashton Marquis de Northampton à se joindre aux festivités. Il répondit à l'invitation et arriva en compagnie de Philippe Tremaine, Sophie et Elliot Sinclair, lui même accompagné de l'un de ses amis Adrian Pelham fils du Baron Laughton et de sa soeur Virginia. Ashton connaissait Pelham de l'époque d'Oxford et n'aimait pas beaucoup le personnage. S'installant à une table, ils se tournèrent vers les villageois qui tourbillonnaient sur un quadrille. Parmi les danseurs, Ashton repéra une chevelure rousse qui apparaissait et disparaissait au gré des pas de danses. Il étira le cou. Il avait scruté les alentours tout l'été dans le fol espoir de revoir la belle apparition de la rivière, sans succès. Il en était venu à penser qu'il avait bel et bien imaginé la jeune-femme que personne ne semblait connaître. Et voilà qu'elle se trouvait là, ses cheveux ondulant au rythme de la musique et s'allumant de reflets d'automne à la lueur des flambeaux. Elle tenait un petit garçon dans ses bras avec qui elle tournoyait. Il ne la lâcha pas du regard. L'enfant, était-il le sien ? Et chose non-coutumière, il en conçut une drôle de jalousie.

La jeune femme quitta la piste de danse. Tel un automate, Ashton se leva et la suivit. Se plaçant dans son dos, il murmura à son oreille :

- Enfin vous voilà, je désespérais de ne jamais vous retrouver.

Elle se retourna, reposant l'enfant sur le sol, mais gardant sa main dans la sienne. Dans la pénombre, il ne distinguait toujours pas la couleur de ses iris. Elle le regarda avec une certaine intensité qui le mit mal à l'aise. Elle lui répondit sèchement et sur un ton de reproche :

- Je ne crois pas que nous ayons été présenté.

Il sourit à sa remarque.

- Chose qui peut être arrangée. Ashton Compton. dit-il en s'inclinant.

Son nom ne semblait pas lui être familier. Du moins n'en fit-elle aucun cas. L'enfant se mit à pleurer réclamant sa mère. Il n'était donc pas à elle. Cela ravit Ashton. Il ne courrait jamais les femmes mariées. Elle tapota sur la tête du bambin.

- Oui, mon petit chat, allons trouver ta maman.

Elle se retourna sans un regard pour Ashton qui resta là déconcerté. Et elle s'écartait sans lui avoir donné son nom. Son regard la suivit jusqu'à ce qu'elle disparaisse derrière les danseurs.

Il retourna à sa table et ne put s'empêcher de questionner ses compagnons pour savoir s'ils connaissaient la fille rousse qu'il leur désigna.

- Une insignifiante petite orpheline, répondit Virginia, récupérée par Lady Standford. Une originale qui aime s'entourer de saltimbanques.

Ashton se rappelait de la Vicomtesse Wimbourne. Une femme des plus sympathique dans son souvenir, mais un brin excentrique. Elle côtoyait nombre d'artistes et charlatans en tout genre. Vanessa l'avait quelques fois invité à Ashby. Pour autant, elle n'avait jamais été accompagnée.

- M'inviterez-vous à danser Lord Compton ? demanda Sophie.

C'était bien la dernière chose dont il avait envie. Même s'il se jugea grossier, il ne put s'empêcher de répondre.

- Certainement Lady Sophie, mais pour cela, il faudra attendre Londres et ses bals.

Philippe retint un rire dans son poing. Sophie le fusilla d'un air sévère lui intimant de se taire pour qu'aucune remarque désobligeante ne sorte de sa bouche.

Gabrielle rentra tard ce soir-là chez sa tante, Lady Standford, accompagnée de Henri le cocher et de Lizzie sa femme de chambre. Une fois au lit, elle se remémora la soirée. L'homme qui l'avait abordé, la troublait plus qu'elle ne se l'avouait. Elle se rappelait qui il était. Leurs routes s'étaient déjà croisées par le passé, il y avait bien longtemps. Elle ne l'avait pas oublié, ce qui ne semblait pas être son cas. Elle s'endormit en pensant à Ashton Compton comme tant d'autres nuits.

Le lendemain matin, au petit-déjeuner alors qu'elle se servait des œufs brouillés, sa tante entra dans la salle à manger.

- T'es-tu bien amusée ? lui demanda-t-elle.

- Oui. Voulez-vous des œufs Monsieur Lafontaine ?

Monsieur Lafontaine était l'un de ceux que la bonne société appelait charlatan et qui était accueillit par la Vicomtesse. L'homme en question, en guise de charlatan appartenait au courant mesmérien qui pensait que le magnétisme contenu en chacun facilitait les guérissons. Ces démonstrations, sensationnelles, étaient célèbres. Il avait même écrit un livre sur le sujet. La Vicomtesse le connaissait de sa jeunesse française, comme l'un des disciples du marquis de Puysegur, une relation de ses parents.

- Êtes-vous allé voir Madame Lewis comme je vous l'avais demandé ? questionna-t-il Gabrielle

- Oui, elle a accepté que je l'aide.

Le vieil homme acquiesça d'un signe de tête, mais n'eut pas le temps de prononcer un mot qu'Emma, qui séjournait chez eux pour l'été, entra en trombe dans la salle à manger.

- Je meurs de faim.

Tel un tourbillon, elle se servit et vint s'asseoir entre Gabrielle et la Vicomtesse. Emma Hardinge était une actrice renommée de Londres. Elle avait rencontré Catherine Standford à l'Orphic Circle où elle exerçait ses dons de médium. Aujourd'hui était un bon jour ce qui n'était pas toujours le cas. Elle vivait souvent en proie à des accès de mélancolie qu'elle noyait dans le vin.

Emma tout comme Lafontaine encourageait Gabrielle à travailler sur ses prédispositions de guérisseuse. C'est d'abord elle qui le décela et Lafontaine l'aida en lui montrant les techniques élémentaires que Gabrielle développa ensuite de son côté. Malgré son utilité, cette discipline restait une pratique jugée de l'ordre de la sorcellerie ou du charlatanisme et Gabrielle n'en parlait presque jamais. Elle assistait parfois des villageois, mais dans la plus complète discrétion.

- Alors Charlie, vous êtes-vous décidé ? demanda Emma à Lafontaine. Partirez-vous avec moi pour Londres ou retournerez-vous à Genève ?

- Non, je ne me suis pas encore décidé ma chère.

Emma engloutit son assiette en moins de cinq minutes. Une gloutonnerie qui venait de son enfance qu'elle avait traversée affamée. Elle se leva et se mit au piano jouant un air de Polka entraînant. Gabrielle et la Vicomtesse se mirent debout à leur tour et sautillèrent sur le rythme endiablé. Gabrielle entreprit de faire tournoyer Lafontaine et Robin le valet. À vingt ans, elle croquait la vie à pleines dents et adorait danser. Leurs rires furent stoppés par Henry qui les interrompit en se raclant la gorge.

- Madame, une lettre de France vient d'arriver.

La Vicomtesse lança un regard d'excuse à Gabrielle et suivit Henry qui lui donna la lettre dans son cabinet de travail. Elle porta les yeux sur la missive aux armoiries de son frère, le Duc de Laval avec surprise. Depuis combien de temps n'avait-elle pas reçu de ses nouvelles ?

La lettre n'était pas de lui, mais de sa belle-sœur. Son frère était mort.

La Duchesse se pliait aux dernières volontés de son mari qui voulait laver son âme de la culpabilité qu'il avait en pensant à Gabrielle, sa fille, qu'il avait injustement puni d'un mariage qu'il lui répugnait. Il espérait que l'héritage qu'il lui laissait et dont elle pourrait disposer à son vingt-et-unième anniversaire suffirait à absoudre ses péchés et à être accueilli auprès du Tout Puissant. Ainsi, il cédait à Gabrielle les terres écossaises, patrimoine de sa mère ainsi qu'une somme d'argent colossale qui devrait lui permettre de trouver un mari digne de la fille d'un Duc. Sa belle-sœur, quant à elle, lui signifiait qu'elle ne souhaitait aucune relation avec sa belle-fille. Il en avait toujours été ainsi et les choses devaient rester en l'état pour le bien de ses enfants à elle. L'odieuse femme, pensa la Vicomtesse.

Son frère était mort, elle s'assit sur le fauteuil qui jouxtait son secrétaire. Son frère était mort. Les mots peinaient à se frayer un chemin jusqu'à sa raison. Elle aurait aimé le revoir. Quelques larmes perlèrent sur ses joues. Elle les essuya de son mouchoir. Son frère, celui-là même qui un matin lui déposa un nourrisson dans les bras, prétextant qu'il ne voulait plus en entendre parler, ni même la reconnaître comme son enfant légitime. Ce qu'elle était. Il exécrait s'être marié en dessous de sa condition. Pour lui, c'était un signe de Dieu si la mère n'avait pas survécu.

Et voilà qu'aujourd'hui, il lui laissait la dure tâche de tout révéler à sa nièce, à celle qu'elle avait élevé comme la fille qu'elle n'avait jamais eut.

Peut-être plus tard, se dit-elle, mais maintenant, elle se sentait lâche. Gabrielle connaîtrait bien assez tôt sa condition de femme riche. Aujourd'hui, le courage lui manquait, de lui léguer ce bien trop lourd fardeau.

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