Chapitre 10

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Les fêtes de noël approchaient et la saison londonienne prenait une pause, beaucoup rentraient dans leur domaine à la campagne.

La Vicomtesse et Gabrielle décidèrent de rester à Londres. Pour la nouvelle année, la Vicomtesse avait organisé une fête avec ses amis. Lady Standford savait mélanger les genres, les artistes frayaient avec des aristocrates qui côtoyaient des roturiers dans une harmonie naturelle. Emma et Lafontaine étaient bien sûr de la partie.

La soirée, conviviale, se voulait décontractée. Les faux-semblants n'étaient plus de mise. Emma, en musicienne accomplie, jouait des airs entraînants au piano pendant que les convives dansaient. Gabrielle, elle, observait, son attention dirigée vers Léa Hewitt une amie d'Emma. Elle valsait avec un homme, ils tournoyaient au rythme d'une polka. Elle riait à gorge déployée. Gabrielle la trouva très belle avec ses cheveux aile de corbeau, ses yeux bleus et sa peau laiteuse.

- Il paraît que Lord Compton n'est plus aussi assidu. S'il fait trop froid dans votre lit, je peux le remplacer.

- Lord Merrick ! le gronda-t-elle.

Gabrielle releva la tête pour écouter, attentive, la conversation des deux danseurs. Aucune ambiguïté, ils parlaient bien d'Ashton Compton. Ainsi donc, Léa Hewitt était sa maîtresse.

Elle savait qu'avoir une maîtresse s'avérait courant dans la noblesse, seulement, elle gardait un faible espoir qu'Ashton n'appartenait pas à ce genre d'homme. Idiote, il agissait comme les autres. Il avait presque une fiancée, une amante et elle ? Qui était-elle pour lui ? Une vague de colère roula dans ses veines. Elle ne représentait sans doute qu'un amusement supplémentaire. Et elle, qu'espérait-elle ? Finir comme sa mère ? Perdue et abandonnée. Hélas, à quatorze ans, elle s'était entichée d'Ashton, il s'était immiscé dans sa peau, ce jour où elle l'avait trouvé à moitié inconscient sur l'herbe. Son esprit romantique s'enlisait dans les élucubrations, montées de toute pièce, qu'il mettait en œuvre. Il fallait qu'elle se montre plus prudente et qu'elle ne laisse pas ses illusions prendre le pas sur sa raison.

Après quelques heures passées à observer Léa Hewitt, elle comprenait ce qui pouvait attirer un homme comme Ashton. Sa pétillance, couplée à la force qui émanait d'elle, dégageait ce quelque chose de captivant. Gabrielle se sentait une petite souris à côté d'elle. Elle fut distraite de ses observations par sa tante qui invitait ses convives à s'avancer vers la salle à manger.

La Vicomtesse avait prévu une séance d'occultisme dont tous étaient friands. Seule Gabrielle n'avait jamais eu l'occasion d'assister à une telle représentation. Les invités obéirent et se dirigèrent vers la pièce débarrassée du superflu. Quatre lampes allumées, dissipaient les ténèbres, de faibles lueurs, composant une atmosphère mystique, enveloppée d'un air de mystère. Les voix se tamisèrent pour se taire tout à fait. L'odeur de sauge s'infiltrait dans les narines, prenante. Gabrielle observa autour d'elle, au fond de la salle, deux chaises comme deux trônes, attendaient ses occupants. Deux personnes longeaient les murs avec à la main un bâton de sauge fumant. Lafontaine et Emma s'installèrent.

L'ensemble des personnes présentes entamèrent une prière de purification. Gabrielle connaissait le psaume grâce à Emma, elle murmura comme le reste de la salle, ferma les yeux et se concentra sur sa récitation. Puis, Lafontaine, en chef de cérémonie entonna assez fort pour que tout le monde entende :

- J'en appelle aux puissants saints anges, qu'ils nous protègent lors de cette séance. J'en appelle à Raphaël, le grand ange gardien de l'humanité, aidez nous à exaucer nos requêtes.

Il se leva pour se placer devant Emma, un pendule à la main. Il entonna des mots apaisants, des mots de réconfort. Emma ferma les yeux, plongée dans une profonde concentration. Les minutes s'égrenèrent sans que rien ne se passe. Tous restaient silencieux. Puis Emma se mit à pleurer. Lafontaine lui tendit son mouchoir. Ses sanglots semblèrent s'atténuer.

- Je sens une présence. dit Emma dans un souffle presque inaudible.

La salle retenait son souffle.

- C'est... Une femme... Oui... Une présence féminine.

Un courant d'air passa dans les pieds de Gabrielle, les bougies cillèrent, preuve qu'elle ne le rêva pas. Elle ressentit une énergie invisible, dérangeante.

- C'est triste...Elle demande... Pardon.

- Veut-elle parler à une personne présente ici ? demanda Lafontaine.

Emma fronça les sourcils.

- Ce n'est pas très clair... Je... Non.

- Non ? Elle ne veut parler à personne ?

Emma sanglota à nouveau.

- Elle ne connaît personne ici. répondit-elle dans un spasme.

Les convives s'échangeaient des regards curieux. Gabrielle sentit le froid remonter sur ses jambes. Elle frissonna. Emma revint à elle dans une grande inspiration. La tension dans la salle sembla retomber. Une vague de fatigue traversa Gabrielle. Sa tête s'affaissa contre son épaule. Elle plongea dans la vision qui l'assaillit. Elle se trouvait dans une pièce sombre et glacée. Une sensation d'oppression écrasait sa poitrine. Elle commença à hoqueter, cherchant sa respiration. Une silhouette se dessinait dans la pénombre. C'était une femme, le teint blafard. Ses mains étaient couvertes de sang. Gabrielle ressentit une tristesse infinie, mélangée à une peur qui lui prenait le ventre. Elle rouvrit les paupières sur des yeux révulsés, l'air cherchant un chemin dans sa gorge. Emma et Lafontaine accoururent pour l'aider à revenir à elle. Ils s'allièrent pour murmurer des prières, Lafontaine passant ses mains dans son dos. Encore angoissée des images entrevues, elle resta muette. Elle voyait toujours le sang, la femme, réminiscence terrifiante. Personne ne comprit vraiment, mais leur soif de sensations paraissait satisfaite. Ils finirent la soirée sur cette démonstration.

La mi-janvier, vit la noblesse reprendre possession des rues de Londres et les bals et invitations pleuvoir de plus bel. Celui des Comptons sonna le début des reprises des festivités.

L'hôtel Compton était un endroit prestigieux qui reflétait la puissance de la famille. Vanessa et Ashton accueillirent les invités. La Vicomtesse et Gabrielle comptaient parmi leur nombre. Gabrielle s'inclina devant ses hôtes sans un regard pour Ashton.

Elle dansa avec plusieurs hommes dont Adrian qui lui réserva trois danses signalant ainsi aux autres que Gabrielle était chasse gardée. Elle n'en fit aucun cas, ne sembla même pas le remarquer tant elle était occupée à éviter Ashton.

Celui-ci remarqua son manège et ne la lâcha pas des yeux. Lorsqu'elle voulut se rendre à la salle des dames, il la suivit, lui attrapa le bras et la poussa dans un petit salon jaune. Une fois la porte fermée, il se tourna vers elle s'adossant au mur.

- Vous m'évitez ?

Elle scanna la pièce de tout côté, cherchant un moyen d'en sortir.

- J'ai quelque chose pour vous.

Ashton s'approcha d'elle, un paquet tendu du bout des doigts. Elle le regarda et tendit machinalement la main pour prendre la boîte. Elle l'ouvrit. Un ravissant bracelet argenté d'améthystes serties reposait dans l'écrin de velours vert.

Elle leva sur lui un regard orageux. Le sourire d'Ashton s'effaça de son visage.

- Pour qui me prenez-vous Lord Compton ? pesta-t-elle.

- Co...

- Une fiancée et une maîtresse ne vous suffisent donc pas ?

- Je...

- Qui suis-je pour vous ? Un amusement de plus.

Il avança vers elle. Elle le stoppa d'un geste de la main.

- Ne dites rien.

Elle se dirigea vers la porte d'un pas décidé. Elle déverrouilla la serrure, ouvrit, se retourna et lui jeta la boîte qui atterrit sur son épaule.

Vanessa, qui se trouvait dans le couloir, vit Gabrielle sortir en trombe devant elle sans la voir. Elle entra dans le salon et remarqua Ashton, raide, le visage contrit.

- Que se passe-t-il ici ? demanda-t-elle.

- Rien.

- Mademoiselle Standford semblait furieuse.

Il la regarda gêné.

- Tu n'as tout de même pas...

Pour toute réponse, il sortit l'air désolé.

Gabrielle ne revit pas Ashton aux bals suivants. Adrian Pelham la courtisait avec obstination. Il paraissait sincère, mais se montrait pressé. Qu'avaient-ils donc tous ? Adrian Pelham savait qu'elle ne lui apporterait rien. Elle ne possédait aucune dot et pourtant, le jeune homme manifestait son souhait de s'engager plus avant avec elle. Cependant, il n'était pas Ashton. Il ne déclenchait aucun des sentiments tumultueux que le marquis de Northampton déchaînait en elle.

Elle accepta malgré tout l'invitation d'Adrian Pelham à Covent Garden. Lizzie l'accompagna comme chaperon. Gabrielle n'avait jamais assisté à un opéra et en était toute excitée. Les berlines, carrosses et calèches se succédaient et délivraient leurs habitants qui s'engouffraient dans l'imposant bâtiment. Quand elle descendit de la voiture des Pelham, elle admira les colonnes majestueuses. Au bras d'Adrian qui, en bon gentleman, était venu la chercher, elle entra dans le hall de marbre. La foule se mouvait, dense, dans des vagues de tissus colorés. Le mélange des parfums dispersait dans l'atmosphère des effluves entêtants. Les Pelham ne possédaient pas de loge, ils se dirigèrent donc dans la fosse et s'installèrent au premier rang. La baronne de Laughton les rejoignit et s'assit à la droite de Gabrielle.

- Je suis ravie de vous revoir Mademoiselle Standford.

- Tout le plaisir est pour moi Lady Pelham.

- J'espère que nous aurons l'occasion de discuter après la représentation ?

- Je l'espère aussi.

- C'est votre première fois, je crois ? Vous verrez, vous allez adorer les Noces de Figaro.

Gabrielle, comme l'avait prédit la baronne, adora la représentation du lever de rideau jusqu'à la dernière note. Elle se redressa avec les autres spectateurs pour acclamer les chanteurs en tapant dans ses mains, un sourire émerveillé sur son visage. Elle s'accrocha de nouveau au bras de Pelham pour sortir. La baronne marchait à côté d'eux. Elle la dévisageait avec insistance.

- Où avez-vous eu ce pendentif ? demanda la baronne en désignant du menton l'améthyste que Gabrielle ne quittait jamais.

- Il me vient de ma mère. C'est la seule chose qu'il me reste d'elle. dit-elle en le caressant de l'index.

La baronne et son fils échangèrent un regard de connivence.

- Quel âge aviez-vous quand elle est morte ? demanda la baronne.

- À vrai dire, je ne l'ai jamais connue.

- J'en suis désolée Mademoiselle Standford. Heureusement, vous aviez votre tante.

- Oui, d'ailleurs, l'autre soir ma tante a été très impolie. Je n'ai pas compris...

- Il se trouve que j'ai déjà eu l'occasion de rencontrer votre mère.

- Vraiment ? Que pouvez-vous me dire d'elle ?

Les yeux de Gabrielle brillaient d'envie. Elle n'avait jamais rencontré une personne susceptible de lui parler de sa mère. Elle tournait déjà un millier de questions dans sa tête.

- Pas grand chose et je n'aimerais pas supplanter Lady Standford. Certains secrets lui appartiennent.

La phrase énigmatique laissa Gabrielle perplexe. De quels secrets parlait-elle ? Sa tante ne lui cachait jamais rien.

- Vous lui ressemblez. Elle aussi avait beaucoup de succès. J'espère que cela vous réussira plus qu'à elle. En-tout-cas, vous êtes entre de bonnes mains avec Adrian.

Les paroles de la baronne chiffonnèrent Gabrielle, elle lui rendit un sourire contrit. Un reproche, un jugement pointait sous les mots doucereux. Elle éprouvait ce drôle de sentiment, ce malaise qu'elle ne s'expliquait pas. Les yeux bleus d'Adrian ne la quittaient pas.

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