Chapitre 11

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Elle ne pouvait échapper au week-end à Ashby. Un week-end que sa tante avait accepté des semaines auparavant. Le marquis de Northampton fêtait ses vingt-sept ans avec quelques invités choisis, amis, dont elles avaient la chance de faire partie.

En entrant dans l'immense hall d'entrée, Gabrielle fut happée par un sentiment de tristesse, renforcé par le courant d'air froid sur ses pieds. Elle fut logée comme tous les autres invités au premier étage du château, dans une charmante chambre aux tentures Lilas. La fenêtre donnait sur une grande étendue d'herbe impeccable. Du coin de l'œil, elle crut apercevoir une ombre qui déambulait devant sa porte. Intriguée, elle passa sa tête dans le couloir, mais ne vit personne. Quelque chose pourtant lui disait de longer la longue galerie. Elle s'exécuta et marcha, observant les tableaux qui jonchaient les murs et s'illuminaient des rayons de soleil qui filtraient par les hautes fenêtres. Les moulures des plafonds sculptées de divers motifs rendaient le décor encore plus saisissant. Gabrielle frissonna et comme un automate se dirigea au deuxième étage.

Elle s'arrêta devant une porte, le courant d'air circulait plus lourd à cet endroit. Elle poussa le vantail, consciente de franchir une limite qu'elle n'était pas en droit de dépasser. C'était une chambre, inhabitée. La poussière de la coiffeuse tout comme l'absence de décoration, le prouvait. Un tableau siégeait au milieu du mur du fond. Le portrait représentait une femme brune au regard triste. Des images s'imposèrent à Gabrielle. Du sang gouttait sur le sol. La femme était étendue sur le lit, le teint livide. Ses oreilles bourdonnèrent, sa respiration devint oppressée, saccadée. Elle l'entendait, elle voulait lui dire pardon. Il fallait qu'il lui pardonne. Gabrielle toussa pour essayer de reprendre de l'air sans succès. Elle s'agenouilla sur le sol, la main sur la poitrine, la tête penchée. Elle grelottait. Les mots tournaient en boucle dans sa tête, comme les images. Un petit garçon émergea là, elle sentait sa peur. Elle le regarda dans les yeux. Ashton, c'était Ashton. Il avait peur et ne comprenait pas. Les pieds dans la flaque de sang, il secouait la femme. La voix dans sa tête hurlait "Je ne voulais pas, dites lui, je ne voulais pas. " Les deux mains sur les oreilles, elle réussit à crier "Stop". Les voix cessèrent. Elle reprit son souffle. Elle tremblait encore quand elle sortit de la pièce, terrifiée par ce qu'elle venait de voir. La mère d'Ashton s'était suicidée et son fils avait découvert le cadavre de sa mère. Son cœur se serra. Elle descendit dans sa chambre, revêtit sa tenue d'équitation. Elle avait besoin d'un grand bol d'air pour faire fuir les images.

Ashton n'était pas présent à l'arrivée de ses invités. Il avait eu besoin de réfléchir. Cette histoire de mariage l'obnubilait. Lord Sinclair devenait de plus en plus insistant. Il lui avait assuré son soutien pour son projet de loi. Son regard se porta au loin. Il vit Gabrielle, elle chevauchait sa jument grise à vive allure, les cheveux au vent. Elle respirait la vie, la force. Il devait se la sortir de l'esprit. Il perdait le contrôle dès qu'elle était dans les parages. Il sentait les ennuis poindre. Peut-être n'aurait-il pas dû l'inviter.

Ce soir-là, Ashton n'arriva pas à dormir. Il était descendu à la bibliothèque et sirotait du cognac en regardant par la fenêtre, pensif. Les terres d'Ashby s'étiraient devant lui, nimbées par le clair de lune. Du coin de l'œil, une tâche blanche attira son attention. Il tourna la tête. La tâche blanche n'était autre que Gabrielle qui déambulait dans le jardin, vêtue que de sa fine chemise comme protection à la nuit glaciale.

Intrigué, il ouvrit la porte-fenêtre et sortit sur la terrasse. Comme hypnotisé, il la suivit. Il l'appela, elle ne répondit pas. Il l'appela plus fort, mais elle ne semblait pas l'entendre. Elle bifurqua sur la gauche, tout droit vers la roseraie. Elle pénétra dans la verrière. Il entra à son tour. Dans la pénombre, il buta sur un pot de fleurs qui roula sur le sol dans un bruit étouffé et vint finir sa course sur les talons de Gabrielle. Elle se retourna et avança vers lui. Ses yeux étaient grands ouverts, mais il était évident qu'elle n'était pas dans son état normal. Ashton n'avait jamais vu de somnambule, mais il associa sans se tromper l'attitude de Gabrielle à celui d'un somnambule. Elle s'arrêta devant lui.

- Je suis désolée Ashton.

L'utilisation de son prénom le surprit. Sa voix paraissait différente aussi, comme lointaine, plus grave.

- Je ne voulais pas te faire de mal.

Il lui prit la main.

- De quoi parlez-vous ?

Ses paroles le mettaient mal à l'aise, évoquant un mauvais souvenir, comme s'il ne s'agissait pas de Gabrielle, comme si une autre personne s'exprimait par sa bouche. Non, il fabulait, se laissait emporter par l'étrangeté de l'instant, décuplé par les rayons de lune qui apportaient des ombres froides en se reflétant sur les vitres.

- C'était trop dur, trop dur... Pardonne-moi. Gabrielle se mit à pleurer. Je ne voulais pas te faire tant de mal.

Elle caressa sa joue dans un geste maternel, Ashton la regarda hagard, un nœud dans la gorge, le cœur contracté.

- Dis-moi que tu me pardonnes. dit-elle en s'accrochant à son bras.

Ashton frissonna. Comment savait-elle ? Comment osait-elle ? Il l'agrippa par les épaules et la secoua violemment, en proie à une douleur indicible.

- Arrêtez ! Vous m'entendez, si vous trouvez ça drôle...

Elle fut prise d'une toux incontrôlable, elle n'arrivait plus à respirer. Elle tomba à genoux, la main sur la poitrine. Ashton la remit debout, il la secouait toujours. Elle haletait comme si elle retrouvait de l'air, ses yeux s'allumèrent et elle le reconnut sans comprendre. Elle regarda autour d'elle, incrédule. Que faisait-elle là ? Et lui ?

- Qu'est-ce que...? dit-elle en reculant.

Ashton la regardait furieux. Qu'avait-elle fait ? Dit ? Elle comprenait qu'elle avait fait une crise de somnambulisme et elle ne se souvenait pas.

Il l'attrapa par le bras et la rapprocha de lui.

- Si c'est une plaisanterie, elle est de mauvais goût.

- Mais lâchez moi !

- Qu'est-ce que l'on vous a raconté ?

- Mais rien ! Je ne comprends rien à ce que vous dites Lord Compton.

Elle recula, tremblante, jusqu'à buter contre une table. Il avança sur elle. En lui, un tumulte d'émotions paraissait sur le point d'entrer en éruption, la douleur, la colère et le désir étaient prêt à exploser. Alors il mit la main dans ses cheveux, les tirant en arrière, lui relevant la tête. Il regarda ses yeux bleu nuit qui lui offraient la clarté de l'innocence. Il ne comprenait rien. Il plongea sur sa bouche tel un assoiffé. Elle le rendait fou. Elle s'abandonna à son baiser, sa peau frissonna à son toucher. Elle le sentit abaisser sa chemise de nuit et dénuder ses seins qu'il prit en coupe dans ses paumes. Il lâcha sa bouche, dévora son cou. Il descendit plus bas aspirant une pointe érigée entre ses lèvres. Elle gémit arquant le dos, l'encourageant. Il glissa la main sous sa chemise, caressant la peau tendre de sa cuisse, remontant au cœur de sa féminité. Insérant un doigt en elle, il appuya sa paume sur son mont de Vénus. Il ouvrit les yeux pour la contempler. La tête renversée, soutenue par ses coudes, les lèvres entrouvertes sur ses soupirs, elle était magnifique. Il voulait graver cette image dans son esprit alors il la regarda atteindre l'extase. Il réussit à garder le contrôle de sa passion. Il ne pouvait pas ruiner Gabrielle. Il n'en avait pas le droit. Il la serra, tendre, contre lui, embrassant ses derniers soupirs. Elle le dévisagea, ses yeux illuminés du plaisir qu'elle venait de découvrir. Elle n'avait jamais rien connu de tel.

- Veuillez m'excuser Mademoiselle Standford, mais au moins votre vertu est intacte.

Il venait de détruire en quelques mots la magie de l'instant. Elle le gifla aussi fort qu'elle put.

- Votre goujaterie n'a d'égale que votre suffisance.

Elle lui tourna le dos et s'enfuit dans la nuit. Il resta là meurtrit dans sa chair et son âme.

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