Chapitre 12

7 minutes de lecture

Le lendemain Gabrielle s'évertua à éviter Ashton. Elle n'y arriva pas longtemps, car il la convoqua dans son bureau. Elle ne pouvait refuser.

Quand elle entra dans la pièce boisée, elle le trouva assis, penché sur les papiers qui jonchaient sa table de travail. Elle resta debout, attendant qu'il l'invite à s'assoir. Que lui voulait-il ? Et pourquoi tout ce formalisme ?

- Asseyez-vous Mademoiselle Standford.

Elle s'exécuta et il leva enfin les yeux sur elle. Il gardait les mâchoires crispées. Son air sévère la fit se sentir comme une petite fille prise en faute. Il l'attaqua sans cérémonie.

- Que s'est-il passé hier soir ?

Elle rougit jusqu'à la racine de ses cheveux, entortillant sa robe entre ses doigts. Il la regarda et comprit qu'elle pensait à leurs ébats enfiévrés. Gêné, il se racla la gorge.

- Je veux dire, que faisiez-vous à déambuler dans le noir comme une âme en peine ?

- Je... Parfois, il m'arrive de faire du somnambulisme.

- Pourquoi m'avez-vous dit... Enfin, vous savez...

- Non, je ne me rappelle pas.

- Vous ne vous rappellez pas ?

- Non.

Elle ne savait pas si elle pouvait se confier à Ashton Compton. Certainement, la prendrait-il pour une folle comme la plupart des gens ? Mais comment lui expliquer sans dévoiler un peu de son intimité ? Il la regardait droit dans les yeux, attendant. Elle était partagée. Raconter les bizarreries qui pigmentaient sa vie, c'était comme se mettre à nu. Peu de gens étaient enclin à prendre ses déclarations pour réelles. Beaucoup pensaient qu'il s'agissait d'élucubrations venu d'un esprit trop fragile. Elle avait appris à ne rien divulguer, à garder pour elle les facultés qu'elle possédait. Ashton Compton était un être pragmatique, rien ne pouvait lui faire penser qu'il accepterait ce qu'elle avait à lui dire. Pourtant, elle devait se confier. Cela incombait au contrat tacite qui existait entre elle et l'invisible. Elle était une messagère et elle transmettait les messages qu'on lui déposait. Elle connaissait le rejet, la violence des réactions. Les paroles de l'au-delà n'étaient pas toujours les bienvenues. Elle n'avait pas le choix, elle sentait le besoin de lui parler, de trouver les mots justes.

- Lorsque je somnambule, il arrive que... Il arrive que...

- Il arrive que quoi ?

- Que des personnes parlent à travers moi.

Il la regarda, les sourcils froncés.

- Je ne comprends pas.

Elle baissa les yeux sur ses doigts qui froissaient sa robe à force d'entortiller le tissu.

- Qui vous a parlé de ma mère ? dit-il avec rudesse.

Elle sursauta, relevant les yeux sur son visage dans lequel elle revoyait le petit-enfant meurtri de la chambre. Elle comprit que sa peur enfantine restait présente au fond de lui, imprégnée.

- Personne. Enfin...

- Je ne me répéterais pas, Mademoiselle Standford, qui ?

- Elle veut que vous lui pardonniez son geste.

Il resta un moment stoïque.

- Qui veut que je lui pardonne ?

- Votre mère.

Elle le murmura dans un souffle, terrifiée. Il la regarda agacé.

- Vous vous moquez de moi...

- Jamais je ne me moquerais d'un tel sujet.

Elle se tut avant de reprendre.

- Je n'aurais pas dû, mais je suis entrée dans sa chambre. Je crois que c'est elle qui m'a appelé. Elle m'a montré ce qu'elle avait fait, comment elle est morte. Elle veut que vous lui pardonniez, elle ne voulait pas vous faire de mal.

Il tapa du plat de la main sur son bureau.

- Assez. dit-il, me croyez-vous assez crédule pour croire à vos balivernes. Que voulez-vous ?
Ses jambes tremblaient.

- Je... Ce ne sont pas des balivernes, je sais que... Enfin, c'est difficile à croire, mais parfois, j'ai des visions... Je vous ai vu dans la chambre.

Il secoua la tête, se recula sur son siège.

- Sortez.

Elle ne bougea pas, soutenant son regard féroce.

- Vous aviez peur, vous ne compreniez pas ce qu'il se passait. C'est vous qui l'avez trouvé.

Ashton se leva prêt à la chasser.

- Vous lui avez pris sa bague, celle avec un rubis.

Il s'arrêta, pétrifié. Personne, pas même son père ne connaissait son secret. Lorsqu'il avait découvert sa mère sans comprendre la situation, il lui avait retiré sa bague en rubis. Sa préférée. Comment Gabrielle pouvait-elle savoir ? Avait-elle des visions comme elle le prétendait ? Et hier, était-ce sa mère qui parlait par sa bouche ? Ashton ne savait plus que penser. Il se rassit, prenant sa tête entre ses mains. Gabrielle se leva avec lenteur, s'approcha prudente et vint lui poser des doigts consolants sur l'épaule.

- Elle veut que vous lui pardonniez. Elle ne trouvera pas le repos avant.

Ashton émit un rire de gorge ironique.

- Voilà bien qui lui ressemble, égoïste jusque dans la mort. Si tout ce que vous dites est vrai, dites lui que jamais, jamais je ne lui pardonnerais. Une mère n'agit pas ainsi.

Gabrielle ne dit rien, mais glissa sa main sur son bras en une caresse réconfortante. Malgré son âge, il restait le petit-enfant blessé par l'acte insensé de sa mère.

- Laissez-moi. lui dit-il dans un murmure.

Elle s'avança vers la porte et avant de sortir lui dit :

- La colère ne changera rien, seul le pardon vous amènera la paix.

Elle disparut le laissant à son chagrin.

La fête d'anniversaire d'Ashton se tenait le soir même. Sophie paradait à son bras comme s'il était déjà sa propriété. Gabrielle ne pouvait s'empêcher de ressentir une jalousie qu'elle savait déplacée. Elle tentait d'éviter de les regarder, mais restait comme aimantée par le couple. Ils formaient une paire tout à fait assortie. Et rien n'entravait leur union.

- Toujours en train de rêver l'impossible mon ange ? lui murmura Adrian à l'oreille la faisant sursauter.

Elle ne répondit pas. Ashton tourna les yeux vers elle. Il s'éloigna de Sophie pour rejoindre Mathilda.

- Puis-je m'entretenir un instant avec vous sur la terrasse ?

Comme un automate, elle acquiesça et le suivi. Une fois isolé, il l'attrapa par la taille. Adrian était un homme séduisant, mais elle ne ressentait rien à son contact. Il semblait que seules les mains d'Ashton arrivaient à déclencher le feu qui couvait en elle.

- Je vous veux Gabrielle.

Elle tenta de se dégager de son étreinte, en vain, il était trop fort. Il se baissa cherchant à l'embrasser, elle tourna la tête pour éviter le baiser.

- Non Adrian, non.

Une voix grave s'éleva dans l'air.

- La demoiselle a dit non Pelham.

L'étau qui l'enserrait se détacha de sa taille. Ashton Compton accompagné de sa soeur Mathilda pénétrèrent sur la terrasse pour le plus grand soulagement de Gabrielle.

- De quoi te mêles-tu Compton ?

- As-tu besoin que l'on te rappelle les bonnes manières ? Si c'est le cas...

Sophie, suivie de ses parents et de Lady Standford, entra en scène.

- Je vous assure, ils sont partis par là...Voyez...

Le sourire coupable qu'elle affichait tomba lorsqu'elle aperçut Ashton. Il regarda tour à tour Pelham et Sophie qui devint rouge de colère ou de honte ou peut-être des deux.

- Que se passe-t-il ici ? demanda Lord Sinclair.

- Rien, nous étions sortis tous les quatre prendre l'air. Mademoiselle Standford, dit-il en prenant la main de Gabrielle, vous m'accorderez bien cette danse ?

- Mais... voulut-elle répondre.

Il la fit taire d'un seul regard et la tira jusqu'à la piste de danse. Elle frémit quand il la prit par la taille pour la faire tourbillonner au rythme de la musique. Toute la nuit, elle avait été hantée par les réminiscences de son désir pour lui. Se retrouver dans ses bras paraissait une torture délectable. Ses yeux se posèrent sur ses lèvres avec envie.

- Cessez de me regarder ainsi. Dit-il d'une voix dure.

A priori, lui avait oublié ce qu'il s'était passé la veille entre eux, il semblait plus enclin à se rappeler ses paroles et la discussion de cet après-midi. Il se montrait toujours fâché contre elle. Elle rougit malgré elle et releva ses iris violets dans le gris des siennes.

- Que vous veut Pelham ?

Quel fat arrogant pensa-t-elle. Voilà qu'il s'ingérait dans sa vie. Elle le remerciait de son intervention, mais cela ne lui donnait aucun droit.

- La même chose que vous visiblement.

Il serra sa main plus fort et la rapprocha de lui dans un geste possessif mécanique. Le poul de Gabrielle s'accéléra.

- Vous a-t-il... ?

- Non, il n'a pas. le coupa-t-elle avec agacement.

Il relâcha un peu la tension, mais la garda le plus près que les convenances lui permettaient.
- Lui au moins à la décence de parler mariage.

Un voile de peine passa dans son regard. Gabrielle était une jeune-fille comme les autres, elle aspirait elle aussi au mariage. Ils ne pourraient jamais en arriver là et ils le savaient tous les deux.

- Je suis désolé, Gabrielle.

C'était la première fois qu'il utilisait son prénom. Elle aima sa façon de le prononcer.

La musique s'arrêta et Ashton raccompagna Gabrielle à sa tante. Une fois fait, il se dirigea vers Sophie qui discutait avec Virginia, la sœur d'Adrian. Les deux jeunes filles plongèrent dans une révérence à son arrivée.

- Lady Virginia, veuillez m'excuser, mais je dois m'entretenir avec Lady Sophie.

Virginia ne fit pas d'histoire et s'éclipsa. Ashton se retourna vers Sophie, le visage fermé.

- À quoi jouez-vous Sophie ?

- Je ne vois pas...

- Ne faites pas l'innocente, votre intervention de tout à l'heure n'était rien moins qu'une comédie pour piéger Mademoiselle Standford n'est-ce pas ?

Sophie devint rouge pivoine et baissa les yeux.

- Pourquoi Sophie ? demanda-t-il la voix cassante.

Elle regarda autour d'elle, cherchant une échappatoire.

- Que lui veut Pelham ?

Elle leva des yeux rageurs sur lui.

- Et vous Ashton, que lui voulez-vous ? Vous ne voyez pas qu'elle est en train de tout gâcher. Je vous ai attendu Ashton, depuis toujours, je vous suis destinée. Mettez là dans votre lit si vous voulez, mais ne détruisez pas tout.

L'ambition de Sophie Sinclair le cingla de plein fouet comme une gifle. Il ne s'attendait pas à une union d'amour avec elle, mais il comptait sur quelques sentiments. Ses paroles, prouvaient que la jeune fille n'en avait aucun pour lui. Elle se révélerait une épouse pratique, qui dédaignerait d'éventuels écarts, seulement intéressée par le titre. Voulait-il de ce type de mariage ? L'image de sa mère se matérialisa. Il la chassa. Ne voulant pas provoquer d'esclandre au milieu de ses invités, il s'inclina et lui tourna le dos.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Vanecia ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0