Chapitre 14

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Lady Standford Vicomtesse de Wimbourne regardait la missive de son neveu avec incrédulité. Ainsi, il séjournait en Angleterre et la priait de lui accorder l'hospitalité. Il souhaitait faire plus ample connaissance avec sa sœur dont il avait appris l'existence il y a peu.

Le moment approchait, elle ne pouvait plus reculer. Gabrielle devait apprendre qui elle était. Toute sa vie, elle l'avait choyée comme sa fille sans jamais lui révéler le fardeau de sa naissance. Et pourquoi ? Parce que son frère, le prestigieux duc de Laval, l'exigeait. Parce que son mariage avec Fiona le rendait trop honteux, trop en dessous de sa condition. Ou peut-être, car elle redoutait de la perdre en lui divulguant la vérité ? Un peu des deux certainement. Elle décida de ne rien entreprendre avant d'avoir vu le duc auquel elle accorda l'hospitalité.

Gabrielle attendait dans le salon, vêtue d'une de ses plus belles robes comme le lui avait demandé sa tante. Celle-ci l'avait prévenue de l'arrivée de son neveu qui devait séjourner chez elles.

La Vicomtesse avait, pour l'occasion, demandé à Emma et Lafontaine de faire place nette et de ne pas se montrer. L'invité s'avérait illustre. Rien moins que le duc de Laval, un des pairs les plus puissants de France. Gabrielle se sentait nerveuse.

Quand elle le vit entrer, elle ressentit un lien qu'elle n'arrivait pas à définir. Il était jeune, bel homme, blond comme le blé, les yeux d'un bleu profond presque noirs. Quelque chose qui lui rappelait les siens. Il la regarda avec intensité, la détaillant des pieds à la tête. Gabrielle se sentit gênée de cette insistance. Il lui sourit. Sa tante prit la parole.

- Ma chérie, je te présente mon neveu sa Grâce Louis duc de Laval.

Elle se leva et fit une révérence.

- Je suis enchanté de faire enfin votre connaissance. J'ai, ces derniers temps, beaucoup entendu parler de vous. dit-il en lui baisant la main.

- Du thé mon neveu ?

- Vous êtes devenue tout à fait anglaise ma tante. dit-il en riant. Un café me conviendrait mieux.

Pendant que sa tante donnait les instructions, il s'assit face à Gabrielle.

- Vous êtes ravissante. Si votre mère avait votre charme, je ne peux blâmer mon père.

Cette phrase énigmatique lui creusa un sillon entre les sourcils. Elle leva les yeux vers sa tante qui se tenait debout derrière le duc, les mains accrochées au dossier du fauteuil qu'il occupait. Le duc se retourna.

- Elle ne sait donc rien ?

- Je n'ai pas trouvé le courage.

Il se retourna vers Gabrielle.

- Que lui avez vous dit ma tante ?

- Seulement ce qu'il m'était permis de dire. Que sa mère avait été séduite par un aristocrate et qu'elle était morte en lui donnant naissance.

- Mon père était-il à ce point cruel ?

La question ne demandait pas de réponse.

- Vous m'accompagnerez au bal de la Reine. dit-il en regardant Gabrielle.

- Mais votre Grâce...

- Voyez-vous Gabrielle, il se trouve que mon père et le vôtre ne forme qu'une seule et même personne et il ne sera pas dit qu'une de mes sœurs soit traitée comme une moins que rien.

Gabrielle le regarda d'un œil nouveau. Elle était donc la bâtarde du duc de Laval et le beau jeune homme face à elle, elle pouvait l'appeler son frère ? Un bien doux mot dans son esprit, un mot qui apaisait son âme solitaire. Ainsi, elle n'était pas une pauvre petite orpheline sans famille. Et sa tante ? Sa tante était bel et bien sa tante. Certes, elle demeurait une enfant illégitime, mais cela changeait tout. Pourquoi ne lui avait-elle jamais rien dit ?

- Un frère, j'ai un frère. dit-elle

- En réalité, vous en avez trois et une sœur.

Elle le regardait sans comprendre.

- Cependant, notre chère belle-mère est peu encline à vous rencontrer et totalement révulsée à l'idée que vous côtoyez sa progéniture.

Gabrielle mit les deux mains sur sa bouche pour empêcher le cri qui voulait s'évader, retentissant de joie ou de stupeur, elle ne savait pas.

- Vous m'accompagnerez donc au bal de la Reine et vous lui serez présentée.

- Non !

C'était un cri du cœur. Louis leva un sourcil interrogatif.

- Je préfère, en tout cas pour l'instant, que notre lien de parenté ne soit pas connu.

- Mais...

- Il est déjà difficile d'être l'orpheline pauvre de leur monde, je ne voudrais pas rajouter de l'huile sur le feu.

Le duc de Laval ne comprenait pas bien, mais il ne voulait pas froisser sa sœur sous peine de mettre à mal leur lien tout neuf. Il acquiesça, le sourire aux lèvres.

- Comme vous voudrez.

Louis insista pour qu'elle porte une toilette époustouflante, d'un rose corail constellé de motifs floraux dorés chatoyants à la lumière. Ses cheveux relevés dévoilaient sa tendre nuque laissant voir l'élégant collier de diamants que Louis avait accroché à son cou avant de partir. En se regardant dans le miroir, elle s'était trouvée plus belle que jamais. Maintenant qu'ils attendaient au palais d'être annoncés, un nœud se formait dans son ventre. Personne ne l'imaginait ici et les langues de vipères allaient pouvoir se déchaîner. Elle n'aimait rien moins qu'être au centre de l'attention, mais son frère n'avait pas cédé. Même si elle ne serait pas présentée à la Reine, il voulait qu'elle assiste au bal.

- Sa Grâce, le Duc de Laval, la Vicomtesse de Wimbourne et Mademoiselle Standford.

Accrochée au bras de Louis, elle sentit les regards se river sur eux. Un duc français à la cours faisait déjà sensation, mais un duc français accompagné d'une orpheline sans nom, le scandale n'était pas très loin.

Ashton ne perdit rien de l'entrée de Gabrielle. Il la regarda descendre le grand escalier, époustouflante. Une vraie princesse. Mais que faisait-elle avec ce dandy français ? Il connaissait sa réputation. Une pointe de jalousie lui piqua l'estomac.

- Ferme la bouche Compton, tu risques d'avaler une mouche.

Ashton se tourna vers Philippe Tremaine qui lui tapa dans le dos en riant de bon cœur.

- Je ne peux pas t'en vouloir, elle est vraiment très belle.

Ashton ne répondit pas. Depuis qu'il la connaissait, elle envahissait ses pensées. Jamais il n'avait connu une telle obsession. Ses rêves étaient remplis de son image, de ses lèvres au goût de miel sur sa bouche, de la douceur de sa peau sous ses mains, du son de ses soupirs dans son oreille. Il voulait Gabrielle comme aucune femme avant elle.

- La compétition risque d'être rude.

Ashton sortit de sa rêverie sensuelle.

- Que veux-tu dire Tremaine ?

- Le duc de Laval est un gros poisson. Toutes les mères sont déjà à l'affût du plus riche célibataire de France, mais il ne semble n'avoir d'yeux que pour la jolie Gabrielle Standford.

Le duc paraissait déjà assailli par les matrones qui voulaient lui présenter leurs filles. Lui, ne lâchait pas le bras de Gabrielle sa main recouvrant la sienne, en un geste intime.

- Il est le neveu de la Vicomtesse, c'est pour cela...

- Allons Compton, ne crois-tu pas, connaissant le personnage, qu'il puisse comme toi être subjugué par la belle Gabrielle ? Crois-moi, tu as un vrai compétiteur face à toi.

Ashton serra les mâchoires. Il n'était pas question que ce duc français s'accorde des libertés avec Gabrielle. Il devait discuter avec elle, l'alerter du danger. Il décida de s'approcher pour lui réserver une danse. Se frayer un chemin jusqu'au duc fut un véritable périple. Il dut jouer des coudes et se faufiler entre les baleines des jupons à plusieurs reprises. Une fois le duc atteint, il s'inclina devant lui.

- Votre Grâce.

- Lord Compton. répondit Louis. Je suis ravi de vous retrouver ici.

Ainsi donc Ashton connaissait son frère pensa Gabrielle. Il avait sa mine fermée des mauvais jours, il semblait fâché, contrarié. Enfin, il se tourna vers elle.

- Mademoiselle Standford, puis-je vous réserver une danse ?

Elle lui tendit son carnet de bal sans un mot. Il s'inscrivit pour une valse puis une deuxième tout en regardant Louis droit dans les yeux. Louis releva un sourcil.

- Deux valses marquis ? Est-ce un message ?

Ashton continua à le défier sans répondre. Louis s'esclaffa.

- Je vois.

Louis prit le carnet de bal de sa sœur et nota son nom sur deux danses. Ashton ne manqua pas le message. Gabrielle ne comprenait pas bien ce qu'il se jouait là. Elle regardait tour à tour les deux hommes qui se toisaient. Louis se tourna vers elle et reprit son bras.

- Venez ma chère.

Ils laissèrent Ashton planté au milieu des mères qui tentaient d'approcher le duc.

Une fois assez loin, Louis tapota le bras de Gabrielle.

- Vous avez ferré un beau poisson ma chère. Rien moins que le marquis de Northampton.

- Mais pas du tout !

- N'avez-vous donc pas remarqué la façon dont il vous dévore des yeux ?

Gabrielle rougit.

- Et surtout, il est venu jusqu'à moi pour me signifier que vous étiez chasse gardée en vous réservant deux danses.

- Oui mais pourquoi vous...

- Ah ma chère, rien de meilleur que la jalousie pour attiser la flamme d'un homme. Et j'avoue que celui-ci est un très bon parti pour vous. Je ne pouvais rêver mieux.

- Mais enfin, jamais il ne m'épousera.

- Et pourquoi ?

- C'est évident non ? Et puis, il est presque fiancé à Sophie Sinclair.

- Presque n'a rien de définitif, vous verrez.

Adrian Pelham, qui observait la scène, se dit que Gabrielle était en fait une bien plus belle prise qu'il ne l'imaginait. La présence du duc de Laval à ses côtés confirmait ses hypothèses. Lui proposer le mariage devenait une évidence. Il en retirerait une somme d'argent conséquente et pour ne rien gâcher, la jeune femme était une beauté. Même si cela lui importait peu, cela ne gâtait rien.

Sophie s'approcha de lui.

- Toujours à reluquer les moins que rien.

Sophie laissait sa colère se déverser. La jalousie qui l'habitait, tombait les barrières de son éducation.

- Pas tant que ça Sophie. Gabrielle a plus de valeur que vous ne pensez.

- Parce qu'elle est la catin d'un duc ?

Adrian oscilla la tête de gauche à droite.

- Voyons Sophie, votre jalousie vous perdra.

Il prit son carnet de bal pour s'inscrire.

- Pas encore de réservation de votre cher Lord Compton ?

De rage, elle lui arracha le carnet des mains et partit au pas de charge laissant le rire d'Adrian la pourchasser.

Ashton dansait avec Sophie, à qui il réserva tout de même un quadrille, tout en regardant Gabrielle virevolter avec le duc. Celui-ci la serrait de bien trop prêt à son goût.

- Vous auriez dû écouter mon conseil. lui dit Sophie.

Il tourna enfin les yeux sur elle.

- Comment ?

- Le duc de Laval n'a pas hésité, lui.

- Que voulez-vous dire ?

- Vous auriez dû la mettre dans votre lit. Une fois fait vous seriez passé à autre chose.

Il la regarda horrifié.

- Allons Ashton, vous n'êtes pas assez naïf pour croire que le duc de Laval ferait de cette intrigante sa femme. Et puis, vous savez sûrement reconnaître quand deux amants se regardent ?

Les mots de Sophie résonnaient en lui. Depuis qu'ils les avaient vu descendre ensemble, son esprit se torturait de questions. Quelle était leur relation ? Il connaissait le duc pour être un homme qui enchaînait les conquêtes et Gabrielle était trop belle pour qu'il reste insensible à sa beauté. Il savait aussi que le sexe féminin était attiré tel une mouche, le duc était bel homme, riche comme Crésus et célibataire. Un cocktail bien alléchant. Il doutait que Gabrielle soit ce genre de femme. Elle vivait entière et passionnée, un brin étrange, mais cela rajoutait à son charme. Les regards que le duc et elle échangeaient en disaient long. Peut-être n'était-elle pas encore sa maîtresse ? Non, elle lui appartenait et personne, pas même le duc de Laval, ne s'interposerait entre eux. La prochaine danse était la sienne, il en aurait le cœur net.

Quand il posait les mains sur Gabrielle, ses sens s'enflammaient et cette fois ne fit pas exception. Elle le regarda de ses yeux bleus aux reflets Lilas. Ils lui rappelèrent celui d'un jeune garçon qu'il avait croisé autrefois. Elle lui sourit.

- Vous êtes époustouflante ce soir. dit-il alors que les premières notes de la valse se faisaient entendre.

- Merci.

- Vous devriez vous méfier du duc de Laval. dit-il en faisant un premier pas en avant.

- Pourquoi ?

- Je le connais et croyez moi, ses intentions n'ont rien d'honorables. Votre vertu n'est pas en sécurité avec lui.

Il la fit tourner sous son bras. Après les libertés qu'il avait prises avec elle, il lui sembla un peu fort qu'il vienne lui faire la morale.

- Parce qu'elle l'est avec vous peut-être ?

Ils se défièrent quelques secondes en continuant à tournoyer.

- Je n'ai fait que prendre ce que vous m'accordiez.

Il la serra un peu plus contre lui. Elle sentait son souffle dans son cou, juste à la base, où elle rêvait qu'il l'embrasse. Elle ne devait pas se laisser aller à son tempérament romantique. Ses intentions n'étaient pas honorables.

- Si nous n'étions pas aussi bien entourés, je vous giflerais pour votre outrecuidance grossière.

Dans un geste nonchalant, il fit descendre sa main plus bas sur son dos dans une légère caresse qui lui déclencha un frisson dont il fut tout à fait conscient.

- Ne vous mentez pas, Gabrielle. Je sais que vous la sentez, vous aussi, cette attraction qu'il y a entre nous.

La musique entama ses dernières notes, elle fit une brève révérence avant de s'enfuir et de disparaître dans la foule.

Elle se dirigea vers une porte-fenêtre et sortie à l'extérieur. En elle, désir et colère se disputaient la place. Elle respira profondément. L'air frais lui faisait du bien. Elle ne le vit pas se positionner derrière elle. Il posa sa paume sur son ventre la collant contre le sien.

- Je m'excuse, mais... vous me rendez fou.

Ashton contre toutes règles, l'avait suivi. Si on les surprenait tous les deux ici, Gabrielle serait perdue, mais résister lui parut impossible. En une invitation, elle pencha la tête sur le côté. Il l'embrassa dans le cou. Son soupir de contentement, l'encouragea à remonter plus haut. Il la retourna dans ses bras et s'empara de sa bouche. Peu importe qu'ils soient découverts maintenant. Il ferait ce qu'il fallait. Au bout de quelques minutes, il se détacha d'elle à contrecœur. Il se recula pour la regarder. Il ne put s'empêcher de penser que ses lèvres, luisantes de son baiser, ressemblaient au péché originel. Une voix les arracha à leur contemplation.

- Vous êtes là ma chère !

La voix du duc de Laval le fit se crisper. Même s'il était maintenant sûr qu'elle n'était pas sa maîtresse, il n'en restait pas moins un danger.

- Compton ! dit-il dans un signe de tête. Vous prenez des risques démesurés, cela ne vous ressemble pas. Venez Gabrielle. dit-il en lui tendant une main qu'elle prit sans hésitation.

Ashton fit un geste pour la retenir.

- La demoiselle est sous ma protection ce soir. dit le duc. Alors bas les pattes Compton.

Ashton serra les poings et les regarda partir avec la furieuse envie d'en découdre avec le duc.

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