Epilogue

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Tous les habitants d'Ashby étaient venus assister à la cérémonie de mariage. Tous s'impatientaient de féliciter les jeunes mariés. Après tout, il n'était pas si fréquent d'avoir une double noce. Les applaudissements allaient bon train à la sortie de la chapelle du domaine du marquis de Northampton. Les visages s'affichaient radieux, les conversations enjouées. Un banquet s'étalait sur le parvis de l'église, rempli de victuailles pour rassasier les villageois comme les invités de la fête.

Seule Mathilda paraissait absente. Le front plissé, le regard vague, elle pensait à son départ. Une nostalgie prématurée s'enroulait sur son cœur. Elle regardait son mariage avec les yeux d'une étrangère, distante à son corps. Elle se sentait ailleurs, déjà partie. Son visage contrastait avec celui de Gabrielle, respirant de joie et d'amour. Ses prunelles lilas reflétaient les étoiles.

La main dans celle d'Ashton, elle flottait sur un nuage. Elle ressentait, comme un accro, à son bonheur, la peine de sa nouvelle belle-sœur, sans pouvoir rien y faire.

Mathilda prenait la mer le lendemain. Depuis le matin, elle barricadait le chagrin qui s'agrippait à ses entrailles. Elle regarda son nouvel époux. Elle pensa à la nuit de noces, autre épreuve qui l'accablait d'angoisse. Les explications de sa mère n'avaient fait que renforcer ses appréhensions. Certes, son mari semblait loin d'être repoussant, et si elle se montrait sincère, elle le trouvait même attirant. Elle peinait juste à imaginer devoir offrir son corps à cet homme qui ne l'aimait pas, et ne l'aimerait jamais. Elle n'avait pas l'assurance de rester sans sentiments pour lui. Le baiser échangé l'avait marqué plus qu'elle ne le voulait.

Vanessa la tira de sa mélancolique introspection.

- Tu sais que tu seras toujours la bienvenue ici ma chérie.

Une toute petite phrase, et elle manqua déverser son chagrin. Elle réussit à le maintenir, ne laissant qu'un léger voile d'eau brouiller sa vision. Elle ébaucha un sourire feint dont sa mère ne fut pas dupe.

- Je sais maman, mais vous savez qu'il me sera difficile de revenir. En tout cas, pas aussi souvent que mon cœur le désirera.

Vanessa caressa la joue de sa fille du revers de ses doigts.

- Les sentiments viennent parfois avec le temps, tu sais.

Mathilda soupira.

- Vous avez peut-être raison.

Elle n'en croyait rien. Elle entrait dans le mariage comme ivre des regrets de n'avoir pas eu le courage de proclamer, en femme libre, son droit de choisir. La réalité du monde, d'un monde dirigé par les hommes où les femmes ne possédaient pas voix au chapitre, l'enfermait dans ses hésitations tout aussi bien que dans ses obligations. Leurs vies n'étaient pas la leur. Passant de l'autorité d'un père ou d'un frère à celle d'un mari. Éternelles enfants, elles devaient se soumettre.

Elle tourna le cou pour observer les vieilles pierres d'Ashby qui lui manquait déjà. Son regard traîna sur la caresse tendre que les yeux de son frère portaient à son épouse. Son cœur se contracta devant ce miroir trompeur qui lui rejetait le flou stérile, vide de son union. Elle s'écarta, marchant sur le chemin, elle se détournait des festivités.

Rebecca dans sa robe bleue à volant, s'approcha d'elle. Elle se tint à ses côtés, sans un mot. Après quelques minutes, elle prit sa main dans la sienne. Elle entrelaça leurs doigts, dans un geste de réconfort un peu vain. Finalement, sa petite soeur semblait la seule à comprendre ses états d'âme. Elle la serra en retour dans un remerciement accablé. Elles tournèrent toutes deux la tête de côté dans un ultime regard, plein d'amour et de chagrin mêlé. S'en était trop pour Mathilda, ses larmes coulèrent silencieuses. Beckie, de sa main gantée, les essuya d'un revers. 

- Ne leur montre pas ton chagrin. 

Mathilda prit le mouchoir que sa sœur lui tendit et se tamponna les joues. Elle ne détenait pas le courage de parler, la gorge trop serrée.

Une main se posa sur sa taille, légère, imperceptible. Elle tourna le cou pour entrevoir son mari. 

- Madame, nos invités nous attendent.

Il affichait un sourire paisible. Il ne souffrait d'aucun tourment. Il n'avait fait que se marier. Elle posa sa main au creux de son coude. Ils avancèrent vers le buffet où la foule amassée les attendait.

Rebecca suivit des yeux ce couple trop bien assorti avec leurs cheveux blonds. Les sourires imposteurs qu'ils affichaient sur leurs visages, les paroles lessivées qui filtraient de leurs bouches, renvoyaient les couleurs d'un tableau parfait. Une illusion d'optique qui ne la trompait pas. Elle se fit la promesse de ne pas tomber dans le piège des hommes, de la société. Elle se voulait libre, sans obligation. Le mariage pouvait certes être une source de joie, elle le voyait avec Ashton et Gabrielle, mais il ressemblait plus souvent à une condamnation, à un étouffement de sa personnalité. Une femme se devait dans sa grande abnégation de vivre au travers de son mari, puis de ses enfants, sans jamais vraiment s'adonner à ses passions. Oui, en regardant sa sœur, elle était à peu près sûre de ne surtout pas vouloir s'emprisonner dans une union où elle devrait rester une otage de sa propre vie.

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