Chapitre 1

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- Ainsi, la petite sœur du marquis de Northampton souhaite s'engager pour la cause des femmes.

Rebecca Compton vêtue d'un pantalon crème et d'une veste noire, ses cheveux Châtains aux reflets dorés effleurant tout juste son col, se tenait devant la femme aux yeux bleus perçants qui ne la lâchait pas du regard. Les quelques ridules autour de ses yeux durcissaient ses traits. La femme se leva, elle n'était pas très grande comparée à Rebecca avec sa silhouette longiligne. Elle se posta devant elle, les bras croisés sous sa poitrine.

- Vous savez, jeune fille, qu'il ne suffit pas de s'habiller comme un homme pour aider la cause des femmes. Toutes n'ont pas votre chance.

Rebecca prit le pic en pleine poitrine. Elle savait bien qu'elle vivait du bon côté du ruisseau, cela la rendait-elle inapte à aider ? Elle n'en croyait rien. Elle pensait plutôt le contraire. Elle portait un engouement sincère à Adélaïde Procter, elle en était une fervente lectrice, ses poèmes célèbres avaient ponctué les heures creuses de la petite Beckie d'antan. En aucun cas, elle ne voulait donner l'impression d'une enfant gâtée.

- J'en ai tout à fait conscience, mais je sais aussi que mon statut peut aider à porter la voix des femmes.

- Votre frère a grandement contribué au Marital act de 57 il me semble.

- C'est exact. Bien qu'il n'a pu aller au bout de son projet, c'est déjà un premier pas. Mais il nous faut faire plus. Mon frère a une vision progressiste du mariage, mais il reste encore loin de promouvoir l'égalité et la liberté qui nous est due.

Adélaïde hocha la tête à sa tirade pleine de bon sens.

- Que pouvez-vous proposer à Langham ?

- J'écris. Je pourrais écrire pour le English Woman's Journal.

- Je ne suis pas sûre que Barbara soit à la recherche d'une nouvelle chroniqueuse.

- Peut-être voudra-t-elle juger par elle-même ? dit Rebecca en tendant des feuilles de papier froissées à Adelaïde, de ses doigts maculés d'encre.

Rebecca ne comptait pas baisser les bras aussi facilement. Depuis qu'elle connaissait Langham et ses actions, elle ne rêvait que d'intégrer ce groupe. Ashton, son frère, ne devait rien savoir de cette adhésion, ni sa mère bien sûr. Ils se montreraient tous les deux complètements mortifiés. Son frère avait beau être ouvert et lui laisser une certaine latitude d'action, il n'accepterait jamais que sa sœur s'affilie à ce genre de "club". La réputation de la famille ne s'en relèverait pas.

Rebecca avait toujours senti cet appel à lutter pour une reconnaissance des femmes comme égales des hommes. Elle n'acceptait pas cette différence de traitement. Elle souhaitait participer au combat pour l'égalité de son genre.

Après avoir lu quelques extraits, Adélaïde leva les yeux sur Rebecca.

- C'est plutôt bon, vous avez un certain style.

- Merci.

Le compliment la toucha droit au cœur. Adelaïde Procter trouvait qu'elle possédait un style, un compliment inattendu qui caressait son ego.

- Je les présenterais à Barbara. Revenez à la fin de la semaine et nous verrons comment vous pouvez nous aider.

Le visage de Rebecca s'illumina d'un sourire, éblouissant. Elle revêtit son chapeau melon et tendit une main à Adelaïde pour lui dire au revoir. En bas de l'immeuble, elle monta dans son fiacre, prit les rênes et partit au trot, le cœur léger, certaine de pouvoir intégrer ce cercle de femme qu'elle appelait de ses vœux.

Quand elle arriva à l'hôtel Compton, Ashton n'était pas encore rentré de sa séance à la chambre des Lords. Rebecca se rhabilla d'une robe bien sage. Elle prit son calepin et son crayon, s'assit sur la méridienne du grand salon et s'installa sur ses pieds, elle commença à écrire. Elle aimait poser sur le papier ses idées, ses sentiments. Elle produisait aussi des romans, souvent oubliés dans un coin. Personne ne les lisait jamais, elle se sentait trop honteuse de ne pas être à la hauteur des chefs d'œuvres qu'elle dévorait. Faire lire ses écrits à une tiers personne revenait à se dévoiler, se mettre à nu. Elle ne se révélait pas de cette trempe. Elle préférait le doux mystère dont elle s'enrobait, sans aucune obligation. Elle signait ses textes de son pseudonyme, Madame Kipling, un nom qui donnait du sérieux. Elle n'avait pas le courage d'assumer son vrai nom. Aujourd'hui, elle écrivait sa joie nouvelle, de pouvoir peut-être, enfin, être lue. Et même si elle resterait cachée sous un nom d'emprunt, il lui plairait de connaître l'avis de lecteur sur ses phrases dessinées de ses convictions.

Le craquement du parquet lui fit tourner la tête.

- Toujours à ta plume petite sœur ?

Elle sourit à Ashton et se leva à sa rencontre essuyant son index mouillé d'encre bleue dans son mouchoir.

- Alors quels débats au parlement aujourd'hui ? Vous êtes-vous enfin décidé pour la France ou l'Autriche ?

- Et bien ma chère sœur, vous me paraissez bien renseignée ? Quel camp serait le vôtre ?

- Aucun, la guerre n'est qu'une perte de temps et d'argent. Des sujets plus importants inspirent ma conscience.

- Laissez-moi deviner. dit Ashton sur un sourire. La condition des femmes ?

- Exactement !

- Vous ne lâcherez donc jamais ?

- Tant que nous n'obtiendrons pas l'égalité...

- Je crois qu'il me faut vous trouver un mari...

Rebecca se pétrifia sur place, il n'oserait quand même pas ? Il l'avait imposé autrefois à Mathilda, qui l'empêcherait de recommencer ? Elle le regarda l'œil horrifié avec dans le fond cette touche de rébellion qui la caractérisait. Ashton s'esclaffa.

- Tout doux petite sœur, je plaisante.

- J'espère bien. Vous ne me mènerez pas au mariage si facilement.

- Allons, il le faudra bien un jour.

- Je ne vois vraiment pas pourquoi ?

Ashton ignora la question de sa sœur qui s'avérait de toute façon rhétorique et prit son gousset dans sa main.

- Il nous faut partir.

- Sauvez par le gong comme toujours mon frère.

Elle se dirigea vers le hall d'entrée et s'empara de son chapeau capote qu'elle laça sur le côté de son cou. Ils retournaient à Ashby où Mathilda devait être arrivée. Mathilda qu'ils n'avaient pas vue depuis cinq ans. Rebecca bouillonnait d'impatience de retrouver cette sœur partie vivre en France avec son mari le duc de Laval. Elles correspondaient régulièrement. Beckie arrivait si souvent à capturer les vagues à l'âme de son aînée qu'elle s'imaginait traverser la mer pour consoler son cœur en peine. Mathilda taisait ses douleurs, mais Rebecca les ressentaient dans chaque mot. Elle décryptait dans une accablante habitude les fêlures des lettres. Seule la naissance du petit Louis Mathieu semblait revigorer ses verbes qui s'auréolaient alors d'un amour maternel sincère.

Ashton et Rebecca montèrent dans la calèche et prirent le chemin de Northampton.

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