Chapitre 2

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Ashby 1860

La berline aux armoiries du duc de Laval s'arrêta devant les escaliers de l'entrée du château d'Ashby. Vanessa descendit les marches à la rencontre de la jeune-femme qui sortait de la voiture. Le chapeau qu'elle portait lui cachait une partie du visage, mais Vanessa n'en reconnut pas moins sa fille, la duchesse de Laval. Cinq ans sans la voir, une éternité pour son cœur de mère. Les lettres échangées apparaissaient comme un piètre substitut à la caresse des yeux.

Mathilda releva ses jupes et avança d'un pas princier vers sa mère. Elle avait perdu la frivolité de l'impétueuse jeunesse, laissée devant une petite chapelle cinq ans plus tôt. Son statut lui demandait une prestance et un maintien contrôlé. Elle s'étonna presque du malaise qu'elle ressentit lorsque sa mère la serra contre elle.

- Mathilda. dit-elle le regard embué. Je suis tellement heureuse que tu sois là.

- Je suis ravie de vous voir aussi mère.

Le mot de mère choqua Vanessa. Sa fille ne s'adressait jamais à elle que par "maman". Avant. La froideur du ton la paralysa un instant.

- Mère ? Cela sonne bien froid ma chérie.

Les joues de Mathilda rougirent d'embarras. Cinq ans de cours française collet monté l'avait rendu plus hautaine, plus dure. À vrai dire, la cours française n'était pas seule responsable. Le duc de Laval n'y était pas étranger non plus. Elle avait plus que besoin de retrouver la chaleur de sa famille. La seule ombre à ce voyage était l'absence de son fils. Une décision difficile dont elle sentait la culpabilité sur ses frêles épaules.

- J'aurais aimé que tu emmènes mon petit-fils.

- Une autre fois peut-être maman.

Elle ne voulait pas révéler ses difficultés conjugales à sa mère. Il n'était ni nécessaire de l'inquiéter ni nécessaire de donner du grain à moudre aux ragots. Elle savait que cela n'avait pas changé. Les gens n'aimaient rien mieux que les histoires croustillantes du malheur des autres. Elle ne le supporterait pas. Elle préférait faire apparaître son voyage comme une gentille réunion de famille. Et il l'était en réalité.

Gabrielle, arriva, à la suite de Vanessa. Le visage épanouit, reflet de la rondeur de son ventre.

- Mathilda ! Vous voilà enfin !

Elle se jeta à son cou, Mathilda la toucha du bout des doigts dans une froide accolade.

- Votre frère est impatient de vous voir. Il sera là ce soir. Il avait des affaires à régler à Londres. Beckie l'accompagne.

Mathilda n'avait pas ouvert la bouche tant elle était comme submergée par un flot d'émotions qui oscillaient entre la joie et le malaise. Gabrielle le ressentit au plus profond d'elle-même et ne put s'empêcher de demander.

- Tout va bien, Mathilda ?

La jeune femme sembla revenir dans l'instant présent.

- Oui, bien sûr, c'est juste la fatigue du voyage.

- Venez prendre une collation ma chérie. dit Vanessa. Je vais aussi demander que l'on vous prépare un bain, cela vous délassera de la fatigue du voyage.

Elles pénétrèrent toutes les trois dans la grande demeure qu'était Ashby. Elles s'installèrent au salon où Georgiana la fille d'Ashton et Gabrielle jouait à la poupée avec Bessie sa nurse. La petite fille avait les cheveux noirs de son père et les yeux bleus nuit de sa mère. Mathilda s'attendrit devant l'enfant si jolie.

Gabrielle prit sa fille dans ses bras et s'approcha de Mathilda.

- Regarde ma chérie, voici ta tante Mathilda.

La petite fille sourit et tendit les bras. Mathilda l'attrapa sous les aisselles et la serra contre elle, l'embrassant sur la joue.

- Elle n'est pas sauvage. dit-elle à Gabrielle

- Absolument pas.

- Son cousin est un peu plus craintif, je le crains.

- Dommage que vous ne l'ayez pas emmené. Georgie aurait eu un ami avec lequel jouer.

Mathilda ne répondit pas. Elle ne voulait pas trop s'expliquer sur ses raisons qui la contraignait à laisser son fils sur le continent. Elle s'assit sur le canapé, sa nièce sur les genoux. La petite fille s'agita, peu désireuse de rester sur sa tante. Mathilda la posa à terre et la petite dodelina jusqu'à ses poupées.

Un bruit de pas se rapprocha de plus en plus rapide. La porte s'ouvrit en grand et une tornade de soie jaune fit irruption dans la pièce.

- Mathilda ! hurla la jeune femme qui venait d'entrer.

La duchesse de Laval se leva tel un ressort, fascinée par la grande jeune fille qui lui faisait face. La petite Beckie n'avait plus rien de la petite Beckie. Grande, élancée, la taille fine, seule sa poitrine semblait ne pas avoir suivi sa croissance.

- Beckie !

Mathilda fit un effort pour ne pas tomber en arrière à cause de l'assaut de sa cadette. Elle lança son regard par-dessus les épaules de sa sœur. Son frère Ashton portait la petite Georgiana et embrassait avec tendresse, la joue de sa femme. Il était la personne qu'elle appréhendait le plus de voir. D'une certaine manière, elle lui en voulait sans jamais arriver à le détester. Il n'avait fait que plier devant des lois ancestrales et archaïques. Lui comme elle n'avait pas eu le courage de résister à la pression de la bonne société londonienne.

Il s'approcha avec lenteur, presque sur la pointe des pieds, comme il l'aurait fait pour un animal sauvage. Il craignait aussi ses retrouvailles. Leur confiance s'était écaillée des décisions prises il y a cinq ans.

Ashton eut un pincement au cœur en la regardant. Elle était belle, il n'y avait aucun doute là-dessus. Mais la beauté pétillante de ses dix-neuf ans, était devenue froide et hautaine. Il ne put s'empêcher de penser qu'il avait eu tort. Son mariage, au premier abord, ne semblait pas l'épanouir. Lui, qui tenait à octroyer aux femmes plus de liberté, avait finalement failli à sa propre sœur, mariée contre son gré. Cela lui avait paru la meilleure des solutions à l'époque.

- Bonjour Mathilda.

- Ashton. dit elle dans un mouvement de tête altier.

- Je suis heureux que tu sois là. Combien de temps comptes-tu rester ?

Elle prit un temps avant de répondre.

- Je n'en sais trop rien, mais je comptais probablement passer les fêtes de Noël ici.

- Si longtemps ?

- J'espère que cela ne vous dérange pas.

- Je suis juste surpris que vous restiez si longtemps loin de votre fils.

Elle ne lui répondit pas tout de suite. Elle se contenta de se rasseoir sur le canapé, posa une main crispée sur l'accoudoir, un frisson remonta sur son dos. Le poids de sa culpabilité sûrement. Mais elle avait tant appris en France, le stoïcisme n'avait plus de secret pour elle. Elle fit donc une réponse des plus placides.

- Il est trop petit pour se rendre compte du temps qui passe.

L'assemblée parut à l'unisson surprise par cette réponse qui montrait une facette de Mathilda qu'ils découvraient. Mais la connaissaient-ils encore ?

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