Chapitre 4

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Mathilda avait bien tenu son rôle de marraine en présentant Rebecca à la Reine Victoria. Aujourd'hui, elle l'accompagnait pour son premier bal. Rebecca était vêtue d'une robe blanche brodée de paillettes argentée. Ses cheveux trop court, juste relevés par quelques épingles formaient de belles anglaises. Un léger maquillage rose brillait sur ses lèvres pleines. Le tout la rendait méconnaissable. Elle apparaissait comme la parfaite débutante. D'ailleurs, son carnet de danse se remplit aussi vite que l'engouement de ses messieurs. Elle dut même refuser les invitations de plusieurs d'entre eux.

Elle désespérait d'ennui au milieu de cette foule d'aristocrates qui n'avait rien d'autre en tête et comme conversation que leurs précieuses personnes. Les hommes avec qui elle dansait paraissaient mettre un point d'honneur à lui déballer leurs qualités et leurs avoirs. Comme si elle pouvait se bercer d'illusions sur ce déballage dithyrambiques. Les autres jeunes filles s'avéraient-elles donc si naïves ou faisaient-elles semblant, laissant le sexe opposé vivre dans un cruel aveuglement ?

Elle rejoignit Mathilda aux boissons, essouflée, assoiffée par les danses enchaînées.

- Eh bien Beckie qui aurait cru que tu aies tant de succès ?

- Certainement pas moi. J'espère qu'ils ne viendront pas frapper à notre porte demain matin. Ils sont tous plus ennuyeux les uns que les autres.

Un couple qui venait d'arriver éveilla l'intérêt de Mathilda. Adrian Pelham au bras de Sophie Sinclair, se fraya un chemin vers le buffet des boissons. L'homme à qui elle devait tous ses tourments s'avançait, l'œil fixé sur elle. Elle eut un léger mouvement de recul, mais sa sœur lui attrapa le poignet.

- Que fait-il là ? Et pourquoi avance-t-il vers nous ?

- Il nous a vues, je pense.

- J'espère qu'il ne croit pas recevoir un accueil chaleureux.

- Beckie, ne fait pas d'esclandre s'il te plaît.

Mathilda se composa une attitude altière et froide, coutume apprise en France. Frayer avec des gens qu'elle n'aimait pas et qui voulaient la voir faire un faux pas se révélait être son quotidien. Lorsque le couple fut assez près, ils entreprirent tout deux, une révérence.

- Votre Grâce. dit Adrian. Quelle surprise de vous voir ici ?

- Lord Adrian, Lady Sophie.

Sophie regardait Mathilda de son air envieux d'autrefois. Sauf que ce regard se destinait auparavant à Gabrielle qui l'avait supplanté dans le cœur d'Ashton. Quand Sophie comprit qu'Ashton ne l'épouserait jamais, elle jeta son dévolu sur le duc de Laval. Celui-ci, bien que charmé par la belle blonde qu'elle était, demanda, contre toute attente, la main de Mathilda. Sophie lui vouait, depuis, une haine qui transpirait de tous ses pores. Si seulement elle avait pu lui laisser sa place, elle l'aurait fait volontiers. Peut-être que Sophie aurait été plus à son aise dans ce rôle de duchesse de figuration ?

- Mon épouse était donc bien informée.

- Votre épouse ?

Adrian tapota la main de Sophie qui reposait sur son avant-bras.

- Sophie est maintenant Sophie Sinclair Pelham.

Mathilda ne put s'empêcher de penser que ces deux-là formaient un couple bien assorti. Entre malveillance, manipulation et égocentrisme, ils devaient s'entendre à merveille. Elle pria le ciel pour qu'ils épargnent au monde l'offense d'une progéniture.

- Venez Mathilda. dit Beckie.

- Vous ne nous présentez pas. dit Sophie.

- Ne vous inquiétez pas, moi, je vous connais. répondit Rebecca un peu trop hargneuse.

- Rebecca ! s'exclama Mathilda. Pardonnez ma sœur, elle a encore la fougue de la jeunesse. Si vous voulez bien nous excusez.

Elle attrapa Rebecca par la main et elles tournèrent le dos aux deux importuns et s'éloignèrent de l'autre côté de la salle.

Cette rencontre, tout en l'arrachant à l'ennui, avait agacé Rebecca. Elle n'ignorait rien des déboires de sa soeur cinq ans plus tôt et vouait une haine terrible à Adrian Pelham. À l'époque, elle avait trouvé odieux que seule Mathilda paye les délires de cet homme dérangé. Il fallait qu'elle s'aére un peu. Elle s'excusa auprès de sa soeur et sortit sur la terrasse.

Elle frissonna sous l'air frais de l'hiver. Elle s'avança dans la nuit et s'assit sur un banc que le clair de lune baignait de lumière. Elle dégagea de son réticule, un boîtier en argent d'où elle retira une cigarette qu'elle chauffa à la flamme d'une allumette. Elle savait que si elle était surprise en train de fumer comme la dernière des prostituées, elle allumerait un incendie de ragots intarissables. Mais, elle aimait tenter le diable. Sa nature rebelle était ainsi faite. Elle souffla la fumée en renversant la tête en arrière. Ce simple geste la déstressa de cette soirée assommante. Tout à coup, une voix l'extirpa de cet instant de relaxation.

- Voilà une bien curieuse habitude pour une jeune débutante.

Rebecca se releva, en sursaut, et jeta l'objet du délit sur le sol, le laissant se consumer sur l'herbe humide. Un homme devant elle, grand, d'une stature athlétique, la dominait de toute sa hauteur. Dans la pénombre, elle ne discernait pas ses traits, mais quelque chose dans son intonation lui paraissait familière. Il se rapprocha, jusqu'à être éclairé par les rayons bleus de la lune. Rebecca resta sans voix, son corps sembla se figer de surprise. Philippe Tremaine se tenait là, son sourire espiègle, celui qu'il usait avec elle dans sa jeunesse, étalé sur son visage. Il s'approcha encore et lâchant son regard, il baissa les yeux sur sa chaussure qui écrasa la tige blanche qui continuait de fumer.

- Vous avez de la chance de vous faire attraper par moi plutôt que par une de ses patronnesses de l'Almack's.

Elle le regardait toujours stupéfaite, n'osant pas bouger ou ne le pouvant pas, elle ne savait pas très bien.

- Vous devriez rentrer, vous paraissez tétanisé de froid. Votre jolie bouche est en train de bleuir.

Sa jolie bouche ? Il avait vraiment dit ça ? Tout son corps se réchauffa sous le compliment. De toute évidence, il ne semblait pas la reconnaître. Elle avait apprécié l'amitié qu'ils partageaient ensemble. Elle savait qu'il ne la voyait que comme une petite fille, mais elle aimait le respect qu'il mettait à l'écouter. Si elle s'avouait sincère, elle avait toujours eu un faible pour ses beaux yeux verts. Yeux qu'elle discernait mal, dans la pénombre. Sans savoir ce qui la poussa à agir de la sorte, elle voulut le taquiner.

- Peut-être pourriez-vous la réchauffer ?

Elle le vit se raidir de surprise et lever les sourcils, interrogateur, alors que sur sa bouche, se dessinait un sourire de féminine victoire. Elle le frôla et posa une main sur sa joue. Sa paume se piqua au léger chaume de barbe naissante. Elle ne pensait pas aller plus loin. Elle voulait lui avouer qu'elle était la petite Beckie, toujours espiègle, qu'elle cherchait juste à le tourmenter, comme par le passé. Mais, elle eut la mauvaise idée de plonger dans ses yeux. Elle faillit fondre de l'intensité du regard qu'il portait sur elle, puissant, magnétique, doux et mêlé d'un désir brut. Il effleura sa taille sans trop appuyer. Sa main retomba sur son épaule, il la serra plus près.

- Êtes-vous sûre ?

Pour toute réponse, elle fondit sur sa bouche, le prenant de court. Elle prit le commandement de leur baiser, mordant sa lèvre inférieure, l'aspirant dans sa bouche. Philippe en marin aguerrit parti à l'abordage de la belle et la pénétra de sa langue. Elle l'accueillit consentante et répondit à son assaut par des gémissements qui enflammèrent les sens du camp adverse. L'impétueux la souleva et la positionna sur ses genoux alors qu'il s'assoyait sur le banc. Il parcourut le cou de Rebecca de ses lèvres. Il s'écarta un instant pour la regarder. Elle avait les joues rouges, témoins de son bouillonnement intérieur et les yeux voilés de la soif qu'elle couvait pour lui.

- Il va falloir que vous m'arrêtiez.

Elle s'ébroua mentalement pour retrouver sa raison. Ce n'était pas l'endroit pour ce genre de chose. Si jamais on les surprenait, elle n'osait imaginer la suite. Sa liberté se terminerait là. Elle le repoussa et descendit de ses genoux. Debout, elle lissa sa robe, espéra que sa coiffure n'en dévoile pas trop de ses activités. Elle lui lança un regard et s'avança vers la terrasse. Il la rattrapa par le bras.

- Peut-être pourriez-vous me donner votre nom ?

Son nom ne resterait pas longtemps secret. De ça, elle était certaine. Elle préférait garder pour quelques heures, quelques jours encore son anonymat. Surtout qu'elle ne savait pas comment il réagirait en apprenant sa véritable identité.

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