Chapitre 6

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Alors qu'elle se rendait chez Smith's Candles, elle pensait au week-end qui venait de s'écouler. Après le bal, elle s'était bien attendue à revoir Philippe, mais le choc avait tout de même été là. Elle restait troublée par sa présence. Il dégageait une telle force, un tel magnétisme. Petite-fille déjà, elle ressentait cette attraction, un peu plus tard vers ses quinze ans, elle commença à s'inventer des histoires où Philippe prenait une place fascinante de corsaire qui l'emportait au loin. Il la berçait souvent d'anecdotes fabuleuses de pays lointains aux mœurs étranges. Comme elle aurait voulu parcourir le monde avec lui. Et aujourd'hui encore, elle se rêvait aventurière. Pour le moment, son aventure se bornait à mener au bout son reportage sur le travail des femmes et leurs conditions.

L'hypocrisie de ce monde qui interdisait aux femmes de travailler, mais qui les envoyaient, contraintes par la pauvreté, trouver un emploi où les employeurs les rémunéraient pour le même travail moitié moins qu'un homme. Rebecca s'était liée d'amitié avec Maggie, une mère de famille abandonnée par son mari qui vivait dans des conditions effroyables. Forcée de vivre dans un deux-pièces avec ses cinq enfants. elle n'avait pas d'autres choix que de travailler tous les jours en dépit d'une santé fragile. Il le fallait pour nourrir sa progéniture dont le plus grand devait aussi se rendre à l'atelier, à tout juste dix ans. Cette réalité s'avérait à l'opposé de ce qu'elle connaissait, jamais elle ne s'était imaginé une telle misère. Les gens et les femmes en particulier déployaient au quotidien, un courage exemplaire. Écrire leurs histoires et leurs combats ne lui semblait pas suffisant. Elle voulait faire plus. Peut-être pourrait-elle organiser, avec l'aide de sa belle-sœur, un bal où elle réunirait des fonds ? Elle en était là de ses réflexions quand elle arriva à l'usine.

Elle salua John et Harry qui déchargeaient des fûts de matière première et entra dans l'usine le pas assuré se dirigeant d'abord vers le bureau de Byrne où elle posa ses affaires. Elle longea ensuite le grand couloir et se retrouva dans les ateliers. L'odeur de charbon lui emplit les narines. Ses yeux roulèrent sur les hommes, les femmes et les enfants qui travaillaient là. Elle cherchait du regard Maggie. La chaleur se révélait dense, à cause des cuves qui chauffaient la cire de paraffine. Rebecca sentait déjà un fin voile de sueur recouvrir sa peau. Elle repéra les cheveux blonds décorés de gris argenté et s'approcha. La femme assise à son atelier, versait la cire chaude dans les moules prévus à cet effet. Elle s'arrêta pour saluer Rebecca. Comme à son habitude depuis quelques semaines, Rebecca l'aida dans sa besogne, tout en débutant la conversation.

Elle ne vit pas l'ombre qui la recouvrit.

- Lady Rebecca, une surprise de vous voir ici.

Elle se raidit au son de la voix de Philippe Tremaine. Mais que faisait-il là ? Il n'avait quand même pas eu l'audace de la suivre ? Elle se leva, et se retourna avec lenteur vers Philippe et Cameron qui l'accompagnait. Celui-ci sembla surpris.

- Vous vous connaissez ? demanda-t-il en les regardant tour à tour.

Philippe répondit le premier, un sourire en coin.

- Oui, mais Lady Rebecca n'est jamais là où on l'attend.

- Je vous retourne le compliment.

- Il se trouve jeune demoiselle que cette usine m'appartient.

Elle en resta bouche bée. Elle chercha le soutien de Cameron qui se contenta de lui rendre un sourire désolé. Le destin s'acharnait contre elle. Comment allait-elle expliquer sa présence ici sans que sa famille ne le sache ?

- Comment ça ?

- Disons plus précisément que Smith's Candles appartient au Comte de Cassilis.

Et Philippe venait d'hériter du titre. Drôle de coincidence.

- Mr Byrne, peut-être, pourriez-vous m'expliquer la présence de cette jeune-fille dans l'atelier ?
Cameron se racla la gorge avant de répondre.

- Oui, elle est envoyée par l'English Woman's journal.

Philippe releva un sourcil en la regardant. Elle posa sa main sur son bras.

- Pouvons-nous discuter en privé ?

Il s'excusa auprès de Cameron et l'attira avec lui jusqu'à son bureau. Il prit soin de refermer la porte derrière eux. Il s'adossa sur le chambranle bras croisés sous sa poitrine.

- Alors ? J'imagine que votre frère est au courant ?

Elle rongeait, nerveuse, l'ongle de son index. Elle cherchait un moyen de s'en tirer, mais rien ne lui venait. Elle continua de le regarder sans rien dire.

- Je vois. Votre mutisme en dit long. Donc, votre frère n'est pas au courant de votre petite activité journalistique.

Pour toute réponse, elle se mit à arpenter la petite pièce sur la largeur. Philippe la suivait du regard. Elle était charmante ainsi à la fois fâchée, gênée et concentrée sur la fable qu'elle tentait d'imaginer. Elle s'arrêta soudain, s'approcha de lui d'un pas décidé.

- Vous ne direz rien, n'est-ce pas ?

Il n'avait pas l'intention de trahir son secret, mais il choisit de la tourmenter un peu. Après tout, elle s'était bien joué de lui l'autre soir, c'était de bonne guerre.

- Et pourquoi ne le ferais-je pas ?

- Nous sommes amis non ?

- Je suis surtout l'ami de votre frère. C'est à lui que va ma loyauté.

Elle riva ses yeux aux siens. Des yeux remplis d'éclairs qui allumaient l'or de ses prunelles noisette. Il n'avait jamais remarqué ses paillettes dorées auparavant. Mais elle n'était plus une petite fille et son parfum chatouillait ses sens, entêtant.

- Que puis-je faire pour que vous gardiez le silence ?

"M'embrasser" est ce qui lui vint à l'esprit. Il posa ses yeux sur les lèvres roses, suppliantes. Son instinct lui cria qu'elle se plierait s'il osait lui demander. Il ne pouvait pas. Sans savoir pourquoi, une idée, un peu hasardeuse, lui vint à l'esprit.

- Je crois que vous pouvez m'être utile.

- Dites-moi...

- Je vais avoir besoin de me trouver une épouse et vous connaissez certainement mieux que moi vos semblables...

L'hilarité de Rebecca fut instantanée, elle riait aux éclats, la tête renversée, la main sur son ventre.

- Je ne vois pas ce qui vous fait rire.

Elle inspira et expira de grandes bouffées pour reprendre contenance. Elle essuya les larmes qui coulaient de ses yeux avant de lui répondre.

- Me demander ça à moi, avouez que c'est cocasse.

Ça l'était, il ne pouvait nier, mais il s'agissait juste d'un jeu. Il continua donc dans sa lancée.

- Mais intelligent.

Elle le regarda avec sérieux.

- Vous n'y pensez pas vraiment ?

- Si.

- Je ne suis pas la bonne personne pour ça. Demandez-moi autre chose.

Des coups frappèrent à la porte, Philippe se décala sur le côté et Cameron entra dans la pièce.

- Monsieur le Comte, un courrier est arrivé pour vous, le messager dit que c'est urgent.

Philippe lui prit le courrier des mains, le décacheta et en commença la lecture. Son visage devint livide et sa main tremblante. Il regarda Cameron et s'excusa. Il devait partir séance tenante. Il ne daigna même pas un regard pour Rebecca qui se sentit blessée par ce manque de considération.

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