Chapitre 10

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Épaulé contre le chambranle de la porte de la nurserie, Louis regardait Mathilda jouer avec Mathieu. Le petit garçon faisait rouler devant lui le petit train reçut sous le sapin. Mathilda était assise à ses côtés. La maternité lui allait bien. Il aurait voulu la voir une nouvelle fois enceinte de ses œuvres. Mais, après la naissance de Mathieu, elle préféra garder ses distances. Il ne partageait plus sa couche. Peut-être n'aurait-il pas dû accepter, ils n'en seraient pas là aujourd'hui. Elle s'aperçut de sa présence et se releva, se composant un masque de dureté. Avait-elle besoin de cet écran de protection avec lui ? Bien sûr qu'elle en avait besoin. Il l'avait rendu ainsi, sèche et froide. Pourtant, elle était un joyau, brillante, envoûtante, unique en son genre. Il l'avait éteinte. Ici, au sein de sa famille, il retrouvait la femme entrevue autrefois. Finalement, il ne la connaissait pas. Elle plongea dans une légère révérence. Il lui répondit d'un léger signe de tête et s'avança enfin dans la pièce.

- Père, regardez mon nouveau jouet.

Il s'accroupit auprès de son fils, lui passa la main dans ses cheveux.

- Il est magnifique Mathieu.

Le petit garçon s'accrocha à lui calant son nez dans son cou. Son fils offrait des élans d'affection qui le mettait à genoux. Jamais il ne résistait. Il le serra dans ses bras. Mathilda les observait, l'œil humide de larmes retenues. Louis se releva en gardant ses yeux dans les siens, Mathieu toujours agrippé à lui. Il interpella la nourrice.

- Bessie, voulez-vous bien prendre Mathieu s'il vous plaît. Sa grâce et moi devons parler.

Il perçut le léger tremblement de Mathilda. Il ressentait bien qu'elle ne voulait en aucun cas discuter. Il ne pouvait pas continuer comme cela. Ce silence implicite le rongeait. Bessie prit l'enfant avec elle et sortit de la pièce, les laissant seuls tous les deux. L'atmosphère de la chambre aux tentures jaunes, parsemée de jouets, de fauteuils miniatures, ne semblait pas se prêter à une discussion adulte et sérieuse. Il se sentait presque inconvenant. Mathilda restait immobile à le regarder de cet œil froid

- Il faut que nous discutions, finit-il par dire.

Elle se retourna et se dirigea vers la fenêtre.

- Et de quoi pourrions-nous bien discuter ?

Il sentit la colère bouillonner dans son ventre, mais la calfeutra ne la laissant pas exploser.

- Mathilda...

Elle eut un léger sursaut à l'utilisation de son nom, mais ne se retourna pas.

- Mathilda, vous ne pouvez pas me quitter, mettre une mer entre nous et penser qu'une simple lettre soit suffisante.

Il vit ses épaules se voûter. Elle agrippa le rideau jaune et caressa de son pouce les broderies de fleurs vertes. Elle resta silencieuse.

- Je ne comprends pas. Je sais que j'ai des torts. Je sais même que je porte l'entière responsabilité de l'échec de notre union, mais, Mathilda, nous avons un fils...

- Cela devient trop dur Monsieur...

Il se rendit compte qu'il détestait qu'elle l'appelle "Monsieur". Il trouvait ça ridicule.

- Vous, votre froideur, votre belle-mère qui n'a de cesse de me rabaisser, vos amis qui se moquent doucement et le pire de tout, votre maîtresse qui ne se gêne pas pour venir m'humilier en public.

Il avait rompu avec Clémentine depuis des mois, mais l'esprit irréfléchi et tortueux de la jeune-femme s'inventa une histoire où son épouse était la cause de sa désertion. Une fable teintée de vérité. Clémentine avait voulu se venger, avec succès.

- Je sais que tout n'a pas toujours été facile... Clémentine n'aurait jamais dû vous approcher...

-  Vous aviez promis...

Sa voix sonna presque imperceptible. Il se rapprocha. Qu'avait-il promis ? Il pensait n'avoir jamais pris cet engagement.

- Vous me deviez la fidélité ou du moins le respect.

Croyait-elle vraiment en ses paroles ? Mais comment aurait-il pu lui rester fidèle alors même qu'elle lui fermait sa porte ? Ne savait-elle pas que les hommes avaient des besoins vitaux ?

- Je ne suis qu'un homme Mathilda, depuis la naissance de Mathieu, vous me refuser votre lit.

Elle se raidit. Il se rapprocha encore, jusqu'à ce lui chatouiller le cou de son souffle. Il prit soin de ne pas la toucher.

- Clémentine n'aurait jamais dû...

Elle se retourna, vive, les pommettes rougis de colère, les yeux qui ne retenaient plus l'eau de ses émotions. Pourquoi avait-il fallu attendre aujourd'hui pour qu'il s'aperçoive du diamant qu'elle était ?

- Surtout, ne vous avisez pas de prononcer son nom avec moi. Vous n'êtes qu'un homme avec toutes ses faiblesses, l'arrogance, la goujaterie, la concupiscence, l'égoïsme...

Elle lui jetait sa rancœur avec véhémence en plein visage. Il la fit taire en plaquant son corps au sien, la collant contre la vitre. Il pouvait sentir son cœur battre la chamade. Son regard se teinta d'effroi. Non, ce n'était pas ce qu'il souhaitait voir dans ses yeux. Il voulait la voilure du désir, la douceur de la passion. Peut-être ne prenait-il pas le bon chemin, mais il ne put s'en empêcher. Il plaqua ses lèvres sur les siennes. Il avait oublié son goût fruité. Il se fit plus tendre, déposant de légers baisers le long de sa lèvre inférieure, attendant avec patience qu'elle cède. Elle ne fermait toujours pas les yeux. Il glissa sa bouche le long de son cou, remontant sa main, dans une experte caresse, le long de son bras. Elle se ramollit et abaissa enfin ses paupières. Elle le laissa pénétrer sa bouche, consentante. Elle agrippa sa main à ses cheveux, coopérant au suave ballet de leurs langues. De son genou, il lui écarta les cuisses, se nichant ainsi entre ses hanches. Elle retint un hoquet de stupeur. Elle le repoussa de ses deux mains, d'une poussée fébrile. Ils se dévisagèrent plusieurs secondes, le souffle court. Elle le gifla et sortit de la pièce à grandes enjambées.

Rebecca s'arrêta avec Zoé sur la pelouse d'Ashby. Son neveu, sa nièce et la petite Caroline profitaient de l'air frais et sec avec Bessie. Mathieu pédalait sur son tricycle, alors que Georgiana tentait de faire rouler un cerceau. Caroline, quant à elle, semblait observer ses camarades et rester en retrait. Rebecca s'approcha d'elle, avec lenteur. L'enfant la regarda de ses grands yeux bleus.

- Bonjour, dit Rebecca en s'accroupissant face à la petite fille.

Elle agita son regard de tous côtés dans l'espoir de trouver où se cacher. Rebecca lui sourit.

- Tu es Caroline ? Moi, c'est Beckie.

Elle tenait une poupée dont le visage se cachait dans la soie de ses cheveux blonds. Elle ne ressemblait en rien à son père.

- Comment s'appelle ta poupée ?

La petite fille lui sourit enfin.

- Pipa

- Pipa, c'est un bien joli nom. Quand j'étais petite, ma poupée s'appelait Myrtille parce que j'adorais les myrtilles.

La petite fille se mit à rire, de ce rire d'enfant cristallin et contagieux. Rebecca rit à son tour. Mathieu et Georgiana, curieux, dodelinèrent jusqu'à leur tante. Elle se leva d'un coup et leur courut après. Les cris et l'hilarité se mélangèrent et fusèrent haut dans le ciel.

Plus loin, Philippe Tremaine, sur son cheval, observait la scène avec tendresse. Sa fille ne riait pas souvent. Il remercia secrètement les Compton et Rebecca qui possédait ce don du bonheur.

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