Chapitre 11

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- Lord Tremaine demande à vous voir.

Rebecca releva la tête de son article qu'elle tentait d'arranger. Elle devait le présenter dans deux jours et elle ne cessait pas de le recommencer, ne le trouvant jamais assez bien.

- Faites le attendre dans le salon et demander à Lady Standford de nous rejoindre.

Elle ne savait pas ce qu'il voulait et ne préférait pas se retrouver seul avec lui. Chaque fois, cela se terminait comme cela ne devait pas se terminer. Elle ne pouvait nier son attirance et l'électricité qui crépitait dès qu'ils demeuraient dans la même pièce.

Il se leva à son entrée. Son regard se porta sur ses doigts, qu'il trouva tâchés d'encre comme toujours. Elle les cacha dans les plis de sa jupe.

- Lord Tremaine, que me vaut l'honneur.

- Vous voilà bien formelle, dit-il en s'approchant beaucoup trop près. J'aurais pensé...

Lady Standford entra à ce moment-là, l'empêchant de continuer.

- Lord Tremaine, que nous vaut votre visite ?

- Lady Standford, je souhaitais inviter Lady Rebecca au bal des Holand.

Rebecca leva les sourcils alors qu'il se tournait vers elle.

Il s'installa dans le canapé sans la lâcher des yeux.

- Lady Rebecca a promis de m'aider.

- De vous aider ? répondit Lady Standford.

- Oui, à trouver une épouse.

Le visage de Rebecca se ferma. Il était donc sérieux. Sans savoir pourquoi, elle en ressentait de la contrariété. Lady Standford les regarda tour à tour. Elle semblait beaucoup s'amuser.

- Je ne savais pas que Lady Rebecca était qualifiée dans ce type de recherche, marieuse ne me semble pas tout à fait lui correspondre.

- Au contraire Lady Standford, son sens critique me sera d'une grande utilité.

Lady Standford se tourna vers Rebecca.

- Eh bien ma chère la décision est votre.

Rebecca serra les mâchoires avant de répondre.

- Ai-je le choix ?

Le sourire qui s'étira sur le visage de Philippe lui porta sur les nerfs.

- Non, vous ne l'avez pas.

Il était donc clair que si elle refusait, il irait trouver son frère pour l'informer de ses activités. Elle devrait alors retourner à Ashby ou se faire chaperonner avec l'obligation de danser à tous les bals de la saison. Elle ne souhaitait pas subir cet affront et son projet de chroniqueuse lui tenait trop à cœur. Il avait raison, elle n'avait pas d'autres choix.

- Très bien, Lady Standford, acceptez-vous de me chaperonner ?

Rebecca arrêta son coupé au siège de Langham. Elle monta les marches, un peu fébrile, un noeud dans l'estomac. Est-ce que son article serait suffisamment bon pour être publié ? Elle avait opté pour deux versions, incapable de se décider vraiment. Bessie Rayner l'accueillit dans son bureau et l'invita à s'asseoir face à elle. Elle lui tendit les deux paquets de feuilles.

- Je n'ai pu me décider pour la meilleure version, je vous ai donc apporté les deux.

- Bien, voyons voir.

Bessie piqua le nez dans les articles de Rebecca qui guettait la moindre de ses réactions. Un froncement de sourcil et son souffle se coupait, un hochement de tête et son cœur s'emballait. Bessie une fois terminée sa lecture, posa le premier paquet sur le côté et attaqua la deuxième version sans jamais regarder Rebecca. Le temps paraissait interminable. Enfin, elle releva les yeux. Son visage n'exprimait rien.

- Eh bien...

Rebecca se pencha légèrement en avant, attrapant le bureau de ses deux mains.

- C'est assez réussit.

Le "assez" se planta, comme une flèche, en plein coeur. Elle attendait le "mais".

- Mais, selon moi, la première version est meilleure, il manque toutefois l'aspect responsabilité de l'employeur. Je vous laisse quinze jours pour l'améliorer.

Rebecca acquiesça. Elle se sentait à la fois déçue et soulagée de ne pas être recalée à la première lecture. Il lui restait donc du travail et cela ne lui déplaisait pas. Pour le moment, il était temps pour elle de se préparer pour le bal des Holand.

Lorsqu'elle entra dans le salon, Philippe se tenait de dos. Il se retourna au son de ses pas. Il resta un moment figé à la regarder. Elle s'était autorisée une robe vert-canard, une entorse volontaire au statut de débutante. Ses cheveux courts juste bouclés et retenus par de petites fleurs en diamant, elle arborait un air sérieux. Philippe s'approcha et prit sa main qu'il effleura de ses lèvres.

- Lady Rebecca, vous êtes ravissante.

Elle se maudit de rougir.

- Vous êtes vous-même très élégant.

Lorsqu'ils arrivèrent chez les Holand, le bal battait déjà son plein. Ils étaient en retard. Une partie de la foule se massait devant les boissons pendant que les autres dansaient un quadrille. Philippe prit le carnet de bal de Rebecca qui reposait sur la table à l'entrée de la salle et inscrit son nom sur une valse avant de lui tendre.

- Je ne voudrais pas que vous vous retrouviez sans partenaire et obligé de rester assise près du mur.

Elle lui arracha le carnet des mains avec une vigoureuse crispation.

- Laissez-moi vous dire que mon carnet a toujours été rempli jusqu'à présent. Il m'a même fallu refuser...

Elle s'arrêta net devant sa mine moqueuse. Il le faisait exprès le rustre et elle tombait dans le piège.

Elle glissa son carnet à son poignet.

- Voyons voir, qui pourriez-vous inviter ?

Elle déambula autour de la salle, Philippe à sa suite. Elle observait les jeunes filles présentes. Aucune ne semblait convenir à un homme comme Philippe. Trop jeune, trop fade, pas assez, juste pas assez, même si elle ne savait pas bien de quoi.

Elle s'arrêta net, Philippe manqua la percuter. Elle se retourna.

- Bon, je pense que vous pouvez déjà inviter Lady Alice et Lady Cordelia.

- Qui sont ?

- Les deux jeunes filles près de la porte-fenêtre. Lady Alice est la fille du baron Abinger et Lady Cordelia est un bien meilleur parti si vous voulez mon avis. Elle est la fille du marquis Camdem.

Philippe tourna la tête vers les jeunes filles. Elles lui parurent bien communes. Cette comédie allait lui coûter. Il regarda Rebecca et son sourire narquois. Elle aussi elle jouait. Il s'éloigna pour se diriger vers les deux jeunes filles. Elle l'observait.

- Lady Rebecca !

La voix de Byrne la sortit de sa moqueuse contemplation.

- Monsieur Byrne, quelle surprise !

Le grand homme roux était d'une élégance irréprochable. Séduisant pensa Rebecca. Il baisa sa main en gentleman.

- Puis-je m'inscrire sur votre carnet ?

- Oui, bien sûr, dit-elle en le lui tendant. J'espère que tout le monde va bien à l'usine ?

- Oui, tout le monde va bien.

- Je dois revenir la semaine prochaine pour peaufiner mon article.

- Avec plaisir, dit-il sur un grand sourire.

Philippe observait de loin Rebecca et Byrne. Son estomac se contracta. Ce n'était pas très habituel pour lui. Il ne se confrontait jamais à des situations de... Il ne savait pas trop, jalousie était le mot qui lui semblait le plus correspondre. Voir Rebecca avec Byrne le dérangeait. Il n'aurait peut-être pas dû, mais c'était bel et bien le cas. Il s'approcha d'un pas vivace.

- Monsieur Byrne.

- Lord Tremaine, répondit Byrne d'un mouvement de tête.

Rebecca sentait la tension entre les deux hommes. D'expérience, elle imaginait en être la cause. Elle ne savait juste pas si elle devait s'en réjouir ou s'en inquiéter. L'heure des valses arriva et elle destinait la première à un certain comte de Kinkardine, fils du Duc de Montrose. Un petit homme joufflu et bégayant. Heureusement pour lui, pensa Rebecca, il était l'héritier d'un duché. Cela le rendait plus attrayant auprès de la gente féminine.

Ils dansèrent ensemble, une valse claudicante, un vrai calvaire pour elle qui se révélait plutôt bonne danseuse. Elle se réjouit de la fin de son supplice en s'inclinant en une distinguée révérence. Ramenée vers Lady Wimbourne, elle s'empressa de récupérer un verre de vin au stand des boissons.

- Vous devriez faire attention, petite souris. Votre tête risquerait de tourner.

Elle lui sourit, tout en continuant à siroter son vin.

- Comment était votre danse avec Lady Cordelia ?

- Absolument intéressante, comme vous pouvez vous en douter. La jeune femme possède une conversation disons, très... Vraiment, je ne sais comment qualifier ce manque de verbe.

Elle manqua un fou rire, qu'elle écrasa dans son poing ganté. Elle savait pertinemment que Cordelia Camdem manquait de vocabulaire. Elle connaissait aussi sa voix nasillarde qui ne sortait que des inepties. Elle n'avait pas l'intention de lui faciliter la tâche. Le jeu s'avérait bien trop amusant. Elle n'aurait su s'en passer.

Cameron Byrne s'approcha, alors que les premières notes de la valse suivante s'annonçaient. Ils se dirigèrent donc vers la piste. Du coin de l'œil, Rebecca vit Philippe en grande conversation avec Lady Alice. En fait, il se contentait d'écouter tout ce que la jeune-fille débitait. Il aurait été plus honnête de dire qu'il subissait son flot de paroles. Rebecca se moqua en son for intérieur.

- Vous êtes absolument ravissante Lady Rebecca. Je dirais même plus, vous êtes délicieuse ce soir.
Rebecca baisa ses paupières alors qu'ils tournaient sur la piste.

- J'ai le sentiment que je peux être direct avec vous.

Rebecca remonta son regard dans celui de Cameron Byrne. Elle ne répondit pas.

- M'autoriser vous à sonner à votre porte demain ?

Le message ne pouvait pas paraître plus clair. Que répondre ? Elle ne voulait pas lui donner de faux espoirs. En même temps, elle pourrait peut-être lui partager son article pour avoir son avis.

- Je pourrais vous faire lire mon article.

Il lui sourit.

- Avec plaisir, dit-il en la faisant tourner une dernière fois sous son bras.

Les dernières notes de musique s'envolèrent. Rebecca posa sa main sur le bras de Cameron. Il la ramenait à Lady Wimbourne. Philippe avait déjà rejoint Lady Standford. Il la regarda avancer. Son œil traînant sur sa silhouette. Elle eut comme un frisson. Il s'inclina devant elle.

- Permettez monsieur Byrne.

Ils s'éloignèrent en silence vers la piste de danse. Ils se positionnèrent, face à face. Philippe glissa sa main dans son dos, douce et ferme à la fois. Dès les premières notes, ils tournoyèrent, à gauche puis à droite. Philippe était un excellent danseur, il l'emportait avec facilité dans une virevoltante chorégraphie. Elle en avait presque le tournis. Il ne la quittait pas des yeux. Ils laissèrent leur corps, leurs regards avoir leur propre langage. Leurs bouches restèrent closes. Ils n'entendirent pas la musique s'arrêter, ils continuèrent leur valse. Les chuchotements qui montaient autour d'eux les ramenèrent à la réalité.

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