Chapitre 14

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Rebecca avait rendez-vous avec Virginia Smith. La dame d'une cinquantaine d'années, affichait une tête déjà blanche et les vicissitudes de la vie se creusaient sur son visage. Ses cheveux, tirés en un chignon strict sur sa nuque, lui donnaient un air de maîtresse d'école. Rebecca la trouva tout de suite sympathique. Elle dégageait une aura puissante et apaisante.

- Alors vous êtes envoyée par Bessie Raynard ? J'aime beaucoup Bessie.

- Oui, c'est moi qui rédigerai votre portrait, décrira votre quotidien.

- Vous êtes bien jeune dites-moi.

- J'aurai bientôt vingt et un an.

Virginia ricana doucement.

- Un âge que je vous envie. Comment souhaitez-vous conduire cette interview ?

Rebecca hésita un instant. Elle avait mûrement réfléchi, blessée par les mots de Philippe, elle voulait savoir, comprendre la complexité du monde. Ne plus vivre dans sa cage dorée. Qui mieux que Virginia Smith pour l'aider dans son initiation. Cette femme, parcourait les rues de Londres depuis des années. Elle paraissait la plus expérimentée pour lui montrer ce qu'on lui cachait.

- Je voudrais vous suivre dans vos diverses missions. Je trouve important de pouvoir vivre et observer les choses avant de les poser sur le papier.

- Sage précepte, mais la sœur du marquis de Northampton est-elle prête à découvrir la vie, à se retrouver face à la misère ?

Elle tint le regard vert perçant de Virginia.

- Absolument prête.

- Très bien, nous pouvons commencer cet après-midi par la distribution de tract à St Giles.

St Giles, le quartier le plus dangereux de Londres. Un labyrinthe de rues et ruelles gorgées de pub, de maisons closes. La pauvreté en était l'essence, la criminalité faisait loi et l'ensemble ressemblait à un hymne à la dépravation. Si sa famille apprenait qu'elle traînait dans St Giles, ils ne s'en remettraient jamais.

- J'espère que le lieu ne vous rebute pas.

- Non... Non.

- Bien. Je vous sers un thé avant de partir ?

Les rues de Church Lane où elles circulèrent, gorgeaient d'hommes et de femmes faméliques, d'enfants rachitiques, la crasse en point commun. Rebecca comprenait mieux la nécessité du comité de l'hygiène. Elle nota quelques bribes d'impression sur son carnet. Le lieu suintait la survie. L'hygiène ne semblait pas être le premier des sujets. Son cœur se serra devant tant de misère. Elles s'arrêtèrent à un coin de rue. Ici, tout s'effondrait, les immeubles, les pavés, les passants. Les gens sans un sou, dépensaient le peu qu'ils gagnaient au pub. Beaucoup terminaient titubants sur les trottoirs alors que d'autres vidaient leurs tripes, sur les bas-côtés. L'odeur dégageait un fumet âcre, pestilentiel. Rebecca sortit son mouchoir de sa poche pour le poser sur son nez. Sa robe immaculée jurait au milieu des guenilles crasseuses. Les regards se tournaient vers elle. Des yeux envieux, torves, elle ne se sentait pas rassurée. La grisaille d'hiver ajoutait à l'ambiance d'insécurité. Virginia retira ses tracts du sac qu'elle avait apporté et commença à les distribuer aux badauds, expliquant les grandes lignes. Le tract se voulait très simpliste, les images restaient centrales. Il ne fallait pas oublier que la plupart des habitants de St Giles ne savaient pas lire. Virginia en connaissait plusieurs d'entre eux. Elle s'intéressait à leur quotidien. Avaient-ils bien respecté ses conseils ? Devait-elle redonner les bonnes pratiques ? Elle prodiguait ses soins d'une patience exemplaire. Elle respirait l'amour de sa mission. Rebecca omit le temps un instant pour plonger dans le rôle de la bénévole venue aider des hommes et des femmes, moins chanceux qu'elle.

En rentrant, elle demanda à Virginia de récupérer quelques tracts. Le sujet du lavage des mains pouvait très bien être profitable aux ouvriers et ouvrières de Smith Candle's. Virginia accepta avec bonhomie.

La semaine suivante, elle se décida à se rendre chez Smith Candle's. Elle croisa Cameron Byrne avant de rentrer dans l'atelier. Elle lui expliqua son projet de transmettre une certaine conscience aux gens des pratiques essentielles à la vie dans de bonnes conditions d'hygiène.

- Ma foi, l'idée semble intéressante. Et puis Lord Tremaine est dans de bonnes dispositions en ce moment.

- C'est à dire ?

- Oui, il augmente les salaires, il met en place des salles de classe pour les enfants...

Rebecca en resta sans voix. Était-ce son article qui l'avait décidé ? Si c'était le cas, cela ressemblait à une marque de confiance dont elle ne se sentait pas digne. En même temps, à bien y réfléchir, il montrait toujours du respect pour ses opinions. Même ses idées de petite fille gâtée. Maggie interrompit le fil de ses pensées.

- Mademoiselle Rebecca, dit elle en la serrant dans ses bras. Je voulais vous remercier.

- Mais de quoi Maggie ?

- De ce que vous avez fait pour John. Vous l'avez protégé.

- Vous n'avez pas besoin de me remercier Maggie. J'ai fait ce qui me semblait juste, c'est tout.

- Si tout le monde était comme vous mademoiselle, le monde serait bien meilleur.

Maggie l'embrassa sur les deux joues avant de retourner dans l'atelier. Rebecca pivota vers Cameron qui l'observait avec intensité.

- Elle a raison, vous savez.

Elle ne répondit pas. Elle ne savait quoi répondre de toute façon. Il prit sa main pour la porter à sa bouche. Il effleura ses doigts de ses lèvres, une demande d'approbation dans son regard. Rebecca sentit le rouge lui monter aux joues. Elle était honorée. Sans le brusquer, elle lui retira sa main. Elle le respectait, elle appréciait leurs discussions, mais elle ne voyait en lui qu'un ami, rien de plus. Dans ses yeux à lui vibrait autre chose qu'elle ne pouvait lui laisser croire.

- Monsieur Byrne, nous sommes bons amis...

Il souffla.

- Et nous resterons bons amis. J'espère que Lord Tremaine connaît sa chance.

- Que voulez-vous dire ?

Il prit quelques secondes avant de répondre.

- Que Lord Tremaine est un homme chanceux puisqu'il a votre cœur.

- Mais pas du tout ! s'exclama-t-elle.

Pour toute réponse, il lui sourit, d'un sourire affligé et lui tourna le dos.


Rebecca retourna à l'hôtel Compton. Elle voulait voir Philippe et comprendre ce qui motivait les changements fait à l'usine. Il n'était pas là. Elle demanda à sa mère où il se trouvait.

- Lord Tremaine est parti sur ses terres écossaises. Il avait des affaires urgentes à régler.

Il était parti sans dire au revoir. Son cœur se pinça d'une drôle de façon. La déception due se lire sur son visage car sa mère ajouta.

- Il ne sera absent que trois semaines. Il a laissé Caroline à nos bons soins.

Tout de même, il aurait pu lui dire qu'il partait. En fait, non, il ne lui devait rien et elle ne possédait aucun droit sur son emploi du temps. Elle devrait donc l'attendre. Cela lui laisserait aussi une chance de réfléchir à leur relation, aux phrases de Cameron. Elle ne reniait pas son attrait pour Philippe, mais il ne s'agissait que d'attirance physique. Ou bien se trompait-elle, elle-même ? Avait-elle plus de sentiments qu'elle ne voulait se l'avouer ? Philippe avait toujours fait partie de son univers, de près ou de loin. Comment pouvait-elle démêler l'amitié, le désir ou l'amour ?


Alors qu'elle tentait de clarifier tous ses sentiments qui créaient des nœuds depuis plusieurs jours, déambulant dans les couloirs, elle se retrouva devant la chambre d'enfant. Caroline, qui l'aperçut, s'avança vers elle et lui tendit sa poupée.

- Tu veux que je joue avec toi, c'est ça ?

- Oui, joue avec moi.

Rebecca prit place sur la petite chaise et posa la poupée sur la petite table. Elle s'imaginait être une géante. Elle regarda les deux fillettes face à elle avec un sourire. L'une était aussi brune que l'autre était blonde. Caroline semblait se sentir plus à l'aise et abandonnait sa timidité avec Georgiana. Elles s'amusèrent toutes les trois jusqu'à ce que Bessie arrive pour la sieste. Caroline s'empara de la main de Rebecca. Celle-ci la souleva dans ses bras pour l'embrasser sur la joue. La petite fille se serra contre elle.

- Tu sens bon, lui dit-elle en lui touchant les cheveux de sa petite main dodue.

Rebecca marcha jusqu'au petit lit en la serrant un peu plus dans ses bras. Elle ressentait le besoin de tendresse de la fillette au fond de son être. La petite orpheline de mère manquait d'une présence féminine dans sa vie. Était-ce pour cela que Philippe souhaitait trouver une épouse ? Il ne s'agissait donc pas qu'un jeu entre eux ? Elle borda Caroline en lui caressant les cheveux. Elle resta un instant à l'observer, tomber dans un sommeil bienheureux.

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