Chapitre 16

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Emmy, la mâchoire tuméfiée, pleurait silencieusement contre le mur froid de la maison de Madame Prescott. Contre les conseils de Virginia, Rebecca s'avança vers la jeune fille.

- Tout va bien, Emmy ?

La jeune fille posa un regard désabusé et sardonique sur elle.

- Bien sûr mam'zelle. Au meilleur de ma forme, comme vous l'voyez.

- Qui t'a fait ça ?

- Quelle importance ? Un client pardi. Y'en a qu'aime ça mam'zelle, ça les excite.

Rebecca se retourna et avança au pas de charge vers Virginia qui discutait avec le médecin qui venait ausculter les filles.

- Il faut la sortir de cet enfer. On ne peut pas laisser cette enfant ici.

Virginia la regarda les yeux plein de tristesse.

- C'est impossible Lady Rebecca.

- Comment ça impossible ? Ce n'est qu'une enfant...

Le médecin intervint.

- Pour cela, il faudrait racheter sa dette, et même comme ça, il n'est pas certain qu'ils la laissent partir.

- Sa dette, je ne comprends pas ? Demanda-t-elle en regardant Virginia.

- Toutes les filles ici doivent de l'argent à Madame Prescott et son frère.

- Mais pourquoi ?

- La nourriture, le gîte...

- Le gîte ! Elle avait presque hurlé. Vous appelez ça, un gîte.

- Taisez-vous. Vous n'êtes pas en terrain conquis ici, ni sur les terres de votre frère.

La dureté du ton la laissa de glace. Les larmes s'engorgeaient au bord de ses cils.

- Comment pouvez-vous ? Vous ne les aidez pas...

Virginia souffla et la tira par le bras jusqu'au coupé.

- Si justement, je les aide, mais je ne peux pas les sauver d'eux même et de leur triste sort. Je n'en ai pas le pouvoir.

Rebecca ne comprenait pas, ce n'était pas suffisant. Il y existait certainement un moyen. Elle imaginait bien que Virginia ne pouvait pas les sauver tous, mais elle devait, sans aucun doute, être capable d'aider Emmy. Elle regarda la jeune fille, ses bleus violacés sur sa joue, son cou, sur le haut de ses seins. Comment une personne saine d'esprit éprouvait-elle l'envie de faire du mal à une si jeune fille ? Non, elle ne voulait pas se résigner. Elle avait vu ses larmes, il paraissait évident qu'elle aspirait à autre chose. La petite Emmy pouvait prétendre à une autre chance. Si ce n'était qu'une question d'argent alors elle trouverait ce qu'il fallait. Restait à savoir combien. Elle se dirigea vers l'escalier et entra dans la maison. Elle longea le couloir, croisa un homme à demi débrayé et titubant. Il la plaqua contre le mur tentant de l'embrasser.

- Combien ma cocotte ?

Il sentait le suif et la transpiration.

- Lâchez-moi ! hurla-t-elle.

- Lâche la, Curt ! S'éleva la grosse voix de Madame Prescott. C'est une dame, pas une putain.

L'homme la lâcha et lui fit une révérence chancelante sur un rire édenté.

- Mes z'xuse mam'zelle.

Elle le regarda se retirer horrifiée.

- Ce n'est pas prudent jeune lady de vous aventurer ici sans chaperon.

Rebecca mit quelques minutes à reprendre ses esprits.

- Puis-je m'entretenir avec vous Madame Prescott ?

- Oh là, vous m'paraissez bien sérieuse. Suivez-moi dans mon bureau.

Elle l'accompagna jusqu'à une petite pièce sans fenêtre, noire et glaciale.

- De quoi voulez-vous me causer ma petite lady ?

- Combien pour Emmy ?

Les yeux globuleux de Madame Prescott se plissèrent.

- Je ne suis pas sûre de comprendre ?

- Je veux régler les dettes d'Emmy, je veux savoir combien je dois vous donner.

La femme croisa ses doigts sur son estomac proéminent.

- Pourquoi voulez-vous faire ça ?

Avait-elle besoin d'expliquer pourquoi elle souhaitait sortir cette enfant de là. Il semblait que oui.

- Et d'abord, vous en ferez quoi d'Emmy ?

- Je lui trouverais un emploi dans une maison respectable.

- Pff, personne voudra d'une putain à son service.

- Il ne sera pas nécessaire de le crier sur tous les toits.

- Cette petite est née putain et elle le restera toute sa vie mam'zelle. Vous faites pas d'illusions.
Rebecca serra les mâchoires. Elle fit appel aux souvenirs de ses nobles arrogants, qu'elle cotoyait, pour imiter leur air suffisant et supérieur.

- Mes illusions me regardent Madame Prescott. Combien ?

La dame se leva, se dirigea vers l'armoire penchée et farfouilla un tas de papiers froissés dont elle tira une feuille.

- Voici.

Elle se rassit et étudia le document, recouvert de chiffres.

- Quarante livres pour couvrir ses dépenses courantes et quarante autres livres pour le manque à gagner. Une fille comme elle ça se trouve pas tous les quatre matins.

Sois la modique somme de quatre-vingts livres sterling pour la sortir de ce bourbier. Une sacrée somme, qu'elle ne possédait pas. En-tout-cas pas en propre. Madame Prescott ricana devant la mine déconfite de Rebecca.

- Vous ne vous attendiez pas à ça ?

Rebecca se releva et toisa la femme assise à son bureau.

- Vous les aurez.

- Avant fin de semaine, sinon les enchères risques de monter.

Rebecca resta abasourdie par le culot de cette femme. Elle portait à bout de bras l'honneur de son titre de tenancière et l'image que la bonne société s'en faisait. Elle se contenta donc de lui tourner le dos et de sortir aussi vite que possible de cette maison de malheur.

Depuis deux jours, elle se torturait l'esprit pour rassembler la somme d'argent suffisante. En tout et pour tout, elle réunit quarante livres, mais l'autre moitié lui manquait. Elle devait donc emprunter, mais à qui ? En aucun cas, elle ne pouvait demander à son frère ou sa mère, ils réclameraient à coup sûr des explications et leur dévoiler qu'elle souhaitait extraire une prostituée de son lupanar, rien que le penser lui donnait des sueurs froides. Leurs visages déconfis seraient, à ne pas douter, drôle à observer, mais elle risquait de se voir empêcher dans sa tâche. Cameron Byrne, elle y avait songé, mais il ne devait pas avoir cette somme. Il lui restait Philippe, mais lui aussi exigerait une raison. Pouvait-elle lui faire confiance et tout lui raconter ? Elle ne savait pas bien. Avait-elle le choix ? Non, ce n'était très clairement pas une bonne idée. En plus, cela lui octroierait le droit de la gronder comme une enfant terrible. Et elle ne le supporterait pas. Ou peut-être Mathilda ? Elle saurait se taire et comprendrait son action. C'était sa seule et meilleure solution.

Elle décida d'aller trouver sa sœur. Il fallait qu'elle la voie seule, elle frappa donc à sa porte juste avant le dîner.

- Beckie, que me vaut l'honneur ? Dit Mathilda avec un sourire engageant.

- J'ai besoin de ton aide Mathilda.

Mathilda fit un pas en arrière pour la laisser entrer.

- Cela m'a l'air bien sérieux.

- ça l'est.

Sa sœur l'invita à s'asseoir et elle raconta tout, sans rien oublier. Mathilda ouvrait de grands yeux, plusieurs fois, elle émit un hoquet de surprise ou de stupeur. Elle la laissa toutefois terminer sans la couper. Mathilda la regarda avec intensité pendant de longues minutes muettes avant de prendre la parole.

- J'espère que tu n'es pas sérieuse Beckie ?

- Je le suis Mathilda, ne comprends tu pas...

- Je comprends tout à fait pourquoi, et je te trouve remarquable de vouloir essayer, mais tu ne peux pas te présenter dans un endroit comme celui-ci avec quatre-vingts livres seule !

- Ils me connaissent maintenant, il ne m'arrivera rien.

- J'espère que tu as raison.

- Cela veut-il dire que tu me prêtes les quarante livres ?

- Comment dire non ? Répondit-elle en lui tapotant le genou.

Elle se leva et se dirigea vers la coiffeuse, tira le tiroir et en récupéra une enveloppe de laquelle elle sortit une liasse de billets qu'elle compta minutieusement avant de lui tendre la somme demandée.

- Et puis, il faut bien un avantage à être duchesse, n'est-ce pas ma sœur ?

Rebecca sauta au cou de sa sœur et l'embrassa sur les deux joues.

Le lendemain matin, elle se précipita à St Giles. Elle s'arrêta devant la bâtisse fatiguée. Elle s'approcha au-devant d'Emmy qui la regarda d'un drôle d'air, le rouge de ses lèvres bavant sur son menton.

- Viens Emmy, dit-elle en la tirant par le bras.

Elle monta les escaliers deux par deux, tirant la jeune fille après elle. Elle traversa le couloir jusqu'au bureau de Madame Prescott. Elle frappa contre le vantail de bois râpé et entra. Madame Prescott griffonnait un papier jauni. Elle leva les yeux sur Rebecca et Emmy qui ne comprenait toujours pas ce qu'il se passait. Rebecca jeta sa bourse sur ce qui s'apparentait à un bureau. Le regard orgueilleux, elle attendit que Madame Prescott finisse de compter.

- Bien, Emmy, tu peux prendre tes affaires et partir.

Emmy eut un regard de panique qui alterna entre Rebecca et Madame Prescott.

- Je t'emmène avec moi Emmy, dit Rebecca en la prenant par les épaules. Tu peux aller chercher tes affaires.

- C'est vrai ? Dit la jeune fille une étincelle d'espoir dans les yeux.

- Oui Emmy. Va chercher tes affaires, vite.

Emmy ne lambina pas et quitta la pièce, tout comme Madame Prescott qui s'excusa auprès de Rebecca. Emmy ne mit pas longtemps pour revenir, ses maigres affaires vite rassemblées. Elle ne possédait qu'une vieille robe, une chemise jaunit et un ours en peluche.

Rebecca la prit par la main et elles passèrent ensemble le pas de la porte de la maison close.

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