Chapitre 18

7 minutes de lecture

Elle dessinait de son doigt l'ancre tatouée sur sa poitrine, son corps collé contre le sien. Il la regardait faire l'air pensif tout en caressant ses courtes boucles aux reflets de miel.

- Beckie...

- Oui, dit-elle en relevant la tête pour l'observer entre ces cils.

- Tu sais que je vais devoir trouver ton frère ?

Elle fronça les sourcils. Il se leva, récupéra sa chemise et l'enfila. Elle prit la sienne et fit de même. Elle revêtit sa robe en silence puis se tourna pour qu'il l'aide à la reboutonner.

- Philippe, tu n'as rien pris que je n'ai voulu te donner, il n'est pas nécessaire d'aller trouver mon frère.

- Mais, les choses ne peuvent pas en rester là. Tu le sais bien.

Elle se tourna vers lui.

- Non je ne sais pas. Et je refuse que tu parles à mon frère.

Il sourit devant sa mine contrariée de petite fille boudeuse.

- Cela serait-il si terrible ? lui demanda-t-il.

- Horrible tu veux dire. Et puis je serais la pire des comtesses qui puisse exister. Et Caroline mérite d'avoir une vraie mère.

De ce côté là, il avait l'impression que sa fille avait déjà choisi Rebecca et lui ne possédait pas de grandes exigences, il se voyait lui même comme le pire comte de Cassilis, un coup du destin moqueur, lui le marin, capitaine d'un navire marchand, à la tête d'un comté car le sort n'avait pas donné d'héritier à son oncle.

D'instinct il savait que c'était elle et personne d'autres. Il connaissait ses réticences au mariage, il devrait la convaincre du contraire. S'armer de patience serait sa meilleure arme. Elle était un animal sauvage qu'il fallait apprivoiser avec douceur. Il caressa ses boucles aux reflets de miel.

- Tu as de la chance que je ne sois pas un gentleman. Juste un vil marin trousseur de jeune fille.

Elle lui sourit et s'accrocha à son cou.

- Et je t'en remercie, dit-elle en l'embrassant du bout des lèvres. D'ailleurs quel est cet endroit, une garçonnière où tu invite tes maîtresses ?

Il acquiesça et l'attira plus près pour prendre sa bouche dans un baiser langoureux. Il était sûr de ne pas pouvoir se passer d'elle, de ne jamais se lasser de son odeur et d'oublier toutes celles qu'il invita ici par le passé.

- Je pense qu'Emmy pourrait travailler à l'usine. dit-il après s'être détaché de ses bras.

- Ce serait merveilleux et nous pourrions peut-être lui trouver une chambre où loger à Battersea ?

- Oui c'est la meilleure solution.

Les traits de Rebecca devinrent plus sérieux.

- Merci pour tout Philippe, vous n'êtiez pas obligé...

- Oh pas la peine de me remercier Beckie, je suis comme toi, je crois aux deuxièmes chances.

Son commentaire lui donnait l'étrange impression qu'il ne concernait pas uniquement Emmy. Elle n'eut pas le temps d'y penser plus, Philippe proposa de la raccompagner avant que sa famille ne s'inquiète.

Le sur-lendemain elle avait rendez-vous avec Virginia Smith, pour lui présenter le premier jet de l'article. Elles devaient se retrouver dans un salon de thé à Trafalgar. Quand elle arriva, Virginia l'attendait déjà. Elle l'accueillit avec une froideur inhabituelle.

- Quelque chose ne va pas ? Demanda-t-elle

- Il s'avère lady Rebecca que je suis désormais persona non grata à St Giles.

- Mais... Pourquoi ?

- Car une jeune fille de ma connaissance, que j'ai personnellement amené, a cru qu'elle pouvait interferrer dans les lois qui régisse cet endroit.

Rebecca ne comprenait pas bien et surtout elle ne concevait pas qu'une femme comme Virginia Smith cautionne ces soi-disant lois.

- Madame Smith, je n'ai fait que ce qui me semblait juste pour Emmy. Vous êtes tout de même d'accord que cette enfant mérite une chance de vivre honnêtement et de se sentir en sécurité ?

- Peut-être mais ce que j'ai mis des années à construire, vous l'avez détruit en quelques minutes. Pour rentrer à St Giles, il faut y être autorisée, voyez-vous jeune dame.

Rebecca se sentait un peu honteuse, elle n'avait pas envisager que son action pourrait avoir un impact sur Virginia. Bien sûr, elle ne voulait pas que cela empêche l'excellent travail réalisé par Virginia. Pourtant, elle n'arrivait pas à regretter.

- Vous comprendrez donc lady Rebecca que je ne souhaite pas que cet article soit publié. J'en ai déjà informé Bessie.

Rebecca resta sans voix devant cette vile vengeance. Virginia était elle donc si rancunière ? Et quelle conséquence cela allait-il avoir sur sa nouvelle position à l'English Woman journal ? Virginia se leva.

- Je vous souhaite une bonne journée lady Rebecca.

Rebecca la regarda sortir du salon de thé, hébétée.

Lorsqu'elle rentra à l'hôtel Compton, elle trouva son frère en grande conversation avec un homme qu'elle ne connaissait pas et Philippe. Leurs regards se croisèrent, elle ne put empêcher le léger rose qui lui monta aux joues. Il lui sourit de ce sourire qui la rendait molle. Il s'approcha, embrassa sa main dans un baise main furtif des plus formel. Elle eut un imperceptible frémissement qui ne lui échappa pas, déclenchant une lumière espiègle au fond de son oeil.

- Lady Rebecca, laissez moi vous présenter Elijah Moore mon beau-frère.

L'homme qui se pencha en une révérence, avait quelque chose de Caroline, blond avec des yeux bleus bordés de grand cils. Le frère de feu l'épouse de Philippe.

- Enchantée. Dit-elle. Vous venez donc des amériques.

- Absolument.

- Il a déposé une cargaison et doit en récupérer une autre, il en a profité pour venir me saluer. Dit Philippe.

Gabrielle et Mathilda entrèrent dans le salon à ce moment-là. Gabrielle tenait la petite Abigaïl dans ses bras. Les yeux d'Elijah Moore s'attardèrent un peu trop longtemps sur Mathilda qui ne manqua pas de le remarquer.

- Messieurs. Salua Gabrielle en s'approchant de son époux.

- Ma chérie, dit Ashton, nous aurons un invité ce soir. Elijah Moore le beau-frère de Philippe.

Le dîner se passa dans une ambiance très familiale qui surpris Elijah. Il ne s'attendait pas à retrouver dans une famille aristocratique une telle décontraction. Le sujet de la situation américaine anima le repas. L'atmosphère s'éléctrifiait entre le Nord et le Sud.

- La Virginie n'a pas encore fait sécession, mais cela ne saurait tardé Philippe. Dit Elijah.

- Quel conséquence pour le domaine ?

- Cela dépendra de ce qu'il se passera ensuite, mais dans tous les cas, une guerre fratricide n'amenera rien de bon.

- Mais l'abolition de l'esclavage est une cause juste Monsieur Moore, vous ne trouvez pas ? demanda Rebecca.

- La question n'est pas tellement là, je dirais même qu'elle semble particulièrement hypocrite. Il existe plusieurs formes d'esclavage et les états du Nord n'ont certes pas d'esclave au sens premier du terme mais les gens de couleurs ne possédent aucun droit civique, ils ne sont ni plus ni moins que de la main d'oeuvre bon marché que les Yankees laissent creuver de faim sans scrupules. Et ils veulent faire la leçon au Sud ? Ce n'est rien d'autre qu'une manoeuvre politique voilà tout.

- Je comprends ce que vous voulez dire Monsieur Moore, nous même en Angleterre avons des idéaux fallacieux, nous avons aboli l'esclavage au sens premier comme vous le dites si bien, mais l'avons gardé de bien des manières qui ne sont guères plus honorables.

- Excusez ma soeur Monsieur Moore, dit Ashton, elle a souvent des idées subversives...

- Pour ma part, je dirais plutôt une âme militante. Rétorqua Ashton avec un grand sourire destiné à Rebecca.

Elle le remercia d'un léger signe de tête.

- Mais vous même Monsieur Moore ? Intervint Mathilda, vous avez certainement une opinion propre sur le sujet de l'esclavage.

- Eh bien, je pense que l'abolition est un mal nécessaire, tout être humain en vaut un autre, de ça je ne doute pas. Mais ce qui m'inquiète, est de devoir prendre parti. Si nous choissisons les états du nord et qu'un conflit ouvert s'installe, ce qui semble se dessiner, Maybole, le domaine, risque fort de disparaître.

- Je le crains aussi. Dit Philippe. Mon père a tout donné à ce domaine, et aujourd'hui je me sens impuissant...

- Je veillerais à ce que Maybole reste debout Philippe. Ma soeur aimait trop cet endroit, elle y est enterrée, je ne le laisserait pas sombrer.

Entendre parler de la femme de Philippe, serra le coeur de Rebecca. Elle vit aussi le voile de tristesse qui passa dans ses yeux. Il l'aimait toujours. Cette découverte ne lui plaisait pas. Pourtant, comment pouvait-elle en vouloir à une morte ? Elle ne savait pas mais curieusement c'était bien le cas.

Rebecca profita que les hommes se retire pour boire un dernier verre et fumer, pour s'éclipser. Elle monta dans sa chambre, se prépara pour la nuit. Elle s'installa sur le rebord de sa fenêtre pour observer les étoiles. Elle se perdit dans leur contemplation tout en pensant à Virginia, à Emmy, à l'esclavage, à Philippe. Elle n'entendit pas la porte s'ouvrir, mais sentit sa présence. Elle tourna la tête vers lui et se leva d'un bon. Il avait déjà réduit l'espace qui les séparait. Il l'embrassa à perdre haleine. Une fois repris ses esprits, Rebecca le regarda sourcils froncés.

- Tu es fou de venir ici. Si jamais mon frère te trouve dans ma chambre...

- J'avais trop envie de t'embrasser.

Il s'empara encore de sa bouche. Haletante, elle le repoussa.

- Il faut que tu partes.

Il lui embrassa le bout du nez.

- Comme tu voudras, mais seulement si tu me promets de me retrouver demain dans ma garçonnière.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Vanecia ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0