Chapitre 19

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Rebecca avait promis une ballade dans son coupé à Caroline, Philippe posa la petite fille aux anges sur la banquette rouge à côté de Rebecca. Il monta à son tour. Il voulut prendre les rênes.

- Même pas en rêve Lord Tremaine.

Il se pencha à l'oreille de Caroline.

- Tu vois ma chérie, voilà un comportement absolument indigne d'une jeune lady. Il est très vilain de ne pas prêter ses affaires.

La petite dirigea ses grands yeux bleus dans ceux de son père. L'amour qui se lisait dans leurs regards soutira un sourire tendre sur les lèvres de Rebecca. Elle claqua les rênes et la voiture se mit en branle.

- Tu vois Caroline, il ne faut jamais laisser croire à un homme qu'il peut faire les choses à votre place.

Le rire de Philippe se propagea à Caroline qui émit un son aigu et saccadé qui ne voulait plus s'arrêter. Par contagion, une hilarité qu'elle peinait à contenir, des larmes jaillissants de ses yeux, gagna Rebecca.

Ils s'arrêtèrent devant l'échoppe de crème glacée. Rebecca, Caroline, pendue à sa main, rentra en première dans la boutique suivie de Philippe. La maîtresse des lieux vint les accueillir.

- Vous souhaitez vous installer à une table ? Je crois que cette jeune-fille a très envie des crèmes glacées de la mère Suzon.

- Oui. Dit Caroline en secouant ses boucles blondes.

- Eh bien, suivez-moi, nous allons vous installer à une table tranquille. Vous formez une bien jolie petite famille.

- Non... Voulut rétorquer Rebecca.

La femme ne semblait pas l'écouter.

- Votre fille est charmante madame. Monsieur est un homme chanceux. Dit elle en regardant Philippe.

- Vous ne savez pas à quel point. Répondit-il

Rebecca le regarda d'un air horrifié. Il lui fit un clin d'œil.

- Mais madame n'est pas en reste non plus. Dit-elle dans un ricanement.

Philippe se rapprocha d'elle et lui posa une main au bas des reins dans un geste de mari possessif qui lui déclencha un léger frisson.

- N'est-ce pas chérie ?

Elle était bien obligée de jouer la comédie, le mufle allait lui payer ça.

- Je serais la plus heureuse des femmes si seulement il ne me laissait pas si seule. Vous connaissez les hommes, toujours à leurs clubs.

- Allons monsieur, une si jolie dame. Le gronda-t-elle.

Il la regarda avec un sourire forcé, Rebecca laissa échapper un gloussement étouffé.

Ils s'installèrent à la table qu'elle leur désigna.

- Alors comme cela, tu te sens seule ?

- C'est vous qui avez commencé.

- C'est vrai, mais j'adore te faire enrager.

- Et pourquoi ?

- À cause de tes yeux, je crois...

Elle le regarda interloquée. Les glaces arrivèrent et Rebecca s'occupa de donner la cuillère à Caroline et à lui attacher une serviette autour du cou. Philippe l'observait. Avait-elle conscience qu'elle agissait comme une mère avec des gestes attentionnés, maternels, presque instinctifs ? Non, a priori, elle ne le voyait pas.

- Beckie ?

Elle leva les yeux vers lui. Il demeura silencieux. Il ne voulait pas parler devant Caroline. Il aurait été bien maladroit de lui exprimer quoi que ce soit ici. Elle restait distante depuis deux semaines, depuis leur nuit à l'appartement. La promenade de ce jour faisait exception. Il suspectait la promesse faite à Caroline être la cause unique de son acceptation. Lui-même ne savait pas comment se comporter. Elle était la sœur d'Ashton Compton, son meilleur ami, celui avec qui il avait partagé des nuits de débauches, celui qui le connaissait mieux que personne. Pour être honnête, s'il devait être à sa place, jamais il n'accepterait que sa sœur se marie avec un tel débauché. Elle était Rebecca Compton, la petite Beckie d'autrefois, avec ses tresses, presque une sœur. Non pas une sœur, mais une amie. Il avait toujours apprécié sa compagnie et son esprit. Et aujourd'hui, il ne voyait pas la vie sans elle. Il l'avait dans la peau. Il aimait leurs joutes insolentes. Même Caroline l'avait adoptée. Ne le voyait-elle pas ? Bien sûr que non, têtue comme une mule, elle semblait croire que sa vie s'arrêterait si elle se mariait.

- Philippe, vous allez bien ? Lui demanda-t-elle.

Il sortit de ses tergiversations dans un clignement de cils.

- Oui. Peut-être devrions-nous rentrer ?

- Ne devions-nous pas aller voir votre beau-frère sur son bateau ?

Il avait oublié.

- Oui, j'ai promis à Caroline. Allons-y alors ! Mais cette fois, c'est moi qui conduis.

Rebecca releva un sourcil en soulevant la petite Caroline.

- Tu vois, les hommes sont incorrigibles, ne fait jamais comme moi, ne te laisse pas avoir par leurs implorants yeux de chien battu.


Vanessa tenait à organiser une fête pour l'anniversaire de Rebecca. Vingt et un an s'accompagnaient d'une célébration, disait-elle. Toute la famille était réunie, Ashton, Gabrielle, Mathilda, Louis, Bastien. Seuls les enfants, trop jeunes pour veiller, manquaient à l'appel. Philippe et Elijah étaient invités en amis. Rebecca n'aimait pas être le centre de l'attention, ce genre de soirée la mettait mal à l'aise. Tout le monde se trouvait déjà au salon quand elle descendit avec Mathilda. Les deux sœurs pénétrèrent dans la pièce, les têtes se dirigèrent vers elles. Mathilda sa blondeur illuminée par la robe jaune qui dévoilait ses épaules et Rebecca une robe en mousseline d'un ocre rouge qui épiçait sa peau nacrée. Philippe ne la quittait pas du regard. Il peinait à cacher la fièvre qu'elle suscitait en lui. Il prit le verre de champagne qu'on lui tendait. Ashton prit la parole en levant sa flûte.

- À toi, ma sœur, un bon anniversaire puisse ta majorité t'apporter un peu de sagesse.

Pour toute réponse, elle lui tira la langue et déclencha l'hilarité générale et un sursaut d'indignation à sa mère.

- Beckie, voyons !

La soirée se déroula dans la bonne humeur. Mathilda se mit au piano, elle chantait un air entrainant. Philippe en profita pour inviter Rebecca à danser une valse improvisée. Gabrielle les regardait avec attention.

- Qu'y a-t-il ma chérie ? Demanda Ashton en suivant son regard.

- Oh rien ! Je trouve simplement que Philippe et Rebecca forment un beau couple.

Ashton tourna son regard vers le couple de danseurs. Il connaissait son épouse, elle ne lançait jamais de phrase au hasard. Se pouvait-il que quelque chose se passe entre sa sœur et son ami ? Il serra le poing, Philippe n'aurait pas osé, ce vil débauché ? Oh, s'il touchait un cheveu de Beckie, il le tuerait. Non, il n'avait pas osé. Philippe savait bien que ses sœurs étaient sacrées entre toutes. En même temps, Gabie avait raison, leurs œillades, il le voyait, transpiraient une connivence plus qu'amicale. À vrai dire, il ne se souvenait pas avoir déjà vu sa sœur regarder un homme comme ça. Gabrielle lui mit la main sur l'épaule.

- Ne te fâche pas Ash. Cela pourrait être une bonne chose.

- Qu'est-ce qui pourrait être une bonne chose ? Intervint Vanessa.

Le couple ne répondit pas, resta muet.

Une fois leur danse finie, Philippe s'approcha d'Elijah accoudé à la cheminée et qui contemplait Mathilda.

- La duchesse de Laval est sublime.

- Elijah, elle est mariée.

- Et ? Cela, m'a-t-il jamais empêché...

- Sauf que cette fois, il s'agit de la sœur de mon meilleur ami.

- Oh, je vois. Pourtant, cela semble ne pas te déranger quand il s'agit de la plus jeune.

Philippe ne sut que répondre. Elijah avait raison, sans aucun doute. Mais Beckie, à la différence de Mathilda, n'était pas mariée. Cela n'avait donc rien à voir.

Elijah, discuta une grande partie de la soirée avec Mathilda sous le regard inquisiteur de Louis qui n'appréciait pas cette soudaine complicité.

Philippe, lui, se contenta d'observer Rebecca. Elle vivait, à pleines dents, entière, sans se préoccuper des mœurs. Elle resplendissait. Il avait un cadeau pour elle, mais il souhaitait lui donner en intimité. Il attendit. Il patienta jusqu'à la fin de la soirée, que tout le monde rejoigne sa chambre, même elle. Il s'attarda une heure, peut-être deux dans la bibliothèque. Alors seulement, il se dirigea vers la porte de sa chambre.

Il gratta, toqua doucement. Sans réponse. Il tourna la poignée, la porte ne résista pas, il entra. Elle dormait, il s'approcha avec lenteur, s'assit sur le bord du lit. Elle lui sauta dessus, lui tirant les cheveux en arrière d'une main de fer, la pointe d'un couteau sur sa gorge. Il réprima le rire qui montait. Voilà qui lui ressemblait bien, se coucher avec son coupe papier.

Il lui attrapa le poignet et dans un mouvement brusque et rapide, l'allongea sur le lit positionnant son autre main sur sa bouche.

- Rebecca, siffla-t-il entre ses dents, c'est moi.

Il sentit son corps se détendre et la pression de ses doigts dans ses cheveux se transformer en caresse. Il ôta sa main de ses lèvres.

- Que faites-vous là ?

Il laissa descendre sa main dans une caresse le long de son bras, puis bifurqua lentement sur ses côtes. Elle frissonna, il sourit.

- J'ai un cadeau pour toi.

Son œil s'alluma d'intérêt. Elle avait beau dire, elle était bien femme. Là sous lui, les cheveux étalés sur l'oreiller, vêtue de sa chaste chemise de nuit, éclairée par la lumière rougeoyante du foyer, elle illustrait la tentation du diable. À quoi s'attendait-il en venant dans sa chambre ? À rien d'autre se dit-il avec honnêteté. En vérité, elle représentait tout ce qu'il voulait. Il l'embrassa presque timide. Quand il voulut reculer, elle retint sa tête. C'est elle qui prit l'initiative de pénétrer sa bouche dans un baiser langoureux. C'est encore elle qui lui glissa sa veste de ses épaules, défit les boutons de sa chemise, enfonça ses ongles dans sa chair. Il passa ses mains en dessous de son fin vêtement de nuit, trouvant le chemin de son plaisir. Comment résister au son délicieux de la sensualité qui s'éveille ? Il n'en avait ni la force ni l'envie. Il l'écrasa de son poids, sans même se déchausser, prit par l'enthousiasme de son obsédant désir, il s'abandonna en elle. Encore une fois, il ne dura pas, l'impétueux plaisir le précipita dans l'abîme de la jouissance. Lui qui s'estimait bon amant, se retrouvait tel un adolescent émoustillé. Elle devait être une ensorceleuse. Son rire étouffé le sortit de sa rêverie. Allongé sur le côté, il leva les sourcils en la regardant.

- J'aime beaucoup ton cadeau, lui murmura-t-elle en lui caressant la joue.

Oui, le cadeau, il allait oublier. Il se leva et récupéra sa veste, fouilla dans la poche intérieure et en sortit un petit paquet qu'il lui tendit. Elle ouvrit le papier kraft et trouva un livre.

- George Sand, Indiana.

- Je ne savais pas trop quoi...

- C'est parfait. Merci, dit-elle en s'agenouillant sur le lit pour l'embrasser.

- Il faut que je parte.

- Oui, c'est plus prudent.

Il attrapa son menton entre son pouce et son index, l'obligeant à le regarder dans les yeux.

- Les choses ne pourront pas rester éternellement ainsi.

Il se pencha, l'embrassa et sortit en s'assurant que personne ne rôdait dans le couloir.

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