Chapitre 20

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La calèche de Mathilda s'arrêta sur le quai à hauteur du bateau d'Elijah. Le navire marchand s'avérait imposant avec ses trois mats. L'agitation semblait régner sur le bateau, les marins s'affairaient, rentraient des caisses, s'activaient. Cela ressemblait à des préparatifs de départ. Mathilda monta sur la planche qui donnait accès au pont. Pourquoi était-elle venue ? Elle ne savait pas. Peut-être était-elle intriguée ? Enjôlée par les belles paroles du capitaine ?

Un jeune garçon l'interpella.

- Qu'est-ce vous faites là M'dame ?

- Je cherche le capitaine Moore.

Elijah Moore sortit de sa cabine.

- Votre Grâce, dit-il en s'approchant. Je suis désolé, mais les nouvelles ont quelque peu perturbé mon emploi du temps.

- Les nouvelles ?

- Vous ne savez donc pas ? Les Etats Unis sont en guerre.

Elle le regarda choquée.

- Qu'allez-vous faire ?

Il réfléchit un instant avant de répondre.

- Rejoindre mon pays et ensuite, j'avoue, votre grâce, ne pas savoir.

Elle le regarda, sans savoir que faire ni dire. Elle tendit une main sur son épaule dans un geste de réconfort.

- Je suis désolée, dit-elle.

Il s'approcha, trop près selon elle. Il laissa glisser un doigt sous son menton.

- Vous n'avez pas besoin d'être désolée.

- Comment puis-je vous aider ?

Un sourire espiègle se dessina sur ses lèvres.

Elle ne savait pas bien à quel jeu il s'attaquait, mais cela la gênait tout autant qu'elle se sentait flattée.

- Vous n'aimeriez pas le savoir.

Peut-être que si, peut-être qu'elle voulait savoir, connaître le goût des lèvres d'un homme qui avait vraiment envie d'elle. Pas d'un homme contraint par une alliance glissée au doigt. Pour une fois dans sa vie, elle revendiquait oser la folie. Comme s'il lisait dans ses yeux, il prit sa main et l'entraîna jusqu'à sa cabine. Une pièce fabuleuse, selon elle. Des teintures bleues aux fenêtres, une riche boiserie, un bureau en acajou sur lequel des cartes dépliées reposaient, une table du même bois assez grande pour accueillir une dizaine de convives. Il s'en approcha et servit deux coupes du vin de la carafe posée au milieu. Il lui tendit le verre, l'air sérieux alors qu'elle rivait ses yeux sur le lit défait.

- Il est confortable.

Elle releva son regard dans le sien, rougissante. Elle porta le verre à ses lèvres et se mit à déambuler dans la pièce, observant les objets. Elle caressa d'un doigt la longue-vue en laiton.

- Vous pouvez essayer.

Elle posa son verre, se mit à une fenêtre et étira le tube au maximum avant de plonger dans l'observation de l'horizon. Il se tenait derrière elle, trop près. Elle sentait son souffle dans son cou, il l'aida à se positionner, caressant son bras au passage.

Sans lui demander de permission, il l'embrassa dans le cou. Un instant, elle se laissa aller au doux frisson naissant sur sa peau. Puis, elle recula.

Elle ne pouvait certainement pas continuer ce batifolage. Elle avait sa réponse. Elle n'y répondrait pas. Elle ne le désirait pas. L'image de Louis s'était immiscée dans son esprit. Depuis des années, elle luttait contre le sourd sentiment qui l'habitait. Aujourd'hui, elle devait l'accepter. Sa famille comptait et son mari demeurait une partie de l'équation. Elle nourrissait une certaine tendresse pour lui, malgré son manque de délicatesse. Ils étaient unis, unis par les liens sacrés du mariage, unis par l'enfant qu'ils avaient eu ensemble, unis par cet attachement, né du temps qui fortifiait les sentiments. Elle pouvait aussi avoir l'honnêteté de se dire que son cœur, et bien son cœur n'était qu'un imbécile qui avait décidé d'aimer Louis. C'est exactement ce qui avait rendu la situation intenable pour elle. Cette douce affection qui s'était propagée dès les premiers instants de son mariage. Cette sensualité, elle savait ne pas pouvoir la retrouver dans les bras d'un autre.

- Je suis désolée, Monsieur Moore, dit-elle. Je n'aurais jamais dû venir.

Il la regarda avec intensité, un regret au fond des yeux.

- Votre mari est un homme chanceux Madame. Sachez toutefois, que si vous le souhaitez, je suis à votre disposition. Je ne pars que dans deux jours après tout.

Le message semblait évident et son baise main un peu trop appuyé. Elle remonta dans sa calèche, l'esprit encombré de ses regrets de femme bafouée qui ne possédait pas le cœur assez vil pour rendre la monnaie de sa pièce à son époux.

Pendant ce temps, Rebecca pénétrait dans le Middlesex Hospital où elle devait rencontrer Elizabeth Garrett, une pionnière qui voulait devenir médecin. Elle passa l'entrée de la grande bâtisse aux briques rouges en forme de "U". Elle se fit accompagner d'une infirmière, longea un couloir blanc bordé de portes. Ses pas résonnaient en rythme avec ceux de la femme devant elle. Le silence qui régnait là, exhalait la maladie, la mort, quelque chose d'angoissant.

L'infirmière ouvrit la porte, la précéda.

- Lady Rebecca Compton, mademoiselle Garrett.

Elle était plus jeune qu'elle ne l'imaginait. Elle devait avoir à peine vingt-cinq ans, l'œil déterminé. Cette force de battante, la même que chez Bessie Raynard ou Barbara Bodichon, cette sorte d'entêtement qu'elle admirait.

- Mademoiselle Garrett, je suis envoyée par l'English...

- Oui, je sais. Enchantée Lady Rebecca.

- Rebecca ira très bien.

Elle lui sourit. Elle était jolie avec ses traits fins et ses cheveux blonds vénitiens. Elle s'approcha d'une bassine prit un savon et se lava les mains méticuleusement. Un geste qui laisserait Virginia Smith admirative, pensa Rebecca.

- Je vais avoir très peu de temps à vous consacrer. Vous serez obligé de me suivre dans mes visites.

- Je comprends.

- La vue du sang ne vous effraie pas, j'espère.

- Non.

- Bien. Allons-y.

Elle lui emboîta le pas, courant presque derrière tant elle marchait vite. Elles entrèrent dans une grande salle où plusieurs lits étaient juxtaposés. Tous n'étaient pas occupés. Elizabeth se dirigea vers une jeune femme au bras entièrement bandé.

- Bonjour Madame Lewis, comment allez-vous ce matin ?

Son ton paraissait plus tendre, moins pressé que celui employé avec Rebecca. Elizabeth tâta le pouls et prit la température de sa patiente avant de s'attaquer au bandage avec attention et minutie.

- J'ai entendu dire que vous vous invitiez aux cours de médecine ? Demanda Rebecca, le crayon déjà baissé sur son calepin.

- Oui, c'est vrai... Tendez votre bras Madame Lewis... Avec peu de succès, je dois dire. Ces messieurs ne supportent pas l'idée d'avoir une femme assise à leur côté. Pourtant, nous sommes aussi aptes qu'eux pour soigner... Vous pouvez replier votre bras...

Elle se leva, Rebecca la suivit de nouveau dans le long couloir.

- Voyez-vous Rebecca, ils nous tolèrent en tant qu'infirmière, en assistante, mais devenir leur égal, ça, ils ne le permettront pas... Enfin pas facilement...

- Qu'avez-vous décidé ?

- De me former ici, en temps qu'infirmière et de m'inscrire aux cours d'apothicaire puisqu'ils ne sont pas interdits aux femmes.

- C'est malin. Et qu'en pense votre famille ?

Elle réfléchit avant de répondre.

- Ma famille, et bien, à part ma sœur Millicent, ils sont très loin de me soutenir. Sûrement, pensent-ils qu'il ne s'agit que d'un caprice ? Et il n'y a pas que le fait d'être médecin qui me motive, il y a également le but d'enfoncer les portes qui nous sont fermées. Si je réussis alors d'autres suivront.
Alors qu'elles tournaient à l'angle gauche du couloir, une course folle arrivait droit sur elles. Un homme sanguinolent poussé sur un brancard à roulette suivit d'autres. L'affolement et l'agitation se réveillaient de toute part, les portes claquaient, les voix s'élevaient. Elizabeth à son tour se mêla au branle-bas de combat.

- Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle à une autre infirmière.

- Il y a eu un accident dans les souterrains, sur le chantier du chemin de fer, une explosion...

Elizabeth assurait déjà son rôle, compressant des plaies ouvertes, tâtant les pouls, espérant trouver le souffle imperceptible de la vie. Rebecca la suivit encore jusqu'à ce qu'Elizabeth oublie sa présence et la laisse plantée au milieu du chaos.

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