Chapitre 21

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Mathilda, Gabrielle et Rebecca se promenaient dans Hyde park avec les enfants, profitant des rayons du printemps. Abigaïl dans un landau, matelassé à capote, blanc. Tout Londres semblait s'être donné le mot et le parc grouillait de monde. Gabrielle remarqua que Mathilda blêmissait et que son pas ralentissait, elle s'arrêta.

- Quelque chose ne va pas ?

Pour toute réponse, le petit Mathieu cria.

- Papa.

Gabrielle suivit l'enfant du regard. Louis se tenait un peu plus loin, il discutait avec une jeune femme brune. Louis récupéra son fils dans ses bras, visiblement embarrassé. Il congédia la femme d'un signe de tête et vint rejoindre le groupe que formaient les trois sœurs.

- Mesdames...

Mathilda lui tourna le dos et rebroussa chemin. Elle ne voulait pas lui parler, ni même le regarder. Elle marchait aussi vite qu'elle le pouvait. Il avait osé, jusqu'ici, jusqu'à son havre de paix. Quelle sotte ! Il fichait de ses sentiments. Il était venu, car il était blessé dans son amour-propre et rien d'autre. Elle s'était nourri de songes encore une fois. Et elle ? Était-elle là depuis le début ? Se moquaient-ils d'elle depuis tout ce temps ? Pourquoi devait-il tout salir ? Inconsciente, de ce qu'elle faisait, elle se mit à courir. La rage au ventre, elle s'engouffra dans un bosquet. Son chapeau s'accrocha à une branche et l'arrêta dans son élan. Elle défit les nœuds pour s'en séparer et continuer, mais il était déjà là.

- Mathilda...

- Ne me touchez pas. Je vous déteste, vous m'entendez.

Louis tourna la tête de tous les côtés, anxieux qu'on les entende. Sa colère prenait le pas sur sa raison. Elle fulminait, contre elle, contre lui, contre cette femme.

- C'est un hasard...

- Ne me prenez pas pour une gourde ! Un hasard vraiment, un hasard de trouver votre maîtresse avec vous en plein jour, au milieu de Hyde park. Laissez-moi rire.

- Je vous jure...

Elle leva la main en signe de silence.

- Ne jurez pas s'il vous plaît. Cette fois, vous allez rentrer en France et me laisser vivre ma vie avec dignité.

Son visage se ferma. Elle ne discernait pas les émotions qui l'assaillaient, il s'avérait trop coutumier de l'hermétisme simulé une vie durant. Il restait droit, digne, quoi qu'il se passe.

- Et Mathieu ?

Et Mathieu ? Il était cruel de lui poser la question. Mathieu représentait tout ce qu'elle aimait. Maintenant qu'elle l'avait retrouvé, elle n'aurait plus la force de le quitter une nouvelle fois. Mathieu s'avérait être son fils avant tout, avant d'être le futur duc de Laval. Elle pouvait très bien l'élever ici au milieu des siens. Et personne ne trouverait à redire à l'éducation des Compton. Elle le regarda la poitrine compressée , consciente qu'il possédait tous les droits, tous les pouvoirs sur son fils et sur elle. Un instant, elle pensa qu'il n'aurait pas le goût de faire souffrir son propre enfant. Elle savait qu'il l'aimait.

- Je ne peux m'en séparer.

Il la regarda, l'œil froid, calculateur.

- Vous l'avez bien fait il y a quelques semaines.

Elle se retourna un instant, marcha jusqu'au petit cours d'eau qui traversait le parc, se refit une contenance, plus posée, plus calme.

- Je ne pourrais pas vivre sans lui, c'est tout ce que j'ai.

- Et vous comptez que je plie, sans rien dire. Que je vous laisse mon fils, mon héritier ? Que je lui tourne le dos ? Il s'agit de mon fils à moi aussi. Sa place est avec moi...

Elle tremblait, de peur et de colère mêlées. Elle le supplia presque.

- Ne faites pas ça. Dit-elle dans un souffle court.

Il la toisa. À cet instant, il était bien l'homme qu'elle connaissait. Le grand duc de Laval, celui-là même qui ne souffrait aucune opposition, l'homme qui obtenait toujours ce qu'il voulait quelle que soit la méthode.

- Vous voulez votre fils Madame, et bien, il faudra rentrer en France avec moi. C'est votre seule option, vous m'entendez.

Elle l'entendait et le comprenait trop bien. Soit elle rentrait avec lui, soit il lui enlevait son fils avec la menace sous-entendue de ne jamais plus le revoir. Cet homme se comportait comme un monstre odieux. Comment avait-elle pu s'imaginer qu'il détenait une once d'amour au fond de lui ? Comment avait-elle pu tomber amoureuse de cet être froid, dénué de compassion ? Son cœur était un traître à sa raison. Pouvait-elle avoir plus mal ? Non, elle ne le pensait pas. Elle voulait le gifler, lui arracher ses yeux froids. Mais ça non plus elle ne le pouvait pas. Manquait-elle à ce point de courage ? Probable. Qu'allait-elle faire ? Rester l'otage de sa vie ? Pour son enfant, elle pouvait le faire. Mais comment continuer ainsi sans qu'elle se perde elle-même ?

- Et si vous rentrez Madame, sachez que je souhaite d'autres héritiers.

Le pourceau, il voulait sa reddition complète. Ce qui lui restait de dignité, disparaîtrait certainement en devenant son jouet.

- Jamais plus vous ne me toucherez, dussé-je mettre un océan entre nous...

Il l'attrapa par le bras et l'attira contre lui. Leurs visages distants de quelques millimètres, ils se défiaient.

- Vous ne ferez pas ce que je pense...

Elle n'y avait pas songé jusque-là, mais lui oui, a priori. Elijah Moore ! Il partait demain. Cette fois, ce capitaine ne lui dirait pas non, elle le savait. Et puis, elle pourrait amener Mathieu. Non, elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas déménager son fils sur un territoire étranger où la guerre venait d'être déclarée ou tout semblait incertain.

Elle avait perdu, jamais elle ne se séparerait de son fils, il le savait. Elle devait se résigner. Mais puisqu'il la pensait capable de fuir à l'autre bout du monde, autant le faire souffrir un peu à son tour.

- J'oserais Monsieur. Voyez-vous Monsieur Moore m'en a même fait la proposition.

Il écarquilla les yeux, choqué.

- Ce vaurien de corsaire, si jamais il ose ne serait-ce que toucher l'un de vos cheveux, je le tue.

Voilà maintenant qu'il jouait au mari jaloux après l'avoir froidement reléguée à son rôle de petite chose docile.

- C'était plus qu'un cheveu...

Il serra son bras plus fort et attrapa ses cheveux, les tirant en arrière. Peut-être était-elle allée trop loin ? S'il lui prenait la lubie d'aller trouver Elijah Moore et que le pire arrive par sa faute, elle s'en voudrait à vie. De rage, il fondit sur sa bouche. Elle le laissa faire, passive. Il la relâcha.

- Vous êtes ma femme et personne, personne...

- Vous n'êtes qu'un fat arrogant, vous vous permettez d'entretenir une maîtresse et moi, je n'aurais que le droit de vous attendre dans un coin.

Il s'éloigna, lui tournant le dos. Elle l'entendit marmonner.

- Je vais lui passer l'envie de mettre les mains sur ce qui m'appartient.

Il fallait qu'elle trouve de l'aide. Elle ne pouvait pas laisser Louis s'en prendre à Elijah à cause de la confusion où elle l'avait volontairement plongé pour l'agacer. Elijah, était innocent. Ashton siégeait au parlement cette après-midi. Elle trouva un fiacre pour la déposer devant Westminster. Elle fit parvenir un billet à son frère dans la chambre des Lords. Elle l'attendit dans le grand hall. Il fronça les sourcils en la voyant. Sa robe était froissée, sa coiffure défaite.

- Mon Dieu Mathilda, que vous est-il arrivé ?

- Oh Ashton, j'ai fait une énorme erreur. Louis va tuer Elijah Moore.

Le regard qu'il lui lança en disait long sur ce qu'il avait en tête.

- Mathilda, ne me dites pas que...

- Non, non, Ashton, je l'ai seulement laissé croire...

- Pourquoi ?

- Pourquoi, pourquoi, ce n'est pas le moment Ash, il faut se dépêcher.

- Très bien, allons trouver Tremaine. Il nous mènera plus vite à son bateau. Il travaille à son appartement aujourd'hui, c'est à deux rues d'ici.

Ashton frappa à grands coups sur la porte en bois, appelant Philippe. Celui-ci ne répondit pas tout de suite, mais Mathilda entendait une certaine agitation dans l'appartement. Enfin, il ouvrit. Il ressemblait à un homme qui sortait du lit. Les cheveux en bataille, sa chemise par-dessus son pantalon. Ashton lui fit la remarque sur un sourire de connivence, moqueur.

- Je crois que nous arrivons au mauvais moment.

Philippe semblait plus qu'embarrassé. Il tourna les yeux vers elle.

- Désolée Madame, je ne pensais pas qu'Ashton serait accompagné.

- On a besoin de toi, c'est un peu long à expliquer, mais Louis est en route pour trouver Elijah et le défier. Il nous faut l'arrêter.

- Je te suis mon vieux, comme toujours.

Philippe récupéra sa veste, qu'il enfila prestement.

Mathilda regarda autour d'elle, un châle reposait sur le fauteuil, deux verres à moitié remplis se trouvaient sur la table, tout portait à croire qu'une dame se dissimulait dans l'appartement. Puis ses yeux, se posèrent sur un petit calepin qu'elle connaissait bien, elle eut un hoquet de surprise. Ashton suivit son regard. Il fit le même constat. Il ne pouvait pas se tromper puisque c'est lui qui avait commandé pour Rebecca ses petits calepins de cuirs rouges agrémentés du blason des Compton. Mathilda vit son visage se fermer, devenir fulminant. Il attrapa Philippe à la gorge et le plaqua contre le mur. Celui-ci se laissa faire.

- Où est-elle ? Je m'en doutais, mais j'ai été assez sot pour penser que jamais tu n'oserais.
Rebecca sortit de la chambre.

- Laisse-le, Ashton.

Mathilda le vit relâcher la pression, sans cesser de le regarder, il s'adressa à Rebecca.

- Cette fois-ci, jeune lady, vous n'y échapperez pas, vous allez vous marier séance tenante.

- Non et vous ne me forcerez pas. Et puis pour le moment, nous avons un problème plus important à résoudre.

Mathilda vit la mâchoire d'Ashton se contracter.

- Très bien allons-y. Lord Tremaine, nous vous suivons. Dit Ashton qui n'appelait jamais son ami ainsi.

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