Chapitre 22

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Le carrosse d'Ashton roulait à toute vitesse, direction le port. Ashton assis entre ses deux sœurs, gardait l'air sévère, mécontent. Philippe en face, regardait par la fenêtre et évitait de croiser les yeux de son ami. Il comprenait sa déception, sa colère. Pourtant, il n'arrivait pas à s'en vouloir. Il observa Rebecca du coin de l'œil. Elle restait la tête haute, prête à en découdre. Elle n'allait pas laisser son frère la mener à la baguette. Il l'aimait comme ça, combattante, bien qu'il eut souhaité, pour une fois, qu'elle écoute. Rebecca Compton ne pouvait pas être sa maîtresse, elle n'était pas de ces femmes. Soit elle l'épousait, soit il acceptait de s'éloigner d'elle. La réalité se présentait là, crue, impitoyable.

La voiture s'arrêta, Mathilda se précipita dehors suivie d'Ashton.

Ils remontèrent le port, un peu plus haut, et arrivèrent devant l'Esperanza. Ils montèrent sur le pont aussi vite que possible.

- Stuart, interpella-t-il un jeune matelot. Où se trouve Elijah ?

- Sur la poulaine capitaine, il croise le fer avec un type qui est arrivé fou furieux...

- Mon Dieu, cria Mathilda qui se mit à courir vers l'avant du bateau.

Tous la suivirent.

- Arrêtez, arrêtez...

Philippe la vit se mettre entre les deux hommes, manquant de peu se faire taillader la peau par la lame d'Elijah qui l'évita de justesse. Sa jupe, elle, n'échappa pas à l'épée qui fendit le tissu de haut en bas. Louis la dévisagea, l'air orageux.

- Ainsi Madame, vous venez défendre votre amant.

Elle se tourna vers Elijah, l'air désolée.

- Je m'excuse Monsieur Moore, c'est un terrible malentendu.

- Il semblerait effectivement.

Elle se retourna vers son mari.

- Qu'est-ce qu'il vous prend d'agir de la sorte ?

- Il me prend madame, que cet homme a besoin d'une bonne leçon.

Il poussa Mathilda d'un bras la faisant tournoyer derrière son dos et pointa sa lame sur la poitrine d'Elijah. Philippe et Ashton intervinrent à leur tour. Ils arrachèrent l'épée des mains de Louis. Il tenta de se dégager de l'emprise des deux hommes qui cherchaient à l'obliger à battre en retraite.

- Laissez-moi, ce gredin a besoin d'une bonne leçon. Qu'il apprenne à garder ses mains dans ses poches.

- Écoutez Louis, c'est une grosse méprise. Peut-être devriez-vous écouter ma sœur avant de risquer la mort d'un homme ou la vôtre ? Le sermonna Ashton.

Louis tourna son regard sur sa femme. Son visage était ténébreux.

- Je voulais seulement vous donner une leçon. Que vous compreniez ce que moi, j'ai ressenti chaque jour depuis cinq ans.

Ses traits se détendirent pour afficher une tristesse profonde. Il sembla réfléchir. Retrouvant sa superbe froideur de Duc, il s'adressa à Elijah Moore.

- Capitaine, pourrions-nous nous isoler dans votre cabine ?

- Eh bien, vous conviendrez votre grâce qu'après m'avoir insulté et voulut passer votre épée au travers de mon corps, que cette demande est, disons, culottée ?

- J'en conviens. Il n'empêche Monsieur Moore que je vous le demande.

- Soit, faites comme chez vous. Répondit Elijah sarcastique en s'inclinant en une révérence exagérée.

Louis tendit la main à son épouse qui la refusa et se contenta de le suivre jusqu'à la cabine où ils s'engouffrèrent tous les deux.

- Bon, quelqu'un m'expliquera-t-il pourquoi cet homme voulait me pourfendre en deux ? Dit Elijah.


Dans la cabine, Mathilda restait silencieuse, elle ne savait que penser de la situation. Son mari avait perdu la raison, à deux doigts de tuer un autre homme. Lui toujours si placide, sans émotions, venait d'exprimer en quelques heures, plus de sentiments qu'en toute une vie. Du moins de ce qu'elle en connaissait.

- Pourquoi ? Lui demanda-t-il

- Je viens de vous le dire, dit-elle en lui tournant le dos et en arpentant la pièce.

Il la regarda faire, avant de répondre.

- Laissez-moi vous dire que c'est un succès.

Elle s'arrêta pour le questionner du regard.

- Vous avez effectivement réussi à me sortir de mes gonds, à me rendre jaloux.

Un rire amer sortit de sa gorge.

- Jaloux ? Monsieur, vous ne savez pas ce que vous dites, la jalousie supposerait que vous ayez des sentiments. Votre ego seul est à blâmer, je le crains.

Il secoua la tête.

- Mathilda, mon ego n'y est pour rien. Je suis jaloux, je ne supporte pas, ne serait-ce que l'idée de vous savoir avec un autre. Votre départ m'en a fait prendre conscience. Je ne peux accepter d'être séparé de vous.

Elle resta muette, désorientée par ses paroles. Disait-il vrai ou était-ce un subterfuge pour l'amener où il souhaitait ? Non, il ne donnait pas dans l'ignominie. La manipulation, oui, mais toujours avec un certain honneur. En tout cas, ce qu'il considérait lui comme de l'honneur. Il s'approcha d'elle, elle était hypnotisée, paralysée par l'intensité de son regard. Elle craignait s'inventer des histoires. Elle redoutait de voir uniquement ce qu'elle avait envie de voir.

- Mathilda, si je vous ai rejoint ici, c'est pour avoir une chance de repartir à zéro. D'oublier le passé et le mal que je vous ai fait. Malgré tout ce que vous pouvez croire, j'ai toujours eu pour vous beaucoup d'affection. J'ai seulement eu peur de me laisser submerger.

Il glissa une main sur sa joue, ses doigts s'enfonçant dans ses cheveux. Elle tressauta, peu habitué à ses marques de tendresse.

- J'ai toujours cru que je ne méritais pas d'être aimé. Ma mère est morte alors que je n'avais pas atteint mes deux ans. Je me suis retrouvé seul, entouré de domestiques qui étaient là, non pas par amour, mais par devoir envers mon père. Je n'ai certes pas été maltraité, mais je n'ai pas été aimé. Mon père était trop snob pour s'essayer à choyer sa progéniture, ce n'était pas assez à la mode. Et puis ma belle-mère, et bien que dire, vous la connaissez.

Oui, elle la connaissait, et elle ne doutait pas qu'elle ait tout fait pour prendre toute la place et écarter le petit Louis. Cette femme lui avait toujours été antipathique.

- Pourquoi m'avoir épousé ?

Cette question, elle n'avait jamais osé la poser, pourtant, elle lui avait brûlé les lèvres à maintes reprises. À l'époque, elle ne demandait rien, il ne lui devait rien et malgré tout, il lui avait offert son nom pour laver l'opprobre d'un autre. Il lui sourit, sa main glissant sur sa gorge, terminant sa course sur son épaule.

- Je crois que c'est le poing que vous avez envoyé dans la figure de Pelham qui m'a décidé. Quand je vous ai vu faire, je me suis dit que vous étiez une femme faite pour moi, une femme qui aurait la trempe de survivre à ma vie. Sur ça, je ne me suis pas trompé.

Il colla son front au sien. Un geste qui les soudait.

- Ne voulez-vous pas nous laisser une chance ? Murmura-t-il.

Avait-elle le choix ? Il savait bien que non, sa question n'était donc que rhétorique. Pourtant, elle voulait croire qu'ils pouvaient encore être cette famille qu'elle appelait de ses vœux. Pour Mathieu, elle devait essayer. Pour elle aussi.

- Pour Mathieu, oui, je peux.

- Seulement pour lui ?

Un voile de sincère tristesse passa dans ses yeux.

- Peut-être pas, mais il faudra vous contenter de cela pour le moment. Tout ne peut pas changer parce que vous l'avez décidé.

- Vraiment ? Dit-il en relevant les sourcils.

Elle gloussa de son trait d'humour. Que Dieu ait pitié d'elle, elle fondait déjà comme neige au soleil. Il l'embrassa avec tendresse. Elle se laissa aller dans la douceur de ses bras, déposant les armes. Non, elle ne s'obstinerait pas à essayer, elle voulait réussir.

Lorsqu'ils sortirent de la cabine, les regards se tournèrent vers eux, cherchant l'issue du problème sur leurs visages. Ashton et Philippe se tenaient aussi loin possible l'un de l'autre et Rebecca attendait, appuyée au bastingage, le vent jouant dans ses cheveux. Elle réfléchissait à la suite de cette journée. Un lot de complication qui lui laissait déjà un goût amer dans la bouche.

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