Chapitre 26

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Trois mois, trois mois qu'il était parti et son âme errait dans son propre corps. Avait-elle, un jour, été si malheureuse ? Elle ne s'en souvenait pas. Avait-elle jamais vécu le manque de quelqu'un à ce point ? Elle était sûre que non.

Elle devait se rendre à Langham. Elle décida de marcher un peu, cela apaiserait sans doute son esprit. Le soleil de printemps déployait ses doux rayons, chauffant les passants. Rebecca déambulait comme un automate, sans les voir, perdue dans ses pensées. Elle arriva au 19 Langham place et monta les escaliers. Elle avait rendez-vous avec Elizabeth Garrett. Elle devait rendre ensemble son article à Barbara.

Adélaïde Procter se tenait assise dans le salon, une tasse de thé chaude dans les mains. Elle dévisagea Rebecca de son regard perçant.

- Vous n'avez pas l'air dans votre assiette Lady Rebecca ?

- Si, pourquoi ?

- Je ne sais pas, vous avez l'air... chiffonnée, vos traits sont tirés.

- Juste un manque de sommeil, ne vous inquiétez pas.

- Du thé ? Barbara et Elizabeth ne devraient plus tarder.

Rebecca s'installa sur le fauteuil face à Adélaïde. Elle resta silencieuse et s'attarda à regarder l'immobilité de l'extérieur par les carreaux de la fenêtre. Tout lui paraissait morne et fade.

Elle prit la tasse tendue. Elle regarda la femme en face d'elle, se demandant si elle avait déjà aimé un jour. Elle n'était pas mariée, mais avait-elle ressenti les tourments des sentiments, l'ivresse du désir ? Pourrait-elle l'aider à démêler ses états d'âme ?

- Adélaïde ? Puis-je vous poser une question ? Disons intime.

Elle la regarda surprise.

- Oui.

- Vous a-t-on déjà proposé le mariage ?

Adélaïde se rembrunit, son teint déjà pâle perdit le peu de sang qui le colorait. Rien qu'en la regardant Rebecca eut la réponse à sa question.

- Voilà donc pourquoi vous avez l'air au plus mal.

Elles se jaugèrent un moment.

- Lady Rebecca, si vous voulez mon avis, si cela vous fait trop mal, c'est que vous n'avez pas pris la bonne décision.

- Vous croyez. Pourtant se marier, c'est perdre son indépendance.

- C'est parfois un risque à prendre. Et puis ce n'est pas toujours le cas. Mais, croyez moi d'expérience, passer à côté du bonheur finira par vous détruire.

Peut-être avait-elle raison ? Mais, son bonheur était-il vraiment lié à Philippe. Si elle écoutait bien son coeur, elle connaissait la réponse. Comment avait-elle pu croire un seul instant qu'elle pouvait vivre sans lui ? Elle l'aimait beaucoup trop pour ça. Et Caroline, elle aussi elle l'aimait. Elle s'était attachée à la petite fille plus qu'elle ne le pensait. Elle vivait comme une torture de ne plus les voir tous les deux. Elle ne pouvait plus le supporter. Et comment avait-elle pu croire que la liberté réclamait son malheur ? La liberté était chevillée au bonheur, la vraie liberté supposait d'être heureux. La vraie liberté restait la paix et non pas les atermoiements qu'elle vivait depuis des mois.

Elle se leva d'un bond.

- Excusez-moi, je dois partir, dit-elle en laissant Adelaïde.

Elle roula à toute vitesse jusqu'à l'hôtel Compton. Une fois arrivée, elle monta les marches quatre par quatre et entra dans sa chambre. Elle prépara une petite valise qu'elle demanda à Bessie de descendre et de charger dans la berline. Avant de partir, elle griffonna une lettre pour sa mère et Ashton. Elle ne se posa pas plus de questions et fila en direction de la gare.

Elle s'embarqua dans le premier train pour l'Écosse. Le voyage fut long, elle passa la nuit en somnolence, incapable de dormir entourée d'inconnus. Elle arriva enfin à la gare de Cumnock. Il ne lui restait plus qu'à trouver la malle-poste qui l'emmènerait à Maybole. Elle dut attendre deux heures avant de pouvoir monter dans la berline. Le trajet s'étira sur trois longues heures, durant lesquelles son angoisse grandissait. Plus elle se rapprochait du domaine de Philippe Tremaine et plus les doutes l'assaillaient. Comment serait-elle reçue ? Philippe voudrait-il lui laisser une deuxième chance ? Elle n'était sûre de rien. Il possédait une certaine fierté. Toutes ces questions lui tordaient les intestins.

La berline la déposa enfin à l'entrée du parc de Maybole. Sa valise à la main, elle avança le long du chemin qui menait au château de Culzean. L'immense demeure s'élevait, imposante. Ses créneaux et ses tours lui donnaient un aspect médiéval. Le tableau face à elle, peignait des couleurs exceptionnelles. Juché en bord de falaise, la vue sur la mer se révélait magnifique. Un coin de paradis sur le monde terrestre.

En avançant, elle remarqua près de la fontaine, Philippe en grande discussion avec une jeune-femme rousse qui tenait Caroline sur ses genoux. Son cœur manqua s'arrêter.

Ils formaient tous les trois l'image parfaite de la gentille petite famille. La connivence qui existait entre eux et les gestes attentionnés qu'ils se prodiguaient ne lui laissa aucun doute. Elle s'était fourvoyée en venant ici. Il ne l'attendait pas. Il n'avait pas tardé à la remplacer. Une boule se logea dans sa gorge. Ses muscles soudain ramollis, elle lâcha sa valise et s'en retourna, le plus discrètement possible. Il ne devait rien savoir de son passage ici, jamais. Sa fierté s'en trouverait écornée, elle ne le supporterait pas.

Elle marcha longtemps avant de croiser le village de Maybole. Les kilomètres ne suffirent pas à la vider de sa tristesse, elle pleurait encore lorsqu'elle entra dans l'auberge.
Le silence sembla s'imposer à son entrée. Les regards se rivèrent dans sa direction. Une petite femme rondelette aux cheveux roux filandreux, sortit de derrière le bar et s'approcha. Sûrement, la propriétaire des lieux pensa Rebecca.

- Eh bien jeune dame, lui dit-elle, faut pas chiffonner votre beau visage avec toutes ses larmes. On peut pas être si malheureuse à votre âge.

Elle se contenta de la regarder l'air hagard et désespéré.

- Vous auriez une chambre pour cette nuit ?

- Je vais bien vous trouver ça mon petit cœur. Allez, venez déjà avec moi, je vous offre un thé.

Elle suivit la femme qui l'installa dans un fauteuil confortable avant de lui tendre une tasse de thé fumante. Le breuvage lui fit du bien.

- Vous n'avez pas d'affaires, jeune dame ?

Sa valise, sotte qu'elle était, sous le choc, elle l'avait lâchée et laissée en plein milieu du chemin qui menait au château. Tant pis, elle n'y retournerait pas. Elle n'aurait pas le courage.

- Je... Non.

La propriétaire la regarda avec bonhomie.

- Ne vous inquiétez pas, je vous prêterais une chemise pour la nuit. Les MacRae ont le sens de l'hospitalité.

Elle la remercia d'un sourire.

Après le thé, elle s'installa dans sa chambre. Elle s'allongea sur le lit confortable. Elle sombra dans un sommeil agité. Plusieurs heures s'égrénèrent dans cette étrange somnolence.

Elle entendit au loin, le cliquetis de la porte qui s'ouvrait. Sûrement Madame MacRae qui lui déposait son repas, comme elle le lui avait demandé. La force d'entrouvrir les paupières lui manquait. Elle était trop fatiguée.

- Vous pouvez poser le plateau sur la table. dit-elle.

Elle entendit le claquement des pas sur le parquet qui se rapprochaient. Bien trop près du lit, pensa-t-elle. Ne l'avait-elle pas entendu ? Elle se retourna et toujours allongée, ouvrit les yeux. Elle sursauta et se rassit à la vue de Philippe, là, dressé devant elle, un air indéchiffrable.

- Que faites-vous là ? réussit-elle à demander.

Il étira un sourire ironique.

- Ne serait-ce pas plutôt à moi de vous poser la question ?

Sur ce point, il n'avait pas tout à fait tord, mais cela ne l'empêchait pas de se demander comment il pouvait savoir où elle se trouvait ? Comme pour répondre à sa question silencieuse, il leva au ciel son calepin rouge aux armoiries des Comptons.

- Qui d'autres pouvait avoir ça dans sa valise ?

Sa valise, c'est vrai. Il avait dû la trouver.

- Alors ? Dit-il en s'asseyant sur le lit.

Elle le regarda incrédule.

- Pourquoi êtes-vous venue jusqu'ici Beckie ?

Parce que prétentieuse, elle croyait qu'il l'attendait, qu'il l'aimait comme elle l'aimait. Qu'il souffrait comme elle souffrait. Mais tout ça ne s'avérait qu'illusions de son esprit romanesque, toujours à s'inventer des histoires.

Il attendait toujours sa réponse. Elle ne pouvait pas lui avouer tout ça. Mais quelle excuse avait-elle pour être venue jusque-là ? Aucune ? Voyant qu'elle ne répondait pas, il tenta de l'encourager.

- Vous vouliez me parler peut-être ?

Une évidence, mais maintenant, les mots qui quelques heures plus tôt se bousculaient sur ses lèvres, ne voulait plus franchir sa bouche. Il était trop tard. Il resterait à jamais son plus grand regret.

- Pourquoi pleuriez-vous ?

Ah la traîtresse de Madame MacRae ! Elle n'avait pas su tenir sa langue. Pourquoi des larmes ? Eh bien, elle pleurait sur son amour perdu, sur son avenir déçu. Ça aussi, elle le garda pour elle.

- Beckie ?

Elle baisa les yeux, incapable de soutenir son questionnement plus longtemps. Sa douleur se raviva et ses larmes, déloyales, coulèrent sur ses joues. Il attrapa son menton dans ses mains pour lui relever la tête et plonger son regard dans le sien. Le tumulte qu'elle lisait dans ses yeux la troublait. Le désir douloureux s'invita entre eux.

Il l'embrassa avec une ferveur tendre. Elle s'abandonna. Juste pour une dernière fois, se dit-elle, cela ne devait pas porter à conséquence. Comment arrivait-elle à se mentir à ce point ? Son cœur se fracasserait un peu plus, voilà la conséquence. Elle le repoussa.

- Arrêtez, vous ne pouvez pas faire ça. Vous n'êtes pas encore marié que vous bafouez déjà votre fiancée en batifolant ailleurs.

Il se recula, les sourcils froncés.

- Ma fiancée ?

Elle tourna la tête vers la fenêtre, regardant le vent jouer dans les arbres.

- Quelle idée a bien pu vous passer par la tête, Beckie ?

La prenait-il pour une imbécile ? Son aigreur remplaça sa tristesse.

- Ah oui ! Et que faisiez-vous tout à l'heure avec cette jolie rousse ? Je vous ai vu la regarder, la toucher.

Il la dévisagea un moment avant de partir dans un grand éclat de rire. Oh, elle le giflerait pour ça.

- Si vous voulez mon avis, vous avez beaucoup trop d'imagination.

Elle croisa ses bras sous sa poitrine et s'assit sur ses genoux, telle une petite fille boudeuse.

- La jolie rousse n'est que ma cousine, Shanna. Elle est venue m'aider pour Caroline.

Rebecca resta interdite. Sa cousine ? Stupide, elle avait été stupide ! Mortifiée, le rouge monta à ses joues, brûlant. Une nouvelle fois, il attrapa son menton pour tourner son visage vers le sien. Elle garda les yeux baisés. Elle ne voulait pas qu'il voie son malaise.

- Alors ? Pourquoi êtes-vous venue ?

Le courage qui l'habitait en arrivant à Maybole, semblait s'être envolé. Elle riva son regard au sien.

- Je...

- Vous ?

Elle se leva brusquement et s'approcha de la fenêtre. La distance lui insufflant un peu de ce courage qui lui manquait. Elle se lança sans le regarder.

- Vous me manquiez trop, vous et Caroline.

Il resta silencieux, lui laissant ainsi l'espace pour déverser son cœur.

- Je me suis trompée, Philippe, jamais, jamais je ne serais heureuse sans vous.

Elle l'entendit approcher. Elle se retourna. Ils se dévisagèrent.

- Vous avez le droit de me renvoyer d'où je viens bien sûr, mais je ne pouvais plus garder ça pour moi. Je vous aime Philippe, depuis toujours peut-être.

Ses larmes continuaient à couler sur ses joues. Elles semblaient ne jamais vouloir s'arrêter.

Il posa une main sur sa taille et la rapprocha plus près.

- Ah ma petite souris, si vous saviez comme j'ai attendu cet instant.

Il essuya ses larmes de son pouce.

- Il n'est pas question que vous partiez où que ce soit.

Il l'embrassa avec fougue. Elle se laissa porter sur le lit où il la déposa délicatement.

Ils s'allongèrent l'un en face de l'autre. Il lui sourit.

- Tu m'as manqué toi aussi, dit-il.

Elle l'embrassa à son tour, plongeant les doigts dans ses cheveux. Il la renversa sur le dos, attrapa ses poignets et l'immobilisa.

- Avant de continuer, j'ai besoin de savoir.

- Quoi ? Demanda-t-elle.

- Vas-tu accepter de m'épouser maintenant ?

Elle lui sourit.

- Lord Tremaine, laissez-moi vous dire que ce n'est pas la demande la plus romantique que l'on m'ait fait.

Elle creusa les reins pour rapprocher son bassin du sien, remontant une jambe sur sa hanche.

- Oh non, aussi tentante que tu sois, tu ne détourneras pas mon attention cette fois.

- Ah non ? Dit-elle en parsemant des baisers dans son cou et en continuant les mouvements lascifs de son bassin.

- Diablesse, dit-il en embrassant ses lèvres.

Il l'écrasa de tout son poids pour empêcher ses mouvements. Ils se défiaient du regard. Bien sûr, elle savait qu'elle l'épouserait. Elle était venue pour ça.

- Oui, murmura-t-elle.

- Quoi ? Dit-il.

- Je veux t'épouser.

Pour toute réponse, sa passion se déchaîna et l'emporta dans un nuage d'émotions et de sensations. Un nuage qui les portait jusqu'à leur paradis particulier. Celui où ils construiraient leur avenir.

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