Chapitre 1

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Vincent se soumit à la volonté d'Esteban, son précepteur, et sortit sans broncher. Il s'allongea dans l'herbe fraîche de l'après-midi. Une douce odeur de pins lui emplit les narines, mais il n'était pas d'humeur à l'apprécier. Il aurait tellement souhaité s'aventurer dans la forêt, aller à la découverte d'un monde qu'il avait tant exploré dans ses innombrables livres. Monde qui lui semblait si petit depuis le manoir. Isolé de tout, Vincent n'avait jamais su ce qui pouvait bien se trouver au-delà du grillage qui délimitait le jardin et lui servait de cage. Plus le temps passait, et moins Vincent n'avait confiance en Esteban. Ce manoir qui semblait être sa maison était devenu comme une prison, et son propre mentor n'avait jamais voulu lui révéler la nature de leur relation ; pourrait-il être son fils ? Son neveu ? Il doutait qu’il ait un quelconque lien de parenté avec Esteban, ce vieil homme distant et inexpressif avec lequel il avait grandi. Cependant, c'était la seule personne qu’il ait jamais connue — CRRRR !

Soudainement, un énorme fracas métallique vint le tirer hors de ses pensées, déchirant le ciel auparavant serein. Une chose étrange, ne ressemblant en rien à un oiseau, laissait échapper une traînée sombre, noire comme l'encre de son plumier, dans le ciel d'azur et tachait les nuages immaculés à son passage.

Le crash fut brutal et violent. Peu importait ce qui venait de tomber du ciel, cela ne pouvait qu’être un signe du destin pour lui dire d’agir. Il se laissa submerger par l’adrénaline et la curiosité ; vilain défaut, disait toujours Esteban. Les yeux vifs et alertes, il jetait de brefs coups d’œil aux alentours du jardin clos avec une légère trépidation. Devait-il désobéir ? Esteban ne semblait pas traîner dans les parages tel une sentinelle, et il avait beau écouter attentivement, il n’entendait plus aucun son provenir de cet objet volant — ou plutôt crachant. Il se releva, décidé, et d’un pas obstiné, se dirigea vers le grillage qu’il grimpa sans la moindre difficulté.

Il traversa feuillages, enjamba buissons sur buissons, et rapidement, atteignit une clairière inondée par la lumière du soleil chaud de l’après-midi.
Un engin rouge et fait de métal rouillé était planté là, le nez dans la terre. Il avait arraché pas mal de fleurs dans sa chute.
Il resta perplexe face à cela, puis doucement, s’approcha.
Alors qu’il commençait à reconnaître certaines caractéristiques des fameux « avions », moyens de transport aérien utilisés par le passé par les êtres humains avant la grande Catastrophe, un être roux et poilu bondit sur le rebord du trou servant de fenêtre. Vincent resta figé un moment à le fixer avec de grands yeux ronds avant de prononcer ces quelques mots, abasourdi :

« Tu... tu as piloté cette chose à toi tout seul ? »

Brusquement, un grognement se fit entendre, faisant sursauter le pauvre Vincent. Cela provenait de l’intérieur. Le chat tourna la tête nonchalamment vers le bruit et regarda calmement le siège du pilote. Vincent s’approcha à pas feutrés, très vigilant. Il aperçut d’abord des pieds, suivis de jambes, avant de finir sur le visage d’un être humain ; un vrai être humain bien vivant. La jeune fille était complètement à la renverse sur le siège, les pieds vers le plafond.

« Drôle de façon de s’asseoir. » observa Vincent.

Sur quoi la fillette releva un sourcil et répondit du tac au tac :

« Drôle de façon de t’adresser à mon chat. Il n’est que copilote, pas pilote. Je suis pilote. T’as vraiment l’air d’un détraqué du cerveau. »

Vincent fronça les sourcils, surpris et offensé par sa réponse si spontanée, mais il ne répliqua rien, trop déconcerté par la situation. Elle se releva lassivement sous le regard attentif et éberlué de Vincent.

« Qu’est-ce que tu es au juste ? » demanda-t-il un peu brusquement, alors que la question lui brûlait le fond de la gorge.

Elle passa une jambe par le trou lui servant de fenêtre, puis l’autre, et finit par basculer en avant dans un enchaînement disgracieux de mouvements non coordonnés, terminant sa danse à plat ventre dans la terre tout juste retournée par son engin. Le chat lui sauta sur le dos sans daigner l’éviter et lui fit pousser un soupir d’effort involontaire. Elle se releva péniblement et répliqua simplement :

« Eh bien, je suis moi, enfin je crois. Et toi ? dit-elle. »

Satisfaite de sa réponse, elle tapota ses vêtements pour chasser la poussière et la saleté. Tandis que Vincent serra ses lèvres l’une contre l’autre, frustré par cette réponse des plus absurdes.

« Je m’appelle Vincent, dernier être humain en vie, sans compter mon précepteur. Alors je réitère : es-tu vraiment un être humain, ou une forme développée d’une autre espèce animale ? Ou alors un extraterrestre ?? » s’enquit-il, la voix étranglée à la fin par la peur d’une telle possibilité.

La fillette le fixa vivement, les yeux écarquillés, puis se mit à s’esclaffer haut et fort. Cela n’amusa en rien Vincent, qui la trouva bien effrontée et malpolie.

« Waw, excuse-moi Monsieur, je n’avais pas compris votre importance dans la société. Je vais donc disposer car je ne suis pas digne d’un être aussi précieux que vous ; dernier être humain en vie, tu dis ? Il semblerait que vos calculs soient erronés. »

Le ton sarcastique de la fille ne lui plut guère. Il se sentit si confus et insulté qu’il objecta sèchement :

« Cesse de te railler de moi, je ne suis pas sot, j’ai bien compris ; tu es un être humain. Simple vérification. Esteban m’a toujours appris à me méfier, et aux dernières nouvelles, l’humanité a été supprimée après la grande Catastrophe. Serais-tu une rescapée ? »

Cette fois, la jeune fille s’efforça de garder son calme et expliqua plus tranquillement :

« Pardon, je ne voulais pas t’offenser, toi et ta grandiloquence. C’est juste que même Alphonse, le benêt du village, n’aurait pas pu faire une remarque plus idiote. Tu viens de quelle planète au juste ? On est en 1958. L’humanité a certes perdu de sa gloire d’antan, mais elle existe encore. Que veux-tu dire par la grande catastrophe ? »

Vincent se tut un moment et tricota nerveusement ses doigts.

« La grande Catastrophe... la bombe nucléaire qui a détruit la Terre entière, à part ce petit bout de terre, ici, éloigné de tout, dans cette chaîne de montagne qui nous protège des radiations... murmura-t-il. »

La fillette le fixa comme s'il avait perdu la tête. Son cœur se serra à l’idée de découvrir ce qu’il redoutait : Esteban lui avait bien menti toutes ces années. Mais pourquoi ? Les deux jeunes gens s’observèrent d’un regard incertain.

« Alors tu es sérieux lorsque tu penses être le dernier humain encore vivant ? Cette catastrophe dont tu parles n’a jamais eu lieu, qui t’a enseigné pareilles sornettes ? » soupira la fillette, stupéfaite.

Vincent baisse la tête et se mord la lèvre inférieure. Son monde s'écroule. Il admet :

« Mon précepteur... »

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