Chapitre 2 - Leandro

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Arrivée sur place, je cherche Maître Allard, l’avocat qui s’est occupé de Leandro lors du premier procès. Je comprends mieux maintenant pourquoi il a abandonné cette affaire. Sauver un mafieux de la mort. Je me mets à ricaner tellement cette pensée est risible. Je soupire. Ah, je l’ai trouvé. Je cours vers lui, la main levée pour l’interpeller.

— Maître Allard ! Attendez s’il vous plaît !

Il s’arrête, se tourne vers moi. Il grimace. Je n’aime pas sa façon de me regarder, comme si j’étais un insecte à éliminer. Cet homme petit, enrobé et presque chauve a déjà plus de trente ans d’expérience dans le milieu juridique. Il réajuste ses lunettes rondes sur son nez épaté couvert de taches de son. En arrivant à sa hauteur, je constate que je le dépasse de quelques centimètres. Les cheveux qui lui restent sur le côté de son crâne sont blonds. Ses yeux bleus presque blancs ressemblent à des cristaux de glace. Son allure austère me donne la nausée.

— Ah, Abby, que voulez-vous ?

Je rage intérieurement. Comment ça « ah » ? Et « Abby » ? Je suis peut-être novice mais j’ai réussi le concours du barreau haut la main, avec mention très bien et les félicitations du jury ! Je suis avocate maintenant. J’ai le droit à un minimum de respect ! Appelle-moi « Maître Bouchard » malappris prétentieux ! Évidemment, je ne peux pas sortir une chose pareille. Je me contente d’ignorer sa manière de m’adresser la parole. Alors je me tais. Je m’en veux de m’écraser comme ça.

— J’ai besoin de votre… euh de votre…

Ma bouche se tord, que c’est difficile de sortir ce mot pourtant si simple. Néanmoins, j’ai besoin de connaître les informations en sa possession sur mon affaire. Certaines femmes prétendent que cet avocat est un pervers narcissique. Et moi je cherche à me rapprocher de lui. Beurk, je suis dégoûtée que ce soit lui qui ait représenté Leandro. Il finit ma phrase à ma place.

— Aide ?

— Ouuuui… dis-je entre mes dents serrées.

— Sur le dossier Leandro Renucci je présume ?

— Exact.

— Eh bien, que dire ? Rien de plus que ce que vous trouverez dans ce dossier.

— Je veux savoir autre chose. Comment s’est-il comporté le jour de son procès ? A-t-il plaidé non coupable ? Comment ses proches ont-ils réagi ? Qu’a-t-il dit pour sa défense ?

Maître Allard lève un sourcil, étonné par ma demande.

— Pourquoi ne pas lui demander directement ?

— Il ne veut rien me dire !

Maître Allard éclate de rire.

— Alors bon courage, Abby ! lance-t-il en reprenant sa marche et en agitant la main.

Je serre les poings, vexée qu’il ne me prenne pas au sérieux.

— C’est Maître Bouchard ! dis-je en hurlant.

Maître Allard se retourne, m’analyse de la tête aux pieds par-dessus ses lunettes. Je me tiens bien droite, poings serrés, les joues rouge de honte, mais je ne céderai pas.

— Dites-moi ce qui s’est passé le jour de l’audience de Leandro Renucci.

Maître Allard croise les bras en souriant.

— Vous me plaisez finalement. Venez prendre un café. Je vais vous expliquer.

Il m’offre un cappuccino, et pour lui, un double espresso, puis nous nous asseyons à une table de la cafétéria. Il me raconte l’attitude de Leandro et le comportement de sa femme ce fameux jour.

« L’enquête fut bâclée, expédiée rapidement. Un mafioso de la ´Ndrangheta, la cible parfaite, le coupable idéal. Mais ils se trompaient. Sa femme en était persuadée. Aucun témoin ne fut appelé à la barre ce jour-là. Je m’en souviens comme si c’était hier. Il se tenait droit, debout devant le juge, en tenue de prisonnier grise, mains menottées devant lui, pieds liés par une chaine, silencieux, le regard fermé. Malgré la situation délicate dans laquelle il se trouvait, Gabriella ne pouvait pas détacher ses yeux de son mari. Le procès a duré à peine une heure. Un scandale. La famille de Tremblay n’en démordait pas. Pour eux, c’était lui l’assassin. Personne ne prit la peine de retrouver d'éventuels témoins. Il fut condamné à finir ses jours dans une cellule de la prison d’Ottawa. Cependant, la famille n´a pas été satisfaite de ce verdict. Ils exigeaient la peine de mort pour le meurtre d’Oliver Tremblay. L’avocat de la famille avait énuméré à cet instant les crimes de Leandro commis tout au long de sa vie. Le juge a écouté attentivement la succession de ses actes. Il l'a puni d’une attente de dix ans en cellule jusqu’à la sentence de sa peine de mort. Leandro avait dégluti avec difficulté, son corps s´était mit à frissonner. Pour la première fois, il a baissé la tête devant l’ennemi. Il a serré les dents pour retenir ses larmes. En le voyant ainsi et en entendant le verdict, les jambes de Gabriella flageolaient, elle est tombée sur les genoux en levant les bras. Puis elle s'était mise à verser toutes les larmes de son corps. Elle a crié de désespoir. Un brouhaha s'est fait entendre dans la salle.

Leandro ne pouvait rien faire pour aider sa femme. Il évitait son regard, car il ne pouvait tout simplement pas supporter de la voir ainsi en détresse. Son impuissance le dégoûtait. Il voyait du coin de l’œil les mains des gardiens se poser sur sa femme pour la soulever et la trainer en dehors de la salle d’audience. C’était injuste. Il brûlait de rage de l’intérieur. Dès que sa femme disparut de son champ de vision, deux policiers l'ont escorté vers sa cellule. Je les ai accompagnés et j'ai vu la pièce exiguë, aux pierres sombres et froides. Un sommier aux lattes à moitié cassées meublait la pièce de 5m2. Dessus se trouvait un matelas fin et crasseux. Des WC en inox complétaient le lieu. Pour seul éclairage, il disposait d’une petite fenêtre haute munie d’un vantail soufflet abattant. Autant dire qu’il vivait dans une grotte. Aucun moyen d’admirer les lueurs du soleil.

Le policier a poussé Leandro d’un geste brusque. Il a manqué de trébucher. Puis il a fermé violemment la porte blindée. Je me suis senti impuissant. La seule chose que je pouvais faire en tant qu’avocat était de faire appel pour contester la décision du juge. Ce qui m’a été accordé. Et le bâtonnier vous a passé le relais ».

— Merci, Maitre Allard.

Maitre Allard lève un sourcil d’un air sceptique. Il a visiblement pris ma réflexion pour de l’ironie. Alors que je le remercie juste de m’avoir donné ces informations. Sur ce, je rentre chez moi pour étudier tout ça calmement. Je vois Leandro autrement maintenant.

Cette nuit je m’endors en pensant à lui. Je le vois en rêve. Un rêve qui devient très vite érotique. Nous sommes nus, il me prend par l’arrière, une main malaxant mon sein gauche et de l’autre, ses doigts s’enfoncent dans ma bouche. Il me cambre délicatement vers son torse musclé. Ses cheveux caressent ma nuque avec douceur. Ses mouvements de va-et-vient sont puissants. Puis il m’allonge sur le dos sur un immense lit à baldaquin recouvert d’un drap en soie bleu nuit. Il s’allonge sur moi et me pénètre avec véhémence. Il agrippe ma cuisse d’une main et mon visage de l’autre. J’halète d’extase. Il me transperce avec son regard de braise. Je gémis de plus en plus fort. Il m’emmène jusqu’au septième ciel. Lorsque j’atteins l’orgasme, je hurle son nom « Leandrooooo !!! ». Puis je me réveille en sursaut, moi-même surprise par mon cri. Je suis en nage. La sueur a imbibé les draps en coton. À moitié réveillée, je me replonge dans mon rêve, je continue à gémir, m’enveloppe dans mes draps qui deviennent peu à peu ses bras. Nous voilà dans sa Lamborghini rouge métallisée. Il conduit à vive allure sur les routes sinueuses de la côte Amalfitaine. J’observe son profil, lunettes de soleil sur son nez droit. Sa main droite est posée sur ma cuisse. Je m’approche de son visage pour qu’il m’embrasse langoureusement. En me penchant ainsi, je me sens tomber nue sur son corps puissant et luisant. Un « boum » me réveille instantanément. J’ouvre les yeux, je suis par terre. J’ai dû tomber dans mon sommeil. Ma cuisse droite me lance. Ma jambe gauche est encore entremêlée dans les draps. Je me libère, puis me lève, toute ébouriffée. Je jette un œil sur mon réveil posé sur ma table de chevet : il est 03:24 du matin. Je file à la salle de bain. Mes joues sont rouge de désir et de gêne. Je sens un liquide moite dans mon entrejambe. Je touche mon sexe humide. J’ai joui dans mon sommeil. Je prends alors une douche bien fraîche pour me remettre les idées en place avant notre rendez-vous de ce matin, prévu à neuf heures.

Je n’ai pas pu me rendormir après ce rêve torride. J’en ai profité pour travailler mon dossier. J’ai une bonne nouvelle à lui annoncer. Je suis certaine qu’après ça, il me demandera de l’épouser ! Je suis tout excitée rien qu’à l’idée que nous serons ensemble, seuls tous les deux dans la même pièce. Pas de vitre pour nous séparer. Bien sûr des gardiens seront postés devant la porte et ils pourront vérifier que tout va bien à travers la lucarne, mais nous serons côte à côte, main dans la main.

Je lève les yeux vers le ciel bleu, le soleil brille, je me sens enjouée. Je traverse les couloirs de la prison avec le sourire. Lorsque j’arrive à la salle de rendez-vous, je l’épie par la lucarne de la porte. Mon sourire s’efface en un éclair. Leandro est là en compagnie de son épouse Gabriella, une femme élégante aux cheveux bouclés, épais et noirs, longs jusqu’au creux de ses hanches. Ils se tiennent les mains. Mon cœur se serre. Elle lui caresse la joue, puis il se lève pour lui déposer un baiser sur ses lèvres charnues. Les larmes me montent aux yeux. Je crispe la mâchoire, brûlant de jalousie.

— Vous n’entrez pas ? demande le gardien.

J’agite la tête de gauche à droite, puis repars en courant. Je cours d’une traite jusqu’au parc Tauvette. Je m’installe sur un banc face au terrain de baseball. Je baisse la tête et éclate en sanglots. Quelle idiote ! Mais quelle idiote je fais ! Suis-je bête à ce point ? Merde ! Qu’est-ce que j’avais dans la tête ? Qu’il m’emmènerait dans sa Lamborghini à travers toute l’Italie pour vivre un amour passionné, dès le lendemain du procès remporté ? Idiote !

Je relève la tête, en larmes, mon mascara dégouline. Une main me tend un mouchoir. Je recule et lève la tête vers cet homme. Un joueur de baseball vu sa tenue.

— Une aussi jolie femme que vous ne devrait pas pleurer.

En entendant ces doux mots, je me remets à pleurer. J’aurai aimé que Leandro me dise ça. L’homme s’excuse, puis part en courant rejoindre son équipe. Je me déteste d’être aussi sotte. J’essuie mes yeux, soupire longuement. Je reste plantée là à regarder les plantes osciller sous les brises. Le soleil commence à se coucher. Il est temps que je rentre chez moi.

Je reste au lit pendant trois jours. Mon téléphone a sonné plusieurs fois. Laissez-moi tranquille, j’abandonne. Finalement, une personne est venue jusqu’à chez moi, tambourine à la porte comme un forcené et crie mon nom. Je reconnais sa voix. C’est Maître Allard. Quelle déception ! Je finis tout de même par lui ouvrir la porte sinon il risque de la fracasser. Lorsque j’ouvre, il m’attrape par les épaules, me secoue, puis me serre dans ses bras. Il sent l’après-rasage au menthol à plein nez. Puis il me libère de son étreinte.

— Abby ! Vous allez bien ? Qu’est-ce qui vous est arrivé ? Nous étions tous très inquiets !

— Pardon, je… un coup de déprime…

— Ce n’est pas le moment ! La date du procès de votre client a été avancée ! Et Madame Carrier a accepté de témoigner ! Vous avez réussi Abby ! Ne baissez pas les bras !

Je n’en reviens pas, lui qui est si arrogant, il m’encourage maintenant ? Je pleure à nouveau.

— Qu’y-a-t-il ? J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?

— Il m’a laissée tomber, dis-je en chialant comme une gamine.

— Ah… Votre petit ami ?

— Qu’est-ce que je dois faire ?

— Oubliez-le. Sortez avec un autre homme, ce sera pour vous la meilleure des vengeances.

Je marmonne :

— Oui, c’est ça, me venger…

— Pardon ?

— Je disais qu’il m’a profondément blessée.

— C’est un idiot pour rompre avec une femme comme vous.

Il n’a même pas dit « belle » ou « jolie » dans sa phrase. Peut-être pour ne pas passer pour un vieux pervers. Il n’est pas aussi mauvais que les gens le prétendent. J’essuie mes larmes. Je craque dès mon premier boulot. Pathétique n’est-ce pas ? Je ne suis qu’une pauvre idiote. Maître Allard a raison, je dois me reprendre et exercer mon métier d’avocate avec brio. Je me suis battue des années pour y arriver. Ce n’est pas le moment de tout lâcher. Je ne réponds pas à cette remarque. Je me contente d’aller vers la salle de bain pour prendre une douche. Pendant ce temps-là, j’entends Maître Allard ranger et aérer la pièce. Je contemple l’eau ruisseler à mes pieds. Je me sens si mal. Je souffle un bon coup, sors de la douche, m’essuie, me pomponne, m’habille avec mon plus beau tailleur, puis ouvre la porte. J’hallucine, tout brille ! Maître Allard a tout nettoyé ! Je rêve !

— Ah, ravi de vous voir vêtue ainsi. Cela vous va largement mieux que le jogging baggy.

— Euh… merci… Maître…

— Appelle-moi Peter. Entre collègues, on peut se tutoyer et s’appeler par nos prénoms.

— D’accord… Peter.

— Tu me fais penser à ma fille, une vraie girouette elle aussi. Tantôt joyeuse, tantôt déprimée. Je ne comprendrai jamais rien aux jeunes d’aujourd’hui.

J’ai de nouveau envie de pleurer. Il me voit comme sa fille et non comme une femme. C’est peut-être mieux ainsi de toute façon. Je souris légèrement, attrape mon attaché-case, et direction le centre pénitentiaire. Vu mon état, il décide de m’y conduire. Il est gentil en fin de compte.

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