Chapitre 1 - Abby

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Je m’appelle Abby et je suis avocate fraîchement diplômée. En ce jour particulièrement froid du mois d'octobre, je me dirige vers le Centre de Détention d'Ottawa-Carleton.

Une prison particulièrement stricte et dure, qui supprime les moments de détente aux détenus les plus dangereux. Cette décision est due à une recrudescence d’actes terroristes sur le sol canadien. Le ras-le-bol général de la population a fait que le candidat d’extrême-droite radicale a été élu premier ministre du Canada. Sa première action a été de restaurer la peine de mort. Pour le moment dans une seule ville, pour une phase de test. Et c’est Ottawa qui a été choisie. Nous vivons une ère de craintes et de doutes.

En pensant à cela, je m’assieds sur la chaise en fer inconfortable, me trémousse pour trouver une position acceptable, puis réajuste ma veste de tailleur en attendant mon client.

Leandro arrive au parloir, mains dans les poches. Un vitrage de sécurité me sépare de lui. Je l’observe. Il s’assied nonchalamment. Ses cheveux ondulés cachent la moitié de son visage fermé et sombre. Je repère tout de même une cicatrice sur sa joue gauche. J’épie ses yeux noirs profonds, ses cheveux mi-longs d’un ébène brillant finissant en boucles sur sa nuque, et sa courte barbe. Quelques mèches de cheveux se rebellent ici et là de sa chevelure épaisse. Son regard froid me fait frissonner. Il en impose par sa prestance et son charisme. Plus d’une femme tomberait sous son charme, cela ne fait aucun doute. Le fantasme du criminel beau gosse, manipulateur et dominateur par excellence. Je me mets à rougir me prenant pour Ella dans Captive.

Attendez, mais qu’est-ce que je raconte ? Je secoue la tête. Je ne suis pas dans une Dark Romance ! Je suis dans le monde réel, je suis avocate et je dois sortir de là cet homme ténébreux. Il n’a que trois ans de plus que moi. Écart correct. Argh je divague encore. Je baisse machinalement le regard vers ses mains. Je remarque qu’elles sont encerclées de bandages grisâtres. Le plus inquiétant, les taches de sang présentes sur ces bandes, ainsi que ses ongles écorchés. Je relève la tête. Cet homme ne m’inspire guère confiance. Je me sens mal à l’aise. Merde. Une atmosphère oppressante envahit la pièce. Il semble sûr de lui, hautain, comme si rien ne pouvait l’atteindre. À cet instant, je doute sérieusement de la déposition de sa femme, Gabriella. Un homme pareil ne peut pas être innocent. Je fronce les sourcils, puis analyse sa stature. À la fois musclé et svelte. Les os de ses clavicules se dessinent sous son t-shirt blanc. Je distingue quelques cernes sous ses yeux, éreinté et fatigué par ces mois de prison à attendre la suite de son procès. J’ai chaud tout d’un coup, je sens que mes joues sont en feu. Qu’est-ce qui m’arrive ? Il me déstabilise par son regard de braise. Ce n’est pas professionnel du tout comme comportement. Mon tout premier procès et je suis sous le charme de mon client. Reprends-toi Abby. Je baisse la tête sur mes mains agrippant ma jupe étroite. Je frissonne d’excitation. Je ne peux pas. Je suis incapable de m’occuper du cas d’un tel homme.

À cet instant, un bruit assourdissant me sort de mes pensées. Je sursaute. Les deux mains de Leandro sont collées sur la vitre qui nous sépare. Penché en avant, il me fixe de son regard noir.

— Hey, vous dormez ou quoi ? Ça fait une heure que je vous parle ! Vous m’écoutez au moins ?

Je relève lentement la tête, confuse. Je jette un œil sur l’horloge. Ça ne fait que dix minutes que nous sommes là. Je fronce les sourcils.

— Alors ? lance Leandro, irrité.

— Alors quoi ?

— Êtes-vous capable de me sortir d’ici ?

Je me penche sur mon attaché-case pour prendre le dossier de mon client. Oui, un client. Je ne dois pas oublier ce point. Si je veux me faire une place dans ce milieu juridique, il ne faut pas que je me disperse. Garder son professionnalisme et son sang-froid en toutes circonstances. En tant que femme, il m’est impératif de redoubler encore plus de vigilance. Je tapote le dossier sur la table, jette un œil vers lui. Nos regards se croisent. Je baisse les yeux très vite sur les documents. J’ai l’impression qu’il me transperce, pouvant voir en moi mes désirs et mes faiblesses. Je lis les mots surlignés en jaune par le bâtonnier. C’est lui qui m’a désignée commis d’office pour que je reprenne le dossier Leandro Renucci. Les larmes me montent aux yeux, tous ces mots sont identiques. Un seul et unique mot mentionné une dizaine de fois : « coupable ». Pas de témoignages pour le disculper. Il m’a bien eu. Tous les avocats le disent que le bâtonnier est un homme narquois. Ce n’est pas pour rien qu’il est surnommé « Martin le mesquin ». Je soupire. C’est sans aucun doute un bizutage. Quel salaud tout de même de jouer avec l’avenir des gens ! Leandro est membre de la Mafia italienne la plus puissante du monde. Pas n’importe lequel, un fils de parrain ! Aux yeux de la justice, il est coupable d’office. Cependant, aucune preuve tangible explique sa mise en détention. Je souffle un bon coup, ferme les yeux, puis me lance. Rien que de penser à la tête d’ahuri que fera Martin en apprenant que j’ai gagné mon procès, cela me rebooste ! Je suis gonflée à bloc ! Je relève la tête, prise par l’adrénaline que procure ce travail. Avec lui, ça ne sert à rien de tergiverser. Je vais droit au but.

— Êtes-vous coupable du meurtre de l’adjoint au Maire d’Ottawa, Monsieur Oliver Tremblay ?

— Non, répond Leandro sans aucune hésitation.

— Alors pourquoi n’avez-vous pas dit que vous n’étiez pas coupable lors de votre arrestation ?

— Je l’ai fait. Mais personne ne m’a écouté. J’ai eu le droit à la rengaine classique « Vous avez le droit de garder le silence. Si vous renoncez à ce droit, tout ce que vous direz pourra être et sera utilisé contre vous devant une cour de justice. »

— D’accord. Je vois. Donc vous ne parlerez qu’en présence de votre avocat.

— Avocate, souligne Leandro, sourire en coin. Et je dois vous nommer comment d’ailleurs ? Maîtresse ? Commandante ? Madame ? Cheffe ?

— Appelez-moi « Maître », dis-je d’un ton sec.

— Okay.

— Reprenons. Connaissiez-vous cet homme ? demandé-je en montrant la photographie d’Oliver Tremblay.

— Non.

— Avez-vous une idée de la personne qui lui voulait du mal ?

— Non.

— Ou de ses intentions ?

— Non.

— Pourquoi vous ?

— Je ne sais pas.

Je soupire, me frotte les yeux.

— Nous n’allons pas avancer comme ça.

— Puisque je vous dis que je ne sais pas.

Je brandis les documents pour les mettre sous son nez.

— Écoutez, tous les éléments présents dans ce dossier accusent la ‘Ndrangheta de cet assassinat commandité ! Et pas n’importe quelle filière, celle de la famille Renucci dont vous êtes le fils aîné !

— Ils se trompent.

— Les Carabinieri ont trouvé des éléments prouvant la préparation à cet assassinat dans votre fief à Caprara en Calabre !

— Je vous le répète, ils se trompent. L’objectif du gouvernement italien est de tous nous coincer.

— Vous avouez faire partie de la ´Ndrangheta ?

— Non. Je relate juste des informations médiatiques.

— Les Renucci sont implantés sur le sol canadien depuis deux générations. Connus pour des trafics de drogue, de stupéfiants, d’armes, d'extorsions auprès de commerçants, corruption auprès de politiciens et détournements de fonds publics. Vous savez tout ça puisque vous êtes le fils du parrain !

— À votre avis ?

— Vous m’agacez !

— Ah bon ? ricane Leandro.

— Qui a tué Monsieur Tremblay ?

— Je ne sais pas.

— Vous savez certainement quelque chose !

— Non.

— Bon sang, ça suffit ! Je veux bien croire que l’Omertà vous empêche de parler ou de dénoncer qui que ce soit, mais il y a des limites ! Je vous rappelle que vous risquez la peine de mort !

— Vous ne comprenez rien.

— Alors expliquez-moi !

— Vous devez vous préoccuper que d’une seule chose : prouver mon innocence.

— Je ne peux pas si vous ne m’aidez pas ! Vous devez briser cette loi si vous voulez sauver votre peau !

— Dans l'organisation, rien n'est gratuit. Si je te rends un service, tu me dois quelque chose en retour. C’est comme ça que ça marche.

Leandro croise les bras, me fixe intensément dans les yeux. Il se penche légèrement en avant, se retrouvant à quelques millimètres du vitrage sécurisé.

— Les hommes respectent cette loi non écrite, tacite, car ils sont bien conscients que si l'un d'eux la bafoue pour compromettre un clan ennemi, ce même ennemi est capable d'en faire autant. L'omertà explique en grande partie le fait que la mafia soit toujours aussi puissante après plus d'un siècle de traque. Soyez certaine que je respecterai cette règle jusqu’au bout.

— Et vous dans tout ça ?

— Trouvez des témoins.

— Personne n’en a trouvé.

— Vous avez des éléments dans ce dossier. Cherchez.

Il se redresse, s’étire, puis se plaque contre le dossier de sa chaise, mains derrière la tête. Il se moque de moi ! Quelqu’un doit bien savoir ce qui s’est passé. Sans doute une personne du même milieu. Mais qui ? Et comment approcher l’un des membres d’une mafia aussi puissante ? Je me sens désemparée. Dans quel bourbier me suis-je fourrée ?

— Qu’est-ce qu’un rital dans votre genre est venu faire dans ce pays glacial si ce n’est pour les trafics illégaux ?

— Hey ! Un peu de respect ! Et vous alors, l’avocate sortie tout droit de Bollywood, qu’est-ce qui vous a amenée ici ?

— Mes origines ethniques ne vous regardent pas.

— Vous non plus !

— Je m’appelle Abby Bouchard.

— Votre physique d’indienne ne colle pas avec votre nom.

— Par contre, vous, vous avez la gueule parfaite du mafieux calabrais.

— À quoi vous jouez ?

— Nous devons nous faire confiance l’un l’autre si vous voulez que je vous évite la peine de mort.

Nous nous regardons droit dans les yeux. Je rougis malgré moi. Qu’est-ce qu’il est beau, putain !

— D’où viennent vos blessures aux mains et au visage ?

Leandro hésite quelques secondes avant de répondre.

— Les gardiens organisent des combats entre les détenus, tous les jeudis. Ils parient sur nous.

— La police laisse faire ?

— Ce n’est un secret pour personne. À vrai dire, ça les arrange qu’on s’entretue. Plus besoin de procès. Pour survivre ici, vous n’avez pas d'autre choix que de vous battre.

Je ne dis rien, me contente de sourire timidement par pitié. Nous ne disons mot quelques minutes jusqu’à ce que le gardien entre dans la pièce pour stopper notre entretien, nous délivrant ainsi de ce silence pesant. Il emmène Leandro vers sa cellule. Je me lève, puis décide de me rendre de ce pas au Tribunal.

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