1. Balle

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Mathilde souffle un grand coup. Son miroir se couvre de buée, effaçant le reflet de ses traits crispés. Elle resserre sa queue de cheval d’un air décidé. Allez, tu t’y es inscrite, c’est le moment d’assumer. Un dernier coup d'œil dans la glace lui fait tirer une grimace. Un legging noir enveloppe ses jambes musclées et un survêtement ample couvre les deux monticules de graisse qu’elle a plaqué fermement avec une brassière. Si tu n’avais pas les cheveux aussi longs, on te prendrait pour un garçon. Elle avise le renflement sur son thorax avant de lever les yeux au ciel. Allez, c’est parti.

Elle glisse sur le parquet de son petit appartement avec une aisance acquise depuis quelques semaines et s’arrête pile devant son sac de sport. Ses chaussures y sont - elle a vérifié deux fois -, sa bouteille d’eau aussi, son ballon… Tout est prêt. Un sourire naît sur ses lèvres alors que son excitation prend le dessus sur son angoisse. Ça va bien se passer. C’est obligé. La bandoulière de son paquetage coincée sur l’épaule, elle prend son portable, ses écouteurs et claque la porte de chez elle.

Le vent de septembre souffle dans ses boucles blondes. Elle inspire profondément tandis que la musique tabasse ses tympans. Son regard vogue entre les voitures roulant tranquillement à sa droite et l’arrêt de tram où quelques étudiants patientent. Mathilde continue son chemin vers le campus universitaire. Alors que ses lèvres miment les paroles de la chanson, ses doigts pianotent dans l’air. Elle se perd dans le solo de guitare pendant que le soleil meurt derrière les grands immeubles de la ville. Ses pas la conduisent devant les escaliers de sa Faculté mais elle ignore le bâtiment décrépi. Elle n’a pas envie de se rappeler du nombre de dissertations qu’elle doit rendre cette semaine. D’ailleurs, la voix de son chanteur favori l’empêche de penser plus loin.

Elle passe devant la cafétéria étudiante qui est déjà bien animée en ce début de soirée. Lorsque son regard noisette embrasse un groupe d’inconnus en plein fou rire, un sourire naît sur son visage. Il est dix-huit heures et vous êtes déjà pompette. Bravo les gars !

Sans se départir de son air radieux, Mathilde atteint enfin sa destination. Les portes du gymnase viennent de s’ouvrir et une longue file s’est formée juste devant. Elle s’approche pour se fondre dans l’amas d’étudiants qui patientent. Quelques personnes la dépassent en riant avant de tranquillement se faufiler à l’intérieur. Ses yeux noisette se plissent. Nan mais c’est quoi ça ? Je vais vous apprendre à gruger, moi !

Alors qu'elle ronchonne mentalement, la jeune femme ne fait pas attention à la présence qui se poste à ses côtés :

  • C…. doit… tre… an...

Jurant à mi-voix, Mathilde enlève prestement ses écouteurs avant de se tourner vers son interlocutrice :

  • Pardonne-moi, j’écoutais de la musique. Tu disais ?
  • Oh ! Rien de bien important. Juste que les anciens ont le droit de rentrer avant tout le monde, explique l’inconnue en montrant du doigt le devant de la file. Le prof les connaît, il n’a pas besoin de vérifier leur carte étudiante. C’est ça qui prend autant de temps.

La blonde fronce les sourcils et plonge les mains dans les poches de sa veste. Ouf. Elle n’est pas sortie sans son justificatif.

  • Ce n’est pas la première fois que tu viens ? demande-t-elle en rangeant ses écouteurs dans son sac de sport.
  • Et non ! J’étais inscrite au badminton l’année dernière mais ça ne m’a pas trop plu. Il fallait tellement courir ! Je dois te faire une confession : je n’aime pas beaucoup suer. Alors j’ai pris un créneau de handball. Heureusement que l’autre folle ne me collera plus aux basques ! Elle était absolument insupportable, j’ai cru que j’allais…
  • Oh du hand ! Je me suis aussi inscrite à l'entraînement du jeudi, précise-t-elle. Peut-être qu’on s’y verra. D’ailleurs, je m’appelle Mathilde.
  • Andréa, enchantée !

Sans qu’elle ait besoin de poser des questions particulières, sa nouvelle connaissance s’étend sur le choc que représente l’université à la fin du lycée. Elle lui raconte ses déboires au baccalauréat, la galère pour trouver un logement et celle de ne rien comprendre à ses cours de mandarin. Mathilde lui répond par des exclamations polies tout en surveillant discrètement sa montre. 18 h 10. À ce rythme, je ne vais même pas avoir le temps de toucher un ballon.

Arrive enfin le moment où elle franchit les portes du hall du gymnase. Elle laisse galamment Andréa passer avant elle, espérant ainsi être débarrassée, pendant un temps, de ses jacasseries bruyantes. Elle ne peut que soupirer de soulagement quand la pipelette entre enfin dans les vestiaires.

  • Vous êtes… ? demande le professeur de volley-ball, les yeux baissés sur sa liste.
  • Mathilde Bayram.
  • Bayram ? Vous êtes de la famille de Kaïs Bayram, par hasard ?
  • Pas du tout, sourit-elle en tendant sa carte étudiante.
  • Tant mieux.

Mathilde hausse un sourcil curieux devant le soupir soulagé de l’adulte. Sacrée réputation ce Kaïs.

Lorsqu’elle fait son entrée sur le terrain, les filets sont déjà montés et les balles bleues et jaunes fusent à toute allure. Elle s’assoit prestement sur un banc pour changer de chaussures. L’envie de jouer rugit dans ses veines. Elle se débarrasse de ses baskets d’un coup de pied avant d’enfiler une nouvelle paire, achetée exprès. Elle a à peine le temps de faire le premier nœud qu’un ballon vient heurter son tibia. Elle immobilise l’objet sous son talon puis se redresse.

  • Oups ! Pardon !

Un jeune homme se presse vers elle, la main en l’air. Quelques mèches mi-brunes, mi-azur se sont libérées de son chignon et collent sur son front luisant de transpiration. Il agite son bras couvert de divers tatouages, un sourire éclatant sur le visage. Mathilde fait rouler le ballon sous son pied avant de le prendre en main. Ses lèvres s’étirent :

  • Alors comme ça, on s’attaque aux pauvres nouveaux ? Tu n’as pas honte ?

L’inconnu éclate de rire et elle ne peut que se joindre à lui. Elle lui rend volontiers son arme pendant qu’elle s’occupe de serrer vite fait sa deuxième basket. Lorsqu’elle relève la tête, il est toujours là, ses yeux verts pétillants de malice. Elle arque un sourcil interrogateur :

  • Je t’assure que je peux marcher.

Il acquiesce pensivement puis inspire d’un air dramatique :

  • Tu es sûre de ne pas vouloir aller aux urgences ? tente-t-il avec une fausse moue inquiète.
  • C’est vrai que j’ai au moins… deux fractures.
  • Je paierai tes frais de santé.
  • Trois fractures et une maladie incurable.
  • Ton cercueil sera serti de diamants.
  • J’aimerais me faire incinérer.
  • Je m’occuperai des offrandes à jeter dans les flammes.

Mathilde se mord la joue pour contenir le rire qui monte dans son torse pendant que les fossettes du nouveau venu se creusent. Elle se racle la gorge d’un air sérieux :

  • Mes parents t’en voudront.
  • Je les inviterai à dîner tous les mois en ton honneur.
  • Toutes les semaines ?
  • Tous les jours.
  • Ils n’aiment que les restaurants étoilés.
  • Je trava…

Elle n’entend pas la suite, une exclamation déchire l’air tout près de son oreille :

  • MATHILDE !

Andréa. La blonde aurait pu se taper la tête contre un mur. Elle observe son partenaire de vannes absurdes reculer d’un pas pendant que la pipelette s’accroche à elle. Alors qu’Andréa lui raconte ses mésaventures dans les vestiaires, le volleyeur lui fait un clin d’œil :

  • Bon voyage au paradis, chuchote-t-il d’un ton complice. Et merci !

Mathilde se fend d’un sourire crispé mais lui rend son œillade. Dans un gloussement discret, le garçon retourne s’échauffer à l’autre bout du gymnase. La blonde lâche un grognement avant de se détacher, doucement mais fermement, de l’étreinte d’Andréa.

  • C’était quiii ? demande la commère en zyeutant l’inconnu. Un gars de ta fac ? Il est vraiment pas maaal ! Tu as des vues sur lui ou je…
  • Allez, ça suffit ! Que dirais-tu d’aller prendre une balle ?
  • J’aime pas transpirer…

Devant les yeux de chien battu de cette sportive en carton, Mathilde expire profondément. Son regard agacé n’a aucun effet. Elle tourne les talons et jure dans sa barbe jusqu’au local de rangement. Qu’est-ce qu’elle est chiante celle-là !

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