5. Faute

8 minutes de lecture

Mathilde rabat la capuche du sweat shirt de Théo sur sa tête. Le vêtement flotte autour d’elle, caresse sa peau et cache la plupart de ses courbes. Dans les rues sombres d’une ville qu’elle ne connaît pas, elle se sent presque… protégée par ce bout de tissu. Pourtant, la blonde est loin d’être frêle. Ses épaules sont carrées, ses biceps bien dessinés tandis que les muscles de ses jambes se tendent puissamment sous son legging. Alors quelle magie contient ce pull trop grand pour créer ce sentiment d’invulnérabilité ? Il y a quelque chose d'exaltant dans cet accoutrement. Quelque chose qu’elle ne ressent pas lorsqu’elle s’habille d’un chemisier à fleurs. Elle se sent… forte. Libre.

La musique bat son plein dans ses oreilles et elle se surprend à chanter quelques notes dans l’obscurité. Quand sa voix se répercute sur les bâtiments alentour, elle plaque sa main sur sa bouche. Puis un léger rire naît dans sa gorge. Elle n’a clairement pas envie de rentrer. Cette soirée au bar était trop décevante pour qu’elle embraye sur une nuitée encore plus ennuyante. Sans vouloir vous vexer, chères dissertations. Elle augmente le volume et se dirige vers le campus universitaire. Elle fait glisser ses pieds sur le sol, tente une petite cabriole sous la faible lueur des lampadaires. Ses yeux se ferment un instant alors que son corps se tend au rythme de la chorégraphie qu’elle imagine.

Puis, la respiration haletante, Mathilde s’écroule sur un banc. Elle s’allonge sur l’assise pendant que son regard se lève vers le ciel. Les étoiles drapent la nuit de leur éclat tandis que la lune les baignent de son aura maternelle. Elle croise les bras derrière sa tête. Cet entraînement de volley lui a fait du bien. Même si elle s’est pris une tempête de glue, elle a pu s’envoler. Théo… Toutes les blagues pourries qu’elle lui a faites lui reviennent en pleine tête. Elle lâche un grognement. Qu’est-ce qui lui a pris ? Elle n’a pas réfléchi avant d’agir. Elle n’a pas choisi ses mots à l’avance, elle ne s’est pas… Un petit sourire se dessine sur son visage. Elle a été vraie avec lui. Plus vraie qu’avec n’importe qui. Une moue satisfaite plisse ses traits. Quel bonheur d’être soi-même. Peut-être qu’il faudrait que je le sois plus souvent…

Alors qu’une brise joue avec ses boucles blondes, un frisson glacial secoue son corps. Argh. C’est vrai que je suis pleine de transpiration séchée. Une douche brûlante lui ferait le plus grand bien. Mais cela impliquerait de retourner dans son petit appartement. Un soupir. Elle salue les constellations avant de se relever, la bandoulière de son sac de sport sur son épaule.

Lorsqu’elle passe devant la fac de droit, elle ne lui jette pas un seul regard. Elle continue tranquillement son chemin vers le bâtiment dédié à la biologie avant de prendre un raccourci par la bibliothèque étudiante. C’est là qu’elle les voit. À peine éclairée par un lampadaire en fin de vie, une silhouette se protège des coups d’une autre. Le sang de Mathilde ne fait qu’un tour :

  • OI !

Elle arrache ses écouteurs et se précipite vers les deux personnes. Elle fend l’air aussi rapidement qu’elle le peut. Malheureusement sa vitesse n’est pas suffisante pour rattraper l’agresseur qui s’est enfui en courant au moment où il a entendu son cri. Elle jure copieusement, se demandant si elle devait le poursuivre et lui faire goûter ses poings. Bordel. Elle s’accroupit puis se penche sur la victime :

  • Hey. Est-ce que…

Son regard se plonge dans les iris vert d’eau de l’inconnu. La lueur de la lune se mélange au bleu azur des cheveux du jeune homme. Les yeux de Mathilde s'écarquillent :

  • Théo ?
  • Math… Outch !

Le passeur fait jouer sa mâchoire, une main sur sa joue. Une grimace de douleur traverse ses traits :

  • Il ne m’a pas raté celui-ci.
  • Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demande-t-elle en scannant le visage du sportif, à la recherche d’autres blessures.
  • Je ne sais pas. Ma teinture n’a pas dû lui plaire.

Elle hausse un sourcil tout en continuant à le fixer. Ne me mens pas. 

  • Bon d’accord, cède Théo en s'allongeant sur le sol. Il m’a traité de “pédale”.

Les jointures des doigts de Mathilde craquent dangereusement. Elle laisse son sac tomber sur le sol avant de s'asseoir aux côtés du garçon.

  • Je lui ai poliment répondu que son père était ravi de son expérience avec moi, soupire-t-il, son regard levé vers le ciel.

Il tourne la tête vers l’attaquante. Ses yeux verts s’embuent, ses sourcils se froncent. Il tente un sourire alors qu’une larme solitaire roule le long de sa tempe. Puis il efface la perle salée d’un geste brusque et revient à sa contemplation des étoiles.

  • Il n’a vraiment pas apprécié. Tu crois que j’aurais dû être plus créatif ? demande-t-il d’un ton enjoué qui sonne affreusement faux.

Elle ne répond pas. Les mots se pressent contre ses lèvres mais elle ne les laisse pas sortir. Elle aimerait insulter ce type homophobe, le retrouver pour lui mettre une patate dans la tronche. Plusieurs, même. Elle aimerait prendre Théo dans ses bras et lui dire que tout va bien. Au lieu de ça, ses poings se serrent.

  • Je suis désolée, finit-elle par éructer entre ses dents.
  • Ce n’est pas de ta faute, Mathilde, la rassure-t-il, une main sur le genou de l’attaquante. Ce n’est pas la première fois que ce genre d’évènements m’arrive. J’aurais dû rentrer chez moi directement au lieu d’errer sur le campus comme une âme en peine. J’aurais dû me contrôler et garder ma bouche fermée.

Un voile de chaleur se dépose sur les joues de la jeune femme lorsque la paume du volleyeur se pose sur sa jambe. Elle ignore la sensation et réplique :

  • Baisser la tête devant ces cons ? Bordel. Ta sexualité ne regarde personne d’autre que toi. Ne t’excuse jamais d’être qui tu es.

Une bourrasque ébouriffe les arbres autour d’eux. Quelques feuilles caressent le macadam avant de se perdre dans la nuit. Mathilde observe Théo se tourner vers elle tandis que ses yeux verts plongent dans les siens. Les doigts du passeur se mettent à trembler et ceux de la blonde viennent les calmer d’une pression. Elle inspire profondément :

  • Je sais qu’on ne se connait pas. Mais… Si tu veux parler de quoique ce soit, n’hésite pas.

Sa main se crispe sur celle du sportif. Puis elle s’écarte de lui en ramenant ses jambes contre son torse. Elle pose son menton sur ses genoux qu’elle entoure de ses bras. Puis un maigre sourire se naît sur ses lèvres :

  • Sinon je peux te faire une blague.

Une étincelle amusée flamboie dans les yeux mouillés de Théo.

  • Tu vas encore douter de mes goûts en matière de pizza ?
  • Je suis toujours persuadée qu’il te manque l’entièreté de tes papilles gustatives.
  • Elles sont toutes là, je les ai comptées.
  • Tu as oublié Marguerite au fond à gauche. Ca fait cinq ans qu’elle est partie en vacances.

Sa poitrine vibre lorsqu’il laisse échapper un rire discret. Il croise les bras derrière sa tête et lève à nouveau le regard vers le ciel :

  • La soirée au bar est déjà finie ?
  • Je me suis éclipsée discrètement, je n’avais pas envie de jouer des coudes pour me présenter à ce fameux Liam, lâche-t-elle en soupirant. D’ailleurs ! J’ai toujours quelque chose qui t’appartient !

Elle tire sur les manches de son sweat-shirt puis passe sa tête hors du col. Mais Théo l’arrête :

  • Tu me le rendras la prochaine fois ! s’exclame-t-il. Remets-le, tu vas prendre froid.
  • C’est une véritable obsession chez toi, cette peur du froid, bougonne-t-elle en remettant le pull.
  • Tu feras moins la maligne lorsque tu seras malade et que tu ne pourras pas venir à l'entraînement.
  • J’viendrai quand même.
  • Tu vas confondre ta morve et le filet, ça va pas être beau à voir.
  • QUOIII ?

Son cri outré résonne dans l'obscurité, bientôt suivi d’un rire moqueur. Elle le regarde se foutre ouvertement d’elle puis lâche un grognement. Vaincue, elle s’allonge à ses côtés :

  • C’est une habitude de fougère de se laisser choir sur le sol ?
  • Laisse-toi envahir par la nature, Mathilde.
  • Miam, les fourmis et autres insectes qui grouillent…

L’expiration agacée qui sort de la bouche de son passeur fait germer un grand sourire sur le visage de la joueuse. Satisfaite de son petit effet, elle se redresse. Elle doit avoir le dos plein de saletés mais ce n’est pas son pull. Son propriétaire aime la terre et ses habitants, il va être ravi.

  • Tu veux pas aller manger une glace ? propose-t-elle en se mettant debout. J’ai envie d’une glace.
  • Tu n’avais pas des trucs à faire ?
  • Certes. Mais…. J’ai faiiiim. Tu serais cruel au point de me faire travailler sous la torture d’un ventre qui gargouille ?
  • Ce serait criminel, aquiesce-t-il en se redressant.

Elle lui tend la main pour l'aider à se relever et il la prend volontiers. Le regard de Mathilde se pose sur la marque rougeâtre, un peu bleutée, sur la pommette du garçon. Ses lèvres se serrent et elle lâche un grognement :

  • Tu as mal ?
  • Plus vraiment, souffle-t-il.

Elle l’observe un instant, lui donnant le temps de développer sa pensée. Il lui rend son regard mais garde le silence. Elle l'accepte sans se vexer. Il sait qu'elle est là pour en discuter si jamais l'envie lui vient. Elle ne le poussera pas à se confier. Chacun ses limites. Le volleyeur lui fait un clin d'oeil :

  • Que dirais-tu d’une pizza avant ta glace ?
  • Oh ! s'exclame-t-elle, les yeux plein d'étoiles. Quelle riche idée ! Est-ce que tu accepterais de goût…
  • Non.
  • Alleeeeeez.
  • Noooooon.
  • Une part ! Rien qu’une toute petite, minuscule, rikiki…
  • Jamais de la vie.

Elle lève la tête vers le ciel et une exclamation frustrée sort de sa gorge. Son geste fait bien évidemment rigoler son passeur qui ne voit pas tout de suite qu’elle s’éloigne de lui à grands pas. Il va manger tout seul, ça lui fera les pieds. Si elle feint un air vexé, la sportive rayonne à l'intérieur.  

Lorsque Théo arrive enfin à sa hauteur, Mathilde croise les bras sur son torse, réprimant un sourire :

  • T’es vraiment pas fun.
  • J’ai les cheveux bleus, je ne sais pas ce qu’il te faut.
  • Gné.

Elle a déjà fait mieux question répartie. C’est sa faim qui l’handicape, rien de plus. Elle regarde rapidement sa montre. 21 h 30. Est-ce qu’ils trouveront encore quelque chose d’ouvert à cette heure-là ? Soudain, son ventre exprime bruyamment son mécontentement. Quand elle entend son coéquipier ricaner, elle se tourne vers lui, les yeux plissés. Les traits du sportif troquent immédiatement leur machiavélisme pour un air innocent:  

  • Tu n’avais pas une blague à me raconter ? ose-t-il d’un ton prudent.

Oh ! C'est vrai ! Mathilde oublie instantanément son dramatisme pour sautiller sur place :

  • Tu vas a-do-rer !
  • Je n’en doute pas une seule seconde.
  • Chut, écoute l’artiste.

Elle se racle la gorge, concentrée. Puis elle se lance :

  • C’est deux cachalots dans un bar. Le premier dit…

Elle inspire profondément avant d’expirer sa plus belle imitation du chant de la baleine. Elle s’arrête un temps avant de reprendre son grondement sur une note plus aïgue. La bouche grande ouverte, Théo l’observe, les yeux ronds. Puis il explose de rire :

  • C’est ça ta blague ? l’interroge-t-il, des larmes se formant au coin de ses paupières.
  • Atteeeeends, c’est pas fini ! La deuxième lui répond…

Un beuglement terrible secoue le campus.

Éclairé par les lampadaires de la ville, le visage de Mathilde se fend d’un sourire éclatant. Meilleure reproduction du bruit des cétacés… au monde !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ellana Caldin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0