6. Sur la touche

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  • Et la pizza hawaïenne pour Madame !
  • Merci !

Mathilde saisit le précieux carton et gambade jusqu’à la sortie. Son ventre gargouille d’enthousiasme pendant qu’une seule pensée résonne dans son cerveau. MANGER. Elle tient la porte à son passeur qui ne cache pas sa moue désapprobatrice. Humant le fumet de son futur repas, elle ignore son regard. Si les papilles gustatives du garçon ne sont pas fonctionnelles, ce n’est pas de sa faute.

Elle se précipite jusqu’au banc qu’ils ont repéré avant d’entrer dans le restaurant et se laisse tomber sur l’assise, sa pizza sur les genoux. Alors que Théo s’avance tranquillement vers elle, la sportive trépigne d’impatience. La politesse voudrait qu’elle attende que son coéquipier s’installe à ses côtés mais son estomac lui hurle de se sustenter. Elle grince des dents :

  • Alleeeeeez ! J’ai faaaaaaim !
  • J’arrive ! Je regarde avant de traverser, moi.
  • C’est une rue piétonne.
  • Y a des gens qui sont aussi rapides que des voitures.

Elle arque un sourcil et le volleyeur lève les yeux au ciel. Elle l’entend bougonner jusqu’à ce qu’il pose son plat sur le banc. À peine s’est-il assis qu’elle ouvre le carton de son dîner et déclare :

  • Bon appétit !

Trop concentrée sur la joie que lui procure ce met délicieux, elle manque le léger sourire du jeune homme.

Un gémissement de plaisir fait vibrer la cage thoracique de la sportive. C’est tellement bon. Elle jette un coup d'œil à Théo qui déguste sa pizza traditionnelle avec un air satisfait. La marque sur sa joue tire à présent sur le bleu sombre. Elle grimace. J’espère que ça s’effacera bientôt.

  • Dis-moi, Mathilde, commence-t-il entre deux bouchées. Qu’est-ce que tu fais comme études ? Je n’ai pas eu l’occasion de te le demander quand on était au bar.
  • Devine.
  • Mmh. Une licence de sport.
  • Nope.
  • Quoi ? Mais…
  • Jeune fougère, tu me juges sur mon physique.

Elle lance une œillade complice au sportif qui hausse un sourcil avant de pouffer. Il s’incline légèrement vers elle :

  • Touché. Physique ? Math ?
  • J’aurais dû, soupire-t-elle, en posant un instant sa part. Ça aurait été plus marrant.

Elle l’observe réfléchir quelques instants pendant qu’il la détaille du regard. Elle détourne la tête, cachant ses pommettes empourprées.

  • Je sèche, lance-t-il après un temps.

Bien évidemment. C’est impossible de m’imaginer dans ce domaine avec toutes les conneries que je débite.


  • Je fais du droit, révèle-t-elle en reprenant sa dégustation.
  • Ah oui ! Effectivement, c’est pas très marrant. Mais en même temps, les gens qui sont inscrits là-bas le sont rarement.

Elle lui donne un coup sur l’épaule pendant qu’il explose de rire. Nan mais !


  • Et toi, tu fais de l’art ? lui demande-t-elle, redirigeant le projecteur de la conversation sur lui.
  • Yep !
  • Pourquoi ce choix ?
  • J’ai toujours adoré le dessin. Si tu savais le nombre de carnets que j’ai remplis de mes personnages…
  • Un passionné ! C’est beau, sourit-elle d’un air rêveur. Est-ce que c’est pour cette raison que tu as le bras colorié ?

Il baisse les yeux vers les tatouages que la manche gauche de sa chemise ne recouvre pas. Un doux sourire étire ses lèvres quand il hoche la tête. Elle le regarde caresser distraitement les traits noirs et se retient de lui demander ce qu’ils signifient. Elle ne veut pas prendre le risque de le mettre mal à l’aise en lui posant une question trop personnelle. Il a été assez violenté pour la soirée.


  • Tu es originaire de cette ville ?
  • Non, fait-elle en savourant l’ananas sur sa pizza. Je viens d’un petit village à deux heures d’ici.
  • Tu ne te sens pas trop seule ?
  • Si.

La réponse sort de sa bouche avant même qu’elle n’ait le temps d’y réfléchir. Elle inspire profondément, fermant brièvement les paupières. Pourquoi apprend-t-elle toujours des trucs sur elle quand on lui pose des questions ? Est-elle incapable de réfléchir par elle-même ?


  • La première année… c’est toujours comme ça, souffle Théo, le regard dans le vague. Tu te détaches de tes parents, de tes habitudes, pour construire une nouvelle vie. C’est toujours un peu compliqué.
  • Compliqué, c’est un euphémisme, grogne-t-elle tout bas. Toi aussi, tu habitais loin ?
  • Oui. Tu sais, ma mère m’appelle presque toutes les semaines pour vérifier que je mange à ma faim, grimace-t-il en remettant une mèche azur derrière son oreille.
  • Je vois que les mamans sont toujours les mêmes, au fond.

Renversant la tête vers le ciel, Mathilde laisse son regard voguer parmi les étoiles. Quelque chose se presse dans sa gorge, quelque chose qu’elle a envie de dire. Elle ne sait pas comment son coéquipier y réagira mais une force la pousse à partager ce qu’elle ressent. Alors, prenant son courage à deux mains, elle se lance :

  • Je n’ai pas beaucoup d’amis, tu sais. La fac de droit, c’est… pas mon univers. Les gens y sont froids, secs et pas rigolos pour un sou. Tout est une histoire d’apparence, ils…

Elle s’interrompt. Ses sourcils se froncent. Elle baisse les yeux vers sa poitrine camouflée par ce grand sweatshirt blanc. Ses poings se serrent alors qu’elle soupire :

  • Je voulais juste te dire que tu es l’une des seules personnes d’ici à… sincèrement me faire rire. Et ça… ça me fait du bien.

Elle sourit légèrement, une timidité nouvelle se distillant dans ses veines :

  • D’ailleurs si je t’ai vexé avec mes blagues pourries, n’hésite pas à le dire ! Je…
  • Mathilde, tu ne m’as pas du tout heurté, la rassure-t-il, son regard vert plongé dans celui de la sportive. Je suis content de t’avoir rencontrée. Raconter des bêtises avec toi me fait l’effet d’un vent d’air frais dans ce monde de brutes alors… S’il te plaît, ne t’inquiète pas.

Quelques mèches azur se sont échappées du chignon à l’arrière de sa tête et volètent au gré de la brise du soir. Dans ses iris céladon brille une lueur qu’elle n’arrive pas à déchiffrer. La jeune femme se perd dans ces yeux clairs puis acquiesce, sans relever qu’elle s’était dit la même chose quelques heures plus tôt.

  • C’est un peu étrange, murmure-t-elle en se détournant de lui. J’ai comme l’impression de te connaître depuis longtemps. Bizarre, non ? Je me sens… à l’aise avec toi. À tel point que c’en est presque… déstabilisant.

Elle lui jette un coup d'œil. Il ne fuit pas son regard. Le souffle de la blonde se raréfie.

  • Je pensais à la même chose, lui confie-t-il en souriant. Je ne saurais pas vraiment l’expliquer… mais je pense qu’il faut trop réfléchir. Tu risques de te faire une crampe au cerveau.
  • Hé !
  • Ah oui, c’est vrai ! s’exclame-t-il en se tapant théâtralement le front. Pour avoir une crampe au cerveau, il faut déjà en avoir un !
  • Un mot de plus et je demande à Andréa de me remplacer en tant qu’attaquante.
  • Oh non. Aie pitié de moi.

La détresse dans le ton du garçon propulse Mathilde dans un tourbillon de gloussements. Alors que son passeur l’observe, outré, les esclaffements moqueurs de la volleyeuse redoublent d’intensité.

  • Quand même, ça fait longtemps que je ne m’étais pas fait draguer aussi lourdement, lâche-t-il une fois sa coéquipière calmée.
  • Quoi ? Tu n’as pas apprécié sa poitrine débordante ? l’interroge-t-elle en haussant suggestivement les sourcils.
  • Je ne suis pas vraiment de ce bord là, tu sais.

Le cœur de l’attaquante se serre. Mais elle n’y fait pas attention, trop occupée à imaginer une autre session de drague moisie entre son pot de colle personnel et le jeune homme. Alors qu’elle ricane bêtement, quelques larmes provoquées par son hilarité naissent au coin de ses yeux :

  • Oh merde… Si elle savait, expire-t-elle, en effaçant les perles salées.

Mathilde s’oblige à respirer plus posément. À force de rigoler comme une oie, elle a mal aux abdos. Elle ferme son carton de pizza avant de s’avachir sur le banc, le ventre tendu par tout ce qu’elle a ingurgité en si peu de temps. Soudain, elle se souvient de l’excuse que Théo lui a donnée avant de s’enfuir du bar. Elle se redresse, les sourcils froncés :

  • Tu n’avais pas quelque chose à faire ? Si je te retiens, tu…
  • Non, je n’ai… C’était un mensonge.

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