7. Fair-play

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Il baisse la tête un instant. Elle hausse un sourcil et ouvre la bouche, prête à changer de sujet mais il la coupe dans son élan :

  • C’est tellement ridicule comme histoire. Tu vas te moquer de moi. Et tu aurais raison de le faire.
  • Théo… Si tu n’as pas envie d’en parler, rien ne t’y oblige. Je ne t’en voudrais pas. On se connaît à peine…
  • Si je te raconte, tu promets de ne rien dire à personne ? demande-t-il d’un air décidé.

Mathilde hoche la tête pendant que le regard du joueur étudie son visage, comme s’il ne s’était pas encore résolu à lui faire confiance. Sa mâchoire se contracte. Elle voudrait lui répéter qu’il n’a pas de comptes à lui rendre, qu’il n’est pas obligé de se confier mais aucun mot ne franchit la barrière de ses lèvres. Elle lui a dit qu’elle est là pour l’écouter s’il en a besoin. Et c’est exactement ce qu’elle va faire.

  • Quand j’étais au lycée, je faisais du volley en club, commence-t-il, d’un ton hésitant. Même si ça me plaisait énormément, je savais que je ne pourrais pas continuer en parallèle de mon école d’art. Les matchs, les entraînements, les allers-retours entre le club et la maison… Tout ça me prendrait trop de temps. Il fallait que je choisisse l’un ou l’autre. Et je voulais me consacrer à fond à mes études.

Il soupire, un maigre sourire sur les lèvres :

  • Mais, au milieu de ma première année, je me suis rendu compte que le sport me manquait. Je ne voulais pas reprendre le volley, j’avais peur d’avoir tout perdu et de ne plus rien valoir sur le terrain. Alors… j’ai commencé une nouvelle discipline en janvier dernier. Le… handball.

Les yeux du sportifs se voilent.

  • C’est là-bas que je l’ai vu pour la première fois. J’ai juste… flashé sur lui. Sans le connaître, sans le...

Il expire un râle gêné et pose les coudes sur ses genoux :

  • Dès qu’il était là, j’étais nerveux, tremblant… Ridicule, n’est-ce pas ? J’ai dû lui parler deux fois. Enfin… parler. Bégayer bêtement serait plus exact, grogne-t-il, en cachant son visage entre ses mains. Je n’ai même pas réussi à lui donner mon prénom. Du coup, par frustration et… honte, j’ai décidé d’arrêter de venir au hand.

Mathilde détache ses boucles pour refaire sa queue de cheval. Les pièces du puzzle se sont déjà assemblées dans son esprit mais elle veut lui laisser une chance de lui confirmer l’identité du sportif.

Mais quand le silence se prolonge, elle se lance :

  • C’est Liam, n’est-ce pas ? C’est pour ça que tu t’es enfui.
  • Je pensais que c’était passé depuis le temps mais… non. Je suis juste… stupide.

Il lève la tête vers le ciel et expire profondément :

  • Je n’ai plus quatorze ans ! Je devrais pouvoir me comporter comme un adulte. Alors pourquoi je flippe comme ça ?

Elle n’a pas de réponse à lui apporter. En plus de n’avoir jamais été dans cette situation, elle n’est pas particulièrement timide. Elle croise les bras, pensive. Comment aurait-elle réagi à la place de Théo ? Ses lèvres se serrent, réprimant un sourire. Elle aurait dit la vérité, purement et simplement. Peut-être qu’elle aurait rougi comme une tomate mais elle y serait allée avec sa franchise habituelle, sans penser aux conséquences. Tss, t’es aussi subtile qu’une table basse.


  • Est-ce que tu as déjà flashé sur quelqu’un comme ça ? chuchote-t-il, presque pour lui-même.
  • Hmmm… J’ai déjà admiré la beauté de certaines personnes. Je pensais que j’étais amoureuse mais quand je me projetais dans une relation avec elles…

Mathilde grimace. Le souvenir d’un beau et grand Terminale qui montre ses fesses à toute la cour du lycée lui hérisse le poil. Bordel. La beauté ne fait définitivement pas tout.


  • Je ne suis jamais sortie avec quelqu’un. On ne me l’a jamais demandé, lance-t-elle en haussant les épaules.
  • Je n’ai jamais été en couple non plus.

Pendant que le vent effleure ses traits fatigués, le regard du passeur semble perdre de son éclat.

  • Tu crois que c’est bien ? chuchote-t-il, d’un ton rêveur. Être avec la personne que tu aimes ?
  • Je ne sais pas. Je pense que tout n’est pas aussi rose qu’on veut nous le faire croire.
  • Tu ne crois pas au prince charmant ? sourit-il en se tournant vers elle.
  • Non.

Un souffle.


Des poings se serrent.

Une mâchoire se contracte.


  • Parce que je pense que c’est moi… le prince charmant.

Le vent gonfle dans les oreilles de la sportive. Son cœur cogne brutalement dans sa poitrine. Les yeux fixés sur le sol, elle essaye de comprendre ce qui est sorti de sa bouche. Au fond de son ventre, quelque chose vient de craquer.

  • Mathilde, tu…
  • Parlons d’autre chose ! le coupe-t-elle brusquement. Est-ce que tu aimerais sortir avec Liam ?

Un maigre sourire sur les lèvres, elle cache ses mains qui ont commencé à trembler. Elle inspire profondément pendant qu’il l’observe, l’air inquiet. Elle voudrait lui faire une blague, reprendre son fantastique chant de baleine mais elle en est incapable. Ses pensées tournoient autour de ces mots qu’elle a prononcés, ces mots qui résonnent beaucoup trop avec son âme.


  • Je ne sais pas, soupire-t-il en ramenant ses genoux contre sa poitrine, le carton de pizza posé au pied du banc. Je ne le connais pas. Mais j’aimerais bien avoir assez de courage pour lui parler. Ce serait déjà un premier pas.

Alors qu’elle regarde Théo se recroqueviller sur lui-même, Mathilde balaie son propre questionnement d’un coup de pied mental. Ce qui compte, maintenant, c’est d’aider son passeur. Le reste… Elle verrait plus tard. Elle inspire un grand coup avant de prendre la parole :

  • Qu’est-ce que tu dirais de faire partie de l’opération “TIL” ?
  • “TIL” ?
  • “Théo In Love”.
  • Mon Dieu.

Alors qu’il grogne son opposition, le cerveau de l’attaquante fourmillent d’idées plus stupides les unes que les autres :

  • “TIL” c’est super stylé comme nom ! s’exclame-t-elle en bondissant sur le sol. Et on aurait le grondement des cachalots comme cri de ralliement ! Si ça c’est pas la classe...
  • Tu parles de ton imitation catastrophique, là ?
  • Comment oses-tu qualifier ainsi mon œuvre ? râle-t-elle en pointant un doigt menaçant vers lui. Elle était par-faite !

Il lève les yeux au ciel et elle peut pratiquement voir son âme se détacher de son corps.

  • Sinon que penses-tu de “TALASP“ ? “Théo Aime Les Ananas sur les Pizzas“ ? réfléchit-elle en faisant les cent pas. D’ailleurs, t’aurais dû goûter, elle était excellente !
  • Mathiiiiiilde !
  • Quoi ? Je propose ! s’offusque-t-elle en croisant les bras sur son torse.

Elle s’avance vers lui puis s’accroupit à sa hauteur :

  • Blague à part, il sera sûrement présent à l'entraînement de vendredi.
  • Je ne vais pas venir.
  • Théo !
  • Quoi ?
  • Je serai là. Je peux t’aider, lui assure-t-elle très sérieusement. Tu te sens à l’aise avec moi, non ? Peut-être que si je suis à tes côtés, tu seras moins nerveux… Ça vaut le coup d’essayer, tu ne crois pas ?
  • Peut-être.
  • Tu pourrais au moins savoir s’il en vaut la peine.

Un soupir.


  • D’accord. Je viendrai. Mais on change le nom de l’opération.

La sportive applaudit son accord et sautille sur place. D’un air très solennel, elle lui offre :

  • Que dirais-tu de “FAC” ? Pour “Fougère à Couvert” ?
  • Non.
  • “VECCUMM” ? “Vertèbres en carton cherche un mec mortel” ?
  • Jamais de la vie.
  • Tss. T’es vraiment difficile.
  • Et toi, t’es vraiment nulle en acronyme.

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