9. Faux départ

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  • Ton prénom, c’est Liam, c’est ça ?

Urgh. Elle a fait mieux comme approche. Elle aurait aimé tenter une blague absurde mais, avec Vanessa à ses côtés, la sportive ne peut pas se laisser aller à sa vraie personnalité. Elle plaque un sourire forcé sur son visage pendant que son interlocuteur lève les yeux vers elle, une mèche grise retombant sur son front. Il soupire avant de remuer distraitement les aliments avec sa fourchette :

  • Je crois bien, oui, répond-t-il d’un ton blasé.

Les traits de la volleyeuse se crispent légèrement. Super. Encore quelqu’un d’aussi fascinant qu’un bloc de béton. Elle est vraiment gâtée avec cette journée. Mathilde expire discrètement avant de reprendre la parole.

  • Tu crois bien ? tente-t-elle en riant doucement. Tu ne te souviens plus de ton prénom ?
  • Euh… Si ?

Les pensées de l’attaquante s’envolent vers son passeur pendant qu’elle étudie Liam d’un regard perdu. Passe ton tour, Théo. Il a l’humour d’un coton tige. Bien décidée à ne pas se laisser abattre par ce premier degré, elle pose calmement ses mains sur ses cuisses. Chacun a le droit à sa seconde chance.

  • Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?
  • Ça t’intéresse vraiment ? réplique-t-il en haussant un sourcil.
  • Eh bien…
  • On n’est pas obligés de se faire la conversation, tu sais, fait-il en passant une main lasse dans ses cheveux. Vous, les étudiants en droit, vous êtes tous les mêmes, déclare-t-il en zyeutant Nina qui vient de sortir ses fiches de révisions. On sait bien que nous autres, pauvres mortels, ne vous arrivons pas à la cheville. Alors, épargne-moi tes fausses politesses et ne m’oblige pas à prendre part à une discussion sans intérêt, requiert-il avec un léger sourire.

Les yeux de Mathilde s'écarquillent. Comme attendu, elle a joué son rôle à la perfection. Si parfaitement que Liam n’y a vu que du feu. Même s’ils appartiennent tous les deux au monde du sport, pour lui, telle qu’il la voit, elle n’est qu’une méprisante, ennuyante étudiante en droit. Elle pourrait se féliciter d’avoir berné le volleyeur, d’avoir réussi à faire sien ce costume de clown mais quelque chose en elle se tend. Ses poings se serrent, sa mâchoire se contracte.

  • Très bien, grince-t-elle entre ses dents. Tu as un sujet particulier dont tu voudrais parler ? On pourrait…
  • Avec toi ? Pas vraiment.

Elle est sérieuse la brosse à chiottes ? Alors que son sang se met à bouillir, le masque de la comédienne se fendille.

  • Tu es toujours aussi aimable ? l’interroge-t-elle sans cacher son agacement.
  • Il faut croire qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, se défend-t-il en haussant les épaules.

Oh putain. J’vais me le faire. Elle fait craquer les jointures de ses doigts pendant que Liam continue de manger, sourd à la tempête qui gronde à l'intérieur de la jeune femme.

  • C’est sûr qu’avec une telle attitude, tu risques pas de te faire beaucoup d’amis.
  • Effectivement. Rares sont ceux qui arrivent à voir à travers les apparences, acquiesce-t-il avant de boire une gorgée d’eau.
  • Qu’est-ce que tu…
  • Mathilde. C’est ton prénom, n’est-ce pas ? soupire-t-il, son regard se durcissant lorsqu’il se pose sur elle. Je n’aime pas perdre mon temps ou mon énergie. Ce n’est pas contre toi.

Il pose tranquillement son verre sur le côté de son assiette et s’essuie la bouche avec sa serviette en papier. Mathilde fronce les sourcils lorsque le sportif se fend d’un sourire poli :

  • Soyons d’accord d’être trop différents pour s’entendre.

L’ego de Mathilde accuse violemment le coup. Mais c’est quoi son problème ? Elle l’observe attaquer son dessert pendant que la colère enflamme ses veines. Son masque se craquelle et quelques fêlures tombent sur le sol. Pour qui se prend-t-il pour la juger sur son apparence ? Ne voit-il pas qu’elle a tellement plus à offrir que cette simple coquille ?

  • Ne catégorises-tu pas un peu trop vite les inconnus ?
  • Je me trompe rarement.

Il lève la tête vers elle et ses lèvres se serrent en une moue attristée :

  • Ne te vexe pas.
  • Je ne suis pas vexée, crache-t-elle en croisant les bras sur son torse.
  • Si, tu l’es.
  • Non.
  • Tu as une grande ligne qui te barre le front.
  • Je ne suis pas vexée.

Alors qu’il s’accoude sur la table, son regard sombre étudie le visage de la jeune femme. Ses sourcils se froncent un instant et il plisse les yeux, une expression étrange illuminant ses traits.

  • Pourquoi tiens-tu absolument à ce que nous engagions une conversation creuse qu’aucun de nous ne retiendra ? la sonde-t-il en se penchant vers elle. Pourquoi s’infliger ça ?
  • Je…

Sa phrase se perd dans le brouhaha ambiant du réfectoire. Il a raison. Elle n’a rien à lui prouver. Elle n’a pas besoin qu’il l’apprécie. Qu’est-ce que ça changerait qu’il le fasse ? Après tout, elle n’est qu’une étudiante en droit hautaine.

Rien de plus.


Rien de plus.


Un raclement strident et Mathilde se lève de sa chaise :

  • Tu as raison, je te fais perdre ton temps.

Les doigts crispés sur son plateau, elle ment à Vanesssa lorsque celle-ci lui demande ce qu’il ne va pas et se dirige vers la sortie d’un pas rapide. Elle emballe rapidement les restes de son repas, salue poliment le personnel du restaurant universitaire avant de se précipiter à l’extérieur du bâtiment.


Une fois dehors, le vent frais calme le feu qui brûle dans ses artères. Elle tire sur les bretelles de son soutien gorge, à deux doigts de l’arracher. Truc de merde. Elle enlève sa veste qu’elle fourre dans ce sac à main qu’elle déteste et rassemble ses cheveux en queue de cheval tout en prenant la direction de son appartement. Son chemisier la gratte, son pantalon lui comprime le ventre, elle étouffe.

Le regard rivé sur l’horizon, elle doit se maîtriser pour ne pas courir. Elle se plante près du passage piéton. Son pied frappe un rythme rapide alors que ses dents raclent l’une contre l’autre. Bordel. Ses dissertations attendront. Elle a besoin de se défouler.

— Mathilde !


Oh nan. Un coup d'œil sur la droite, la gauche et ses jambes se délient. Qu’on me foute la paix. J’ai assez donné pour aujourd’hui. Son sac fermement ancré sur l’épaule, elle s’élance aussi rapidement que ses chaînes de tissu le lui permettent. La brise joue avec ses boucles, s’écrase sur son visage et s'infiltre dans sa bouche. Le paysage se brouille pendant que ses yeux restent fixés sur un point loin devant elle. Pendant un instant, le costume qu’elle a enfilé éclate et elle peut enfin respirer.

Soudain, une ombre surgit :

  • Je ne te pensais pas aussi rapide, s’étonne Liam en trottinant à ses côtés.

L’attaquante lâche un grognement agacé avant d'accélérer l’allure. Elle n’a pas le choix. Si elle s’arrête, son pied atterrira forcément dans la tronche de l’autre débile. Alors, elle fera tout pour éviter que ce terrible destin ne se produise. N’est-elle pas clémente ?

  • Où est-ce que tu vas comme ça ? C’est joli, ici ! C’est là que tu habites ?

Pour quelqu’un qui déteste les conversations creuses, il retourne vite sa veste ! Elle lève les yeux au ciel avant de bifurquer à gauche, prenant le parasite par surprise. Allez, ciao ! Malheureusement pour elle, il réapparaît immédiatement auprès d’elle, comme un boomerang maléfique. Bordel, il va me lâcher la grappe ?

Même si elle est dotée d’une très bonne condition physique, Mathilde ne peut pas courir indéfiniment comme ça. Son sac lui scie le bras, son chemisier la démange, l’élastique de son bas lui coupe le souffle. Elle lève la tête vers le sportif et réprime un grommellement irrité. Avec son tee-shirt blanc et son pantalon cargo, il peut la suivre sans problème. Fais chier. Elle finit par ralentir, les poings serrés, la mâchoire contractée.

  • Qu’est-ce que tu me veux ? siffle-t-elle.
  • J’ai été maladroit.
  • Ah bon ? J’avais pas remarqué.
  • Vu comment tu es vexée, je crois que si.

Bordel de merde. Elle va l’envoyer sur une autre planète, ça ne va pas faire un pli.

Elle s’arrête, son regard se plante dans celui du volleyeur. Soudain, le visage de la jeune femme s’illumine d’un grand sourire forcé :

  • Très bien. Tu as gagné, déclare-t-elle d’un ton chantant.

Puis, ses traits perdent immédiatement leur lumière, ses yeux noisette lancent des éclairs :

  • Fiche moi la paix. Vite.

Liam se fige. Alors qu’elle hésite entre tourner les talons et l’insulter copieusement, il l’observe, intrigué. Une étrange lueur s’est mise à briller dans ses iris marron. Mathilde croise les bras sur son torse, son masque de perfection écrasé sur le sol :

  • Faut-il que je me répète ? Je ne te le conseille pas. Comme toi, je sais être très désagréable.
  • Tu es… différente, murmure-t-il, presque pour lui-même. Tu…
  • Si tu comptes me manquer encore une fois de respect, je te jure que je t’envoie mon pied dans la figure.

Pendant qu’un léger sourire étire les lèvres du sportif, Mathilde hausse un sourcil provocateur :

  • Ne me tente pas. À tout moment, ça peut partir. Mes orteils en frétillent d’impatience.
  • La violence ne résoudra rien, lance-t-il en plissant les yeux.
  • T’es vraiment mal placé pour me donner des leçons, Monsieur-j’suis-trop-une-star-pour-qu’on-m’adresse-la-parole. Avec un peu de chance, le choc te fera te souvenir de la politesse.

Les jointures des doigts de Mathilde craquent dangereusement. Le rictus de Liam s’élargit discrètement pendant qu’il passe une main dans ses cheveux :

  • J’ai fait une erreur de calcul.
  • Sans blague, Sherlock.
  • Tu n’es pas aussi… insipide que je le pensais.
  • Tu veux vraiment te manger mon pied dans la face ?

Il grimace et fait un pas en arrière :

  • Si tu peux éviter de m’envoyer à l’hôpital, tu serais bien aimable. .
  • Je suis pas sûre d’avoir envie d’être “bien aimable” avec toi.
  • C’est compréhensible.
  • J’espère bien.

Alors que son ego blessé la supplie de violenter verbalement son interlocuteur, elle se détourne de ce dernier. La sportive resserre sa queue de cheval, lisse rapidement son chemisier avant de continuer son chemin. Elle a hâte d’enfiler un jogging et de partir courir sur les rives du fleuve. Mais la voix de Liam la sort immédiatement de son rêve éveillé :

  • Veux-tu que l’on reparte de bonnes bases ? demande-t-il prudemment.
  • Avec toi ? Pas vraiment.

Bim. Son regard croise celui du volleyeur. Elle peut pratiquement voir ses iris s’enflammer lorsqu’il comprend qu’elle a utilisé les mêmes mots que lui quelques instants auparavant. Ça t’apprendra à être aussi odieux avec les gens. Elle hausse un sourcil provocateur pendant qu’il plisse les yeux :

  • Tu es rancunière.
  • Encore une belle déduction, Inspecteur Gadget.

Il soupire profondément, faisant naître un sentiment de victoire dans le ventre de la jeune femme. Gagné. Elle pourrait enfoncer le clou, elle a clairement assez de répartie pour le faire. Mais, dans sa grande mansuétude, aucune déclaration vexante ne franchit ses lèvres. Encore une preuve qu’elle a bien plus de cœur que ce type qui détermine la valeur des gens d’un seul regard.

Pendant qu’elle se félicite intérieurement, l’attaquante observe le jeune homme plonger une main dans la poche de son pantalon.

  • Je te rends juste ça, fait-il doucement en lui tendant un papier replié. C’est tombé de ton sac quand tu es partie.

Les sourcils froncés, la blonde lui arrache presque la feuille des mains. Il ne lui faut pas longtemps pour reconnaître sa propre fiche d'inscription au volley. Ses yeux s’écarquillent. Elle ouvre la bouche mais le sportif trottine déjà vers le restaurant universitaire. Elle lâche un grognement tout en rangeant rapidement le document. Elle espère qu’il gardera cette information pour lui, elle ne tient pas particulièrement à subir le regard désapprobateur de Nina ou la curiosité mal placée de Vanessa.

Un soupir. Elle lève la tête vers le ciel, épuisée. Cette rencontre désastreuse - bordel - n’est vraiment pas un bon départ pour l’opération PVLVER. Elle grimace. Elle peut trouver mieux que “Passeur Voit la Vie en Rose”. Un autre soupir s’échoue sur ses lèvres. Théo, pourquoi as-tu jeté ton dévolu sur un abruti ?

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