11. Défense de zone

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Ses écouteurs enfoncés dans les oreilles, Mathilde marche d’un air guilleret vers le gymnase universitaire. Un legging enveloppe ses jambes musclées et, sous son tee-shirt de sport, une brassière plaque les deux poches adipeuses sur le haut de son torse. Malgré la pression de l'élastique autour de son thorax, sa respiration est profonde, régulière. Ininterrompue.

Alors que le complexe sportif se découpe entre les immeubles, elle s’avance, le menton levé. Ici, elle ne cherche pas à correspondre à une image préconçue des étudiants de droits, ou à celle que l’on se ferait d’une demoiselle presque adulte. Ici, elle n’a pas besoin de baisser la tête et espérer qu’on ne la remarque pas. Un léger sourire naît sur ses lèvres. Ici, elle peut révéler les couleurs qui pigmentent son âme.

Quand elle se joint à la file - beaucoup moins longue que pour le volley - un air de déjà-vu la prend. Il ne manquerait plus que l’autre dégénérée pour reproduire le début de soirée de mardi. Ne parlons pas de malheur. Elle inspire profondément. Son pot de colle ne sera pas là, elle en est convaincue. Pour faire du handball, il faut savoir courir. Et Mathilde n’est pas certaine que la phobique de la sueur soit capable d’autre chose qu’agiter sa langue de commère. Elle lève la tête vers les nuages, laissant le vent de septembre caresser ses joues. Après cette journée de cours assommante, elle va enfin pouvoir se détendre.


  • Mathilde !

Un frisson remonte le long du dos de la sportive. Entend-t-elle des voix ? Elle se retourne discrètement et ses yeux s'écarquillent lorsqu’elle repère son boulet personnel foncer vers elle. C’est quoi ce mauvais karma ? Au secours. Elle ferme brièvement les paupières en espérant devenir invisible. Deux bras s’abattent sur ses épaules. Raté. Alors qu’un corps chaud se presse contre le sien, Mathilde grimace, mal à l’aise. Elle tapote rapidement le dos de l’intruse avant de s’arracher à ce scotch double face. Que quelqu’un m’achève.

  • Andréa… Quel plaisir, souffle-t-elle sans faire l’effort de paraître aimable. Tu t’es aussi inscrite au handball ?
  • Mais oui ! Enfin, Mathilde ! Je te l’ai dit quand on s’est rencontrées !
  • Aaaaah ! C’est vrai !

Que du bluff. La volleyeuse n’en a pas le moindre souvenir.

  • Théo et toi êtes partis si vite la dernière fois ! s’exclame l’autre blonde. Est-ce qu’il s’est passé… quelque chose ?

Le haussement de sourcils suggestif du spaghetti gluant lui donne envie de l’envoyer apprendre à nager dans un volcan en éruption. Et le concept de la vie privée, on s’en tape ? Mathilde expire doucement. On se calme. Cachant son désir de violence par un sourire crispé, elle redirige la conversation vers un sujet plus confortable :

— Et toi qui est restée à cette soirée… Tu as rencontré ce fameux Liam ? demande-t-elle innocemment.

— Bien évidemment ! Oh, qu’est-ce qu’il est beau ! Tellement beau que j’en avais mal au yeux. Il a beaucoup de charisme aussi ; les gens se pressent autour de lui et boivent ses paroles. Tu sais, je…


Il ne faut pas longtemps pour que l’attaquante décroche de ce terrible discours. L’admiration du pot de colle pour le volleyeur désagréable lui fait froid dans le dos. Elle a du mal à croire que Liam n’ait pas été odieux avec sa nouvelle fan. Mais peut-être que dans la tête de bois du garçon, les étudiants en droit sont socialement inférieurs aux limaces égocentriques. Quel cauchemar.



Ce n’est qu’après quelques longues minutes qu’Andréa l’abandonne pour se changer. Hallelujah. Mathilde présente sa carte étudiante à la professeure avant de se diriger vers le terrain. Il y a beaucoup moins de monde que mardi. Mais définitivement plus de personnes masculines. Y en a une qui va pouvoir se rincer l'œil. Elle enfile rapidement ses baskets d’intérieur puis sautille sur place, histoire d’échauffer ses chevilles. Pendant qu’elle range ses lunettes, son regard se dirige vers le fond de la salle. Elle observe les joueurs - légèrement flous - sauter devant la ligne des six mètres, survoler la zone et mettre la balle au fond des cages. Un sourire carnassier étire ses lèvres. Facile quand il n’y a personne pour vous en empêcher. Forte de son expérience au lycée, Mathilde marche tranquillement vers les buts :

  • Vous avez besoin d’un gardien ? interroge-t-elle en faisant rouler ses épaules.
  • Oh ouais ! Vas-y !

Elle se place devant les filets. Ses talons se soulèvent légèrement du sol, ses mains s’écartent et ses iris noisettes se fixent sur la balle que tient son adversaire. Elle penche la tête sur le côté, faisant craquer ses cervicales.


Une inspiration.

Elle est prête.


Les premiers tirs fusent si rapidement vers qu’elle ne voit qu’une ombre floue quitter la main des handballeurs. Ses bras se tendent. Sa jambe droite s’élève dans les airs. Son cerveau s’éteint, ses réflexes prennent le relais. Elle voit l’orbe se fondre en un trait noir tandis que tous les muscles de son corps se contractent. Impact dans trois, deux, un… BOUM. Habituée à la force masculine dans ce sport, elle ne bronche pas une seule seconde quand la douleur fleurit dans ses paumes. Gagné. La balle rebondit loin des buts, sous le regard impressionné de son lanceur.

  • Wow ! Bien joué ! fait-il avant de courir rattraper l’objet.

D’autres étudiants tentent leur chance. En analysant la position de leur bras et l’inclinaison de leur corps, la gardienne dévie les feintes ainsi que les tirs très précis. Elle en laisse passer quelques-uns parce qu’elle est un peu rouillée mais cela se joue toujours à quelques centimètres. Clairement, j’ai de la classe.

Lorsqu’un ballon bloqué jaillit des cages jusqu’à se heurter au plafond, ses adversaires applaudissent sa parade défensive. Elle s’incline devant ses spectateurs, rayonnante de fierté. Les balles continuent de fendre l’air. De temps à autre, elle provoque amicalement les sportifs et ces derniers lui font l’honneur de donner tout ce qu’ils ont.


Au bout d’un moment, Mathilde trouve un peu de temps pour souffler. Elle frotte ses cuisses endolories. Bientôt, sa peau, même couverte par son legging, se couvrira de marques bleutées. Loin d’être horrifiée par ces futurs hématomes, elle les arborera comme un symbole de sa force et de sa détermination. Un léger rictus tord sa bouche. Je suis vraiment maso.

  • Oh là ! Mais qui t’a mise au but ? Avec toutes ces brutasses, tu vas te faire casser en deux !

Elle lève la tête vers une grande armoire à glace qui l’observe depuis la ligne des neuf mètres. Elle fronce légèrement les sourcils avant de se mettre en position :

  • Viens donc par là ! s’exclame-t-elle, souriante. Je ne suis pas aussi fragile que tu le penses !
  • Je suis un gentleman, moi, ricane-t-il en passant une main dans ses cheveux bruns. Je ne fais pas de mal aux filles.

D’un coup, le sang de l'attaquante se met à bouillir. Elle ne comprend pas pourquoi les mots du handballeur provoquent une vague de colère aussi intense dans son ventre. Ses poings se serrent. Je ne suis pas faible. Alors que le gorille se détourne d’elle, Mathilde l’arrête :

  • Monseigneur, je vous en prie, se moque-t-elle en imitant un révérence maladroite. Laissez une chance à la pauvre femme que je suis et tirez !

Il hausse les épaules avant de faire rebondir sa balle sur le sol. La gardienne plisse les yeux. Vas-y. Amène-toi. Alors qu’il court vers elle, le corps de Mathilde se tend. Elle doit absolument s’approcher pour lui bloquer le passage. Malheureusement, devant cette locomotive lancée à pleine vitesse, la peur lui tord l'estomac. Allez, bouge. Le grand singe s’élève dans les airs. Allez, bouge ! ALLEZ… Les pieds de la gardienne se décollent du terrain et s’avancent vers le monstre.

Il arme son bras.

Mathilde tente une feinte.


Un sifflement passe tout près de ses oreilles.


Tchac.

Le ballon se loge dans les filets.


Raté. La mâchoire contractée, elle se tourne vers le sourire suffisant du primate.

  • Je te l’avais dit, balance-t-il d’un ton léger.

Alors qu’il s’éloigne des buts en sifflotant, Mathilde se redresse. Son regard se pose sur la balle oubliée au fond du but. Elle la fait rouler sous son pied avant de la coincer entre sa hanche et son avant-bras. Elle relève la tête. Le gorille a déjà mis un autre point dans la cage d’en face, laissant le gardien tremblant sur ses jambes. Les jointures des doigts de la sportive craquent dangereusement.

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