12. Carton blanc

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  • En place, s’il vous plaît ! hurle la professeure pour couvrir le bourdonnement des discussions.

Comme mardi, Mathilde se positionne derrière la ligne de fond. Quand son pot de colle vient se glisser à ses côtés, elle n’accorde aucune attention au monologue qu’elle lui débite. Son esprit rejoue les mots acides du primate décérébré. Fais chier. Elle se penche légèrement en avant pendant que ses iris noisettes se promènent sur les étudiants alignés. Pas de cheveux bleus à l’horizon. Une moue déçue plisse ses traits. Dommage.


  • Bonjour à tous et bienvenue à ce cours pour handballeurs confirmés.

Sans attendre que les conversations s’estompent, l’entraîneuse pointe son index vers la gauche :

  • Liam, tu dirigeras l’échauffement.

Bordel. Pourquoi il est là, lui ? Mathilde observe le grand volleyeur prendre place à côté de la professeure. Il croise les mains derrière son dos et redresse les épaules. À mesure que ses yeux sombres scannent les visages, le silence se fait dans la salle. Elle arque un sourcil. Osera-t-elle ouvrir sa grande bouche pour rompre le charme ? Trop tard. Le regard de Liam se pose sur elle. Elle ne baisse pas le sien, bien déterminée à prouver qu’elle a sa place ici. Elle remarque son léger hochement de tête avant que leurs prunelles ne se détachent. Tiens ?

Il leur tourne ensuite le dos avant d’annoncer, d’une voix ferme :

  • C’est parti.

Alors qu’elle exécute docilement les exercices qu’il propose, elle se rend compte d’une chose. Liam est très bon dans ce qu’il fait. Si une légère clameur règne sur le gymnase, l’attention de tous reste fixée sur lui. Il n’a pas besoin d’hausser le ton ou d’user de menace. Son autorité naturelle suffit à diriger le groupe. Même Andréa s’est mise à courir. Lentement, certes mais quand même ! Que quelqu’un prenne des photos, c’est un miracle.

Le sportif court devant elle, concentré sur les mouvements qu’il leur demande de reproduire. Son allure raisonnable lui permet d’encourager les retardataires sans frustrer les plus rapides. Elle l’observe sourire, taper dans les mains de ses potes tout en gardant un ton strict dans ses instructions. Dans la tête de la jeune femme, le souvenir du garçon blasé commence à s’effacer. Est-il possible qu’elle se soit trompée ? Qu’il ne soit pas une énorme bouse ? Elle plisse les yeux. Mouais. Pas sûr.


Une fois l’échauffement terminé, quatre chefs d’équipe sont désignés par la professeure. Chacun leur tour, les capitaines choisissent leurs joueurs en fonction des postes que ces derniers veulent occuper.

  • Est-ce qu’il y a des ailiers ? demande l’adulte.

Quelques handballeurs s’avancent en levant la main. Il ne leur faut pas longtemps pour intégrer la file qui s’est formée derrière les décideurs.

  • Y-a-t-il des gardiens ?

Mathilde et un autre type font un pas en avant. Le gardien masculin est accueilli en grande pompe dans l’équipe bleue. Les autres capitaines grimacent et zyeutent d’un air suppliant les autres personnes derrière elle. Le sourire de la volleyeuse s’évanouit.

  • Paul, tu voudrais pas la prendre ? J’ai déjà deux filles avec moi.
  • Mec, t’as vu la carrure de mon équipe ? On va se faire marcher dessus avec elle aux cages, c’est mort !
  • Et toi, Adrien, tu…
  • Nan, c’est bon. J’vais mettre quelqu’un d’autre, coupe le gorille qu’elle a déjà eu l’occasion d’affronter.

Elle baisse la tête. Ses poings serrés, elle les cache dans son dos. Bien sûr qu’elle n’a pas la force de certains handballeurs ou la technique de ceux qui ont joué dans un club depuis qu’ils ont cinq piges. Mais une chose est certaine ; elle est capable d’encaisser les coups. Et puis merde, c’est pas une compétition ! On reste dans le cadre du loisir, même à l’université ! Alors pourquoi…

  • Mathilde, intervient fermement Liam, en enfilant son dossard rouge. Tu iras avec l’équipe de Paul.
  • Quoi ? s’offusque l'intéressé. Mais…
  • Si vous vous prenez un but, c’est parce que tous les joueurs n’ont pas assuré niveau défense. Ce n’est jamais uniquement de la faute du gardien, lâche sèchement le volleyeur. Allez, arrête de chouiner et accueille la nouvelle. Tout le monde est là pour apprendre.

Lorsque Liam se détourne de son interlocuteur, il manque le regard meurtrier du capitaine. Grosse ambiance. Un sourire crispé sur le visage, Mathilde s’avance timidement vers Paul qui lui tend, agacé, un dossard vert. Elle se force à ne pas le lui arracher des mains et réprime un “merci” acide. Quel mufle.

Alors qu’elle se place aux côtés de ses coéquipiers, elle lève les yeux vers celui qui a pris sa défense. Leurs iris se rencontrent à nouveau. Il ne dit rien, elle non plus. Elle hoche simplement la tête dans sa direction avant de reporter son attention sur ses nouveaux camarades.


Quand la professeur annonce un affrontement verts-bleus, Mathilde se met tranquillement en route vers les buts. Elle fait craquer ses épaules, échauffe ses poignets tout en respirant profondément. Elle a à peine le temps de se positionner devant ses cages qu’une balle fonce droit vers elle. Mûe par ses réflexes, elle saute. Ses bras s’écartent, ses jambes se tendent à l’horizontale.

BAM.

Le ballon rebondit sur le bas de son avant-bras et le haut de son tibia. L’objet roule hors de la zone, Mathilde atterrit souplement sur le sol. Pendant que la douleur étend ses tentacules sur sa peau, elle relève le menton. Sois forte. Sa mâchoire se tend pour contenir un gémissement de souffrance.

  • Ah ! s’exclame fièrement Paul. Tu n’es pas si mal que ça, au final !

Un pauvre sourire vient accueillir le compliment miteux du capitaine. Tu vas voir, pauvre type. Y a rien de délicat chez moi. Elle frotte distraitement son bras endolorie et baisse les yeux sur son propre thorax. Soudain, les monticules de graisse sous sa brassière lui semblent beaucoup plus lourds à porter. Eurk.

  • En place pour l’engagement !

Liam se place sur le côté du terrain. Arbitre, il vérifie que les deux équipes sont prêtes. Elle lui jette un coup d'œil et il l’observe un instant avant de siffler le début de la rencontre. La gardienne focalise son attention sur les mouvements des joueurs. Ses muscles se contractent. J’vais leur montrer.

Le match est plutôt tranquille pour la sportive. Tous les tirs ne sont pas stoppés mais la plupart ne touchent pas ses filets. Mathilde se régale des grimaces frustrées des types qui mettent plus de force que de réflexion dans leurs lancers. D’autres joueurs préfèrent la finesse à la violence. En plus de réussir à déjouer la défense de la volleyeuse, ils l’encouragent généralement d’un signe de la main avant de repartir vers le côté adverse.


À la fin de la rencontre, les bleus, battus, laissent leur place aux rouges. Mathilde n’apprécie pas le sourire triomphant du capitaine - ce gorille débile - qui s’avance vers le milieu du terrain. Du coin de l'œil, elle regarde Liam abandonner son rôle d’arbitre pour se ranger derrière l’armoire à glace. Génial.


Un coup de sifflet. C’est parti.


Ses adversaires courent tranquillement en direction du but qu’elle protège. Liam s’infiltre parmi les verts, louvoyant intelligemment entre les coéquipiers de la blonde, se tenant prêt à faire dérailler leur défense. Mathilde jure tout bas. Si le primate arrive à lui faire la passe, il… Soudain, une ouverture. Le balle est réceptionnée par le volleyeur. Merde. La sportive se précipite vers l’avant, les bras écartés. Trop tard. L’orbe effleure les doigts de la gardienne avant de s'écraser au fond de la cage.


Point pour Liam.


Lui qui s’est jeté en avant pour l’effet de surprise, il se relève d’un bond puis tend la main à Mathilde. Sans réfléchir, elle tape dans la paume du garçon. Elle ne peut pas le nier, c’était bien joué. Il n’est peut-être pas si… Elle secoue la tête. Reste concentrée.


Engagement pour les verts.


Les coéquipiers de la sportive se font des passes jusqu’à se tenir face aux rouges. Le ballon passe trop près d’Adrien - ce rustre - qui le saisit en plein vol et fonce vers Mathilde. Bordel. Son corps se crispe. Alors que la brute fond sur elle, la gardienne s’avance courageusement pour bloquer le plus d’espace possible. Je le sens pas, ce truc là.


Ses yeux se fixent sur la balle. Elle ne la voit pas quitter la main du grand singe.


BOUM.


Noir complet.

La douleur explose sur son visage.


Bordel de merde.


Elle s’est pris la balle dans la tronche.

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