13. Strap

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L’impact de la balle la fait reculer. Ses paumes se plaquent contre son visage. Putain. Son épiderme s’enflamme de douleur alors qu’elle se recroqueville sur elle-même. L’incendie se répand dans son sang, se muant en une colère qui explose dans son torse. Des larmes mouillent ses doigts mais aucune tristesse n’étreint son cœur. J’vais le défoncer. La rage bat un rythme infernal dans ses oreilles, à tel point qu’elle n’entend pas quelques joueurs s’approcher. Les mains crispées sur sa peau rougie, Mathilde laisse son courroux parler pour elle :

  • On t’a pas appris à viser, abruti ? crache-t-elle, acide.

BAM. BAM. Une balle rebondit près d’elle.


  • Roh, ça va ! s’exclame Adrien. Ça arrive ! De quoi tu te plains ? T’as voulu être gardienne, c’est le risque de ton job ! J’ai glissé, t’avais…
  • Ouvre ta bouche pour autre chose que des excuses et c’est mon poing qui va glisser dans ta tronche.

Elle s’est relevée d’un coup. Ses yeux se plantent dans ceux de la brute qui hausse les épaules. C’est à peine si elle détecte le “déso” que le gorille stupide souffle avant de s’éloigner. Alors que sa vision s’assombrit de multiples points noirs, sa mâchoire se contracte. Si elle se dépêche, elle peut encore réduire ce primate débile en morceaux. J’vais en faire de la compote, il va rien comprendre. Elle s’avance et son monde commence à tanguer. Oh bordel.

  • Est-ce que ça va ?

La voix de Liam résonne dans son crâne mais elle ne parvient pas à localiser le jeune homme dans cette mer de visages troubles. Elle se sent partir en avant. Ou en arrière ? Elle n’en sait trop rien, l’horizon n’est plus qu’une ligne distordue. Ses mains s’étendent mollement dans une pathétique recherche d’équilibre. Lorsque le sol s’approche dangereusement de son visage, elle s'agrippe à la première chose qu’elle trouve. Ses doigts se referment sur un avant bras.

  • Mathilde ?

Elle lève la tête, un peu étourdie. Son regard rencontre les iris chocolat du volleyeur. À travers le nuage de moucherons noirs, elle distingue l’inquiétude qui brille dans ses yeux sombres. Elle fronce les sourcils avant de se détourner de lui :

  • Je vais bien, grommelle-t-elle tout bas.

Au loin, elle repère les contours flous du grand singe. Si je te brise tous les os, tu ne pourras plus faire le malin, espèce de rambarde tordue ! Elle fait un pas. Sa main se crispe sur le bras de Liam alors qu’elle se sent à nouveau partir. Ses paupières se ferment et elle efface les traces humides sur ses joues d’un geste brusque. Fais chier.

  • Faites entrer quelqu’un à sa place, décide Liam d’un ton ferme.
  • Non, c’est bon ! s’exclame-t-elle, avec un maigre sourire à son équipe. Je peux…
  • Tu es sûre ?

Un mensonge se presse sur la langue de la gardienne sans jamais dépasser la barrière de ses lèvres. Même si elle voudrait montrer à l’autre balustrade qu’elle est capable de lui botter les fesses, elle ne peut pas répondre à “oui” à la question de Liam. Sa vision se brouille à chaque mouvement, même minime, qu’elle fait. Son silence doit en dire long car Liam ordonne aux deux équipes de reprendre le match sans eux. Elle jure tout bas. Tout ça pour un con frustré. La mâchoire serrée, elle se laisse lentement guider vers les bancs devant les gradins.

  • Tu devrais peut-être t’allonger, propose le handballeur en l’aidant à s'asseoir.
  • Ça va, je ne suis pas fragile, râle-t-elle en levant les yeux au ciel.
  • Je n’ai pas dit ça.

Elle lève la tête vers lui. Aucune malice ou moquerie ne brille dans son regard. Elle arque un sourcil, s’attendant à ce qu’il lui lance une remarque désagréable, comme il l’a fait au restaurant universitaire. Mais il se contente de l’observer, ses grands yeux sombres fixés sur elle. Après un temps, elle abandonne le combat. Elle s’étend sur le banc en soupirant :

  • Rassuré ?
  • Un peu.

Pendant qu’il s’installe sur le sol près d’elle, Mathilde croise les bras derrière sa tête, ses iris se promenant sur le match. Quand un tir d’Adrien passe trop près du nouveau gardien, la mâchoire de la sportive se contracte :

  • Fais chier quand même, souffle-t-elle en observant l’armoire à glace célébrer son but. Il mérite une grosse patate.
  • Une patate ?
  • Ouais.

Elle jette un coup d’oeil au handballeur aux cheveux noirs striés de gris :

  • Je sais, Monsieur-la-violence-ne-résoudra-rien, le singe-t-elle en reprenant ses mots à lui. D’ailleurs, j’en serai sûrement incapable mais…
  • Une pomme de terre, c’est pas violent, coupe-t-il, les sourcils froncés.
  • Oh, si je la lui mets… Crois moi que ça le sera.
  • La lui mettre… où ? demande-t-il, perdu.
  • Dans sa tronche.

Pendant un instant, elle s’imagine arrêter un des tirs d’Adrien. Une brise de fierté souffle sur son cœur. Quel plaisir, ça serait ! Elle se nourrirait goulûment de la frustration de ce sale type. Oh douce vengeance… J’ai hâte.

  • Je te prierai de ne pas traiter les féculents de cette façon, déclare Liam, brisant la rêverie de la gardienne. On ne gâche pas la nourriture.

Elle lui sourit. C’est vrai que cette face de chaise ne mérite pas que l’on gaspille de précieux ingrédients de raclette en son honneur. Elle ouvre la bouche pour renchérir quand elle remarque l’air sérieux du garçon.


Attends une seconde.


Elle plisse les yeux :

  • Ôte moi d’un doute, Liam. Tu connais l’expression “mettre une patate à quelqu’un” n’est-ce pas ?

Le regard du jeune homme s’arrondit. Puis ses épaules s’affaissent :

  • Ah c’est une expression ? Mince, grimace-t-il en passant une main gênée dans ses mèches bicolores. J’ai dû l’oublier. Pourquoi tu me regardes comme ça ? Qu’est-ce qu’elle veut dire cette express…

Il s’interrompt alors que l’horreur se peint sur ses traits :

  • Tu vas pas le tuer, hein ?

Pardon ? Depuis quand une patate peut-elle être meurtrière ? Les deux neurones dans le cerveau de Mathilde commencent à s’agiter. Est-ce qu’il… Oh bordel. Ses lèvres s’étirent. On va se marrer.

Elle se racle la gorge avant de reprendre la parole :

  • Liam, l’interpelle-t-elle d’un ton sérieux. Tu verras, je vais arrêter les buts d’Adrien les doigts dans le nez.
  • Euh… à une main ? Tu es certaine de cette stratégie ?

Elle se mord la lèvre pour contenir le rire enflant dans sa gorge.

  • N’en fais pas tout un fromage, ça ira très bien.
  • Je ne suis pas… fromager ?

Une secousse fait trembler son ventre.

  • Je ne vais pas jeter de l’huile sur le feu ou… apporter de l’eau à son moulin, continue-t-elle avec un soupir dramatique. J’en ai ma claque des gens qui pètent plus haut que leurs culs. De toute façon, ce type de personne ne casse pas trois pattes à un canard.

La confusion sur le visage de Liam a raison de la retenue de Mathilde. Elle explose de rire. Il prend tout au pied de la lettre. Son hilarité s’empare de son corps et elle se recroqueville sur le banc, des larmes de joie naissant au coin de ses yeux.

  • Qu’est-ce que tu as ? Tu es malade ? l’interroge Liam, inquiet.
  • Oh la la, tu me tues !
  • Quoi ? Mais… Mais pas du tout !

Il n’en faut pas plus à la jeune femme pour repartir dans son fou rire. Oh Théo. Avec ce premier degré, la subtilité, ça va être compliqué. Elle essuie les perles d’eau sur ses joues avant de tourner la tête vers le sportif :

  • Pardonne-moi, souffle-t-elle entre de grandes respirations. C’est pas bien de se moquer.
  • Tu te moquais de moi, là ?

Elle acquiesce, un peu honteusement.

  • Au moins tu as l'honnêteté de me le dire, sourit-il. C’est rare ce genre de chose.
  • Tu crois ?
  • J’en suis pratiquement certain.

Elle l’observe baisser la tête vers ses jambes qu’il ramène contre sa poitrine. Le regard du handballeur se perd dans le vague. Elle hausse un sourcil, attendant quelques instants qu’il prenne la parole. Mais ce moment ne vient pas. La jeune femme se redresse, se laisse glisser vers le sol et s’assoit aux côtés du garçon.

  • Pourquoi es-tu… aimable avec moi aujourd’hui ? demande-t-elle en adoptant la même position que le joueur. Tu te sens coupable ?
  • Un peu. Je t’ai mal jaugée l’autre fois.

Il grimace, visiblement pas très ravi d’avoir commis une telle erreur.

  • Pour quelle raison tu fais ça ? Catégoriser les gens ?
  • Ça me permet d’éviter de perdre mon temps avec les cons, souffle-t-il en haussant les épaules. Et d’être déçu par une amitié dans laquelle j’aurais investi de l’énergie.
  • Tu es conscient que, lorsqu’on s’est rencontrés, tu m’as pratiquement dit d’aller me faire voir ?

Quand Liam fronce les sourcils, un air perdu hantant ses traits, Mathilde lâche un grognement. Merde. Mauvais choix de mots.

  • Je crois pas avoir…
  • Attends, ce n’est pas ce que je voulais dire.
  • Oh ! C’était une… Excuse-moi, sourit-il, gêné. J’essaye de retenir ces expressions mais elles m’échappent constamment.

La gardienne ne peut s’empêcher de se laisser attendrir par cette candeur inattendue. Comment une telle fermeté et une innocence aussi marquée peuvent-elles cohabiter dans ce corps ? Elle plisse les yeux, essayant de déterminer si Liam n’est pas sur le point d’imploser, tiraillé entre ces deux extrêmes.

  • Tu sais, déclare-t-il prudemment, j’essaye de me rattraper depuis la dernière fois. Je te promets que je ne suis pas aussi désagréable que tu le crois.
  • Je t’avoue que je te trouve toujours un peu odieux.
  • Oh.

Il baisse la tête et un léger rire s’échappe de la bouche de la sportive.

  • Liam, je te taquine. Même si je n’ai pas encore digéré ton côté diva, je vois bien que tu n’es pas méchant gratuitement.
  • Qui payerait pour que quelqu’un le soit ?
  • Je suis sûre qu’on pourrait être surpris, glousse-t-elle.

Elle observe une étincelle s’allumer dans les prunelles chocolat du jeune homme pendant qu’un sourire fleurit sur son visage. Peut-être qu’il n’est pas si terrible que ça, au final.

La gardienne se lève du banc et se met à faire quelques pas, histoire de tester les limites de son corps. La ligne d’horizon reste fixe, les tâches noires ne reviennent pas obscurcir sa vision. Génial. Le choc est passé.

  • Tu vas mieux ?
  • Oui, confirme-t-elle en faisant jouer ses articulations. Je crois qu’on peut y retourner.

Elle tend la main à Liam pour l’aider à se relever. Leurs doigts se lient et Mathilde le tire à elle, ravie de constater que sa force circule à nouveau dans ses veines. Un air de défi plisse les traits de la handballeuse :

— Essaye de me mettre un but, je te jure que je t’arrête sans problèmes !

— Ne fais pas de promesses que tu ne pourras pas tenir, siffle Liam, d’un air taquin.

— Tu doutes de mes capacités ?

— Je crois fort en les miennes.


Outrée, Mathilde fait les gros yeux :

  • Hé ho ! J’vais te prouver que je suis meilleure que toi !
  • Très bien. On a qu’à compter les points, propose-t-il. Un point par arrêt, un point pour un but.
  • Ça me va. Si je gagne, tu feras l’effort de t’intéresser sincèrement à Nina la prochaine fois que tu la verras au restaurant universitaire.
  • Oh, tu es tellement cruelle.
  • On me le dit souvent ! Il paraît que ça hydrate.
  • C’est une bêtise, ça.
  • Nan, tu crois ?

Devant l’air moqueur de la jeune femme, il se renfrogne. Au moins, il apprend vite. Elle l’observe lever un doigt vers elle pendant qu’il énonce ses conditions :

  • Si je gagne, tu me laisses une chance de recommencer à zéro. Que l’on reparte sur de bonnes bases.

Un petit rictus se dessine sur les lèvres de Mathilde. Quelque part, j’ai déjà un peu effacé l’ardoise, Monsieur Premier degré.

  • Marché conclu, déclare-t-elle avec un sourire carnassier.

Le sportif hoche la tête et lui tend la main. Celle de Mathilde tape immédiatement sa paume. Alors que leurs regards s'illuminent d'un air de défi, la gardienne arque un sourcil. Tu vas voir, Liam. Je n'appartiens à aucune des catégories dans lesquelles tu ranges les gens.Elle inspire profondément. Je danse sur les lignes qui dessinent ces cases.  

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