Alors que le choc résonne dans ses oreilles, ses yeux noisette s’ouvrent. La balle n’a pas touché son corps. Elle lève la tête. Pendant que la balle fend les airs en direction du volleyeur aux cheveux azur, Liam la surplombe, les bras tendus, les muscles des cuisses contractés. Le regard de l’attaquante s’arrondit. Oh.

— Eh bah ! s’exclame Juliette, les poings sur les hanches. C’est maintenant que tu te pointes, champion !

— Mieux vaut tard que jamais, Juju !

— M’appelle pas comme ça !

Pendant que le rire grave de Liam caresse la peau de Mathilde, Théo effectue une passe parfaite à la petite rousse qui tire violemment sur la mare violette. Malheureusement pour elle, l’un des adversaires réussit à rattraper le tir. Le passeur opposé amorce une attaque et la gardienne se relève d’un bond. Allez, on se remet en selle.

Un flash passe devant ses yeux.

C’est déjà trop tard.

— J’AI !

Le cri du libéro résonne en même temps que l’impact. La balle fonce directement à l’autre bout du terrain.

— Fred ! Mathilde ! Montez au contre !

Sans discuter, elle se précipite au niveau du filet et saute aux côtés du géant. Ses dents se serrent. Ça ne passe pas, ça ne… Le tir adverse perce brutalement leur barrière. Non !

BAM.

Est-ce qu’il…

Un cri explose derrière elle.

— RATÉ ! JE T’AI EU DAVID ! rugit Liam d’un ton victorieux.

— RAAAAAAH !

Pendant que leur équipe marque un troisième point, Mathilde jette un coup d'œil rapide à celui qui se moque ouvertement du chef des anciens. Elle l’observe éclater de rire devant l’exaspération de Juliette et taper joyeusement sur l’épaule de Fred. Chaque geste qu’il fait déchire l’image qu’elle s’était faite de lui. Elle qui le pensait tranchant comme une bourrasque glaciale, Liam enflamme ce terrain de sa passion. À le voir aussi heureux, l’attaquante comprend brusquement le coup de cœur de son passeur pour le sportif. Il rayonne, beau comme un soleil.

Elle fait rouler ses épaules afin de détendre ses muscles en tension. Un libéro renforce la défense d’une équipe grâce à ses performances exceptionnelles en ligne arrière. En plus d’assumer ce rôle protecteur, le joueur doit être capable de renvoyer parfaitement la balle au passeur. Globalement, toute la stratégie défensive repose sur Liam. Elle plisse les yeux. Formidable attaquant lorsqu’il est armé d’un ballon de hand, Liam démontre, encore une fois, une excellente qualité de jeu en travaillant ici sur un poste complètement opposé. Qu’il soit capable de rattraper une balle à l’autre bout du terrain ou de construire une feinte en quelques secondes témoignent d’une véritable habileté et d’un travail acharné. Les jointures des doigts de l’attaquante craquent, un sourire carnassier étire ses lèvres. Bordel, il est vraiment fort.

La rencontre se termine rapidement avec une victoire noire, laquelle est principalement dûe aux attaques de Mathilde. Très contente de sa performance, elle se précipite vers Théo. Pendant qu’ils débriefent rapidement le match, elle lui propose une nouvelle combinaison pour améliorer leur vitesse. Les yeux du volleyeur s’illuminent. Il accepte de tester cette tactique dès que la confrontation blanc-gris aura pris fin sur leur terrain. Ils se dirigent tranquillement vers les bancs, pressés d’attraper une balle pour faire quelques tests quand soudain, une voix les interrompt :

— Mathilde !

Elle sent Théo se figer à côté d’elle. Sans réfléchir, elle pose une main sur le bras du passeur. Leurs regards se rencontrent. Elle hoche discrètement la tête. Tout va bien.

Un souffle.

Elle relâche sa poigne sur la peau tatouée du jeune homme et se tourne vers Liam.

— Monsieur Désagréable, sourit-elle en avançant d’un pas. Comme on se retrouve.

Elle réprime un rire lorsqu’elle le voit grimacer. Se lassera-t-elle un jour de l’embêter ? J’espère bien que non.

— Je croyais qu’on avait dit qu’on partait sur de nouvelles bases ? tente-t-il en haussant un sourcil.

Ses yeux noisette se plissent. Mauvaise foi : activée.

— Je ne vois pas du tout ce que tu veux dire, ment-elle en levant le menton.

— Difficile de voir ce que tu entends. Tu es censée écouter avec tes oreilles.

— Je suis spéciale.

— Bien sûr, acquiesce-t-il en passant une main dans ses cheveux bicolores.

— J’entends avec les yeux et vois avec mes joues.

Avant qu’il ne puisse répliquer, elle signe “ok” avec les doigts. C’est une blague, Liam. Est-ce que tu te souviens de.. ? Les traits du handballeur se détendent et un petit sourire fleurit sur ses lèvres. En un instant, il retrouve un peu de la lumière qu’il diffuse autour de lui lorsqu’il s’adresse aux anciens. Elle arque un sourcil. Cher Inspecteur Gadget, te sentirais-tu un peu à l’aise avec moi ?

Ses yeux chocolat la quittent pour se poser sur Théo, légèrement en retrait.

Oh bordel, ça y est.

Mathilde inspire profondément.

Lancement de l’opération PAFF dans trois, deux, un…

— Pardonne-moi, je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Liam.

Elle sent pratiquement son passeur trembler à côté d’elle. Sa mâchoire se tend. Allez, courage. Elle se tourne discrètement vers lui, ses iris angoissés la transperce. Tu peux le faire.

— Je…, murmure Théo sans la quitter du regard.

Incapable de s’en empêcher, elle touche sa main, histoire de le réveiller. Les doigts du garçon s’enroulent immédiatement autour des siens. Les yeux de la sportive s’arrondissent et une vague de chaleur s’échoue sur sa poitrine. Elle ouvre la bouche pour protester mais la poigne du volleyeur se raffermit, la coupant dans son élan. Déterminé, il expire profondément :

— Théo. Je… Enchanté.

Liam se penche légèrement sur lui. Les doigts du joueur aux cheveux bleus se crispent sur ceux de l’attaquante pendant qu’il fait un pas en arrière.

— Ravi de te rencontrer Théo, souffle le libéro.

Le rouge éclot sur les joues de l'intéressé, un sourire se forme sur le visage de Liam et le cœur de Mathilde manque un battement.

— Tu es un excellent passeur, ajoute le handballeur. J’espère que tu te plairas dans l’équipe.

— On… je… Oui.

Mathilde se mord la lèvre. Bordel Théo ! Fais des phrases ! Alors qu’elle ouvre la bouche, incertaine de ce qu’elle pourrait dire pour atténuer la tension dans l’air, une clameur agacée provenant du terrain des anciens se fait entendre. Elle fronce les sourcils. Qu’est-ce qu’ils ont eux ? On est en train de vivre un moment historique ! Foutez-nous la paix !

— Je dois vous laisser, grimace Liam. J’ai promis que j'arbitrerai leur match. À plus tard !

Son regard se baisse sur leur mains liées. Mathilde n’a pas le temps de se détacher de la poigne de son passeur que le libéro s’est déjà enfui. Elle lâche un grognement. Espérons qu’il ne tire pas de conclusions hâtives.

Elle se tourne vers Théo. Son regard céladon s’est fixé sur Liam et elle peut pratiquement voir de la bave dépasser de sa bouche. Elle lève les yeux au ciel, un léger sourire sur les lèvres. On a compris, petite fougère. Liam est très beau.

— Tu vas bien ? demande-t-elle en serrant malicieusement leurs doigts enlacés.

Il tressaille avant de s’incliner vers elle, complètement perdu. Elle soupire. Lui, il a oublié son cerveau dans la fusée de l’amour. Elle agite sa main emprisonnée dans celle du garçon jusqu’à ce que ses yeux verts s'écarquillent.

— Je… Oh punaise. Je suis vraiment désolé, bégaye-t-il en se détachant d’elle, les pommettes rougies. Je n’aurais… Merde. Je…

— Ce n’est pas grave. Ne t’inquiète pas.

Elle jette un coup d’oeil à l’arbitre vêtu d’un dossard noir puis reporte son regard sur Théo.

— Tu sais, ce n’est qu’un humain, le rassure-t-elle d’un ton doux. Tu peux articuler, il ne va pas te manger.

— Je sais ! Je sais… Je… je suis un idiot.

— Mais nooon. Tu es juste un peu angoissé.

— Il doit me prendre pour un demeuré, murmure-t-il avant de se mordre la lèvre. Qui met autant de temps pour donner son prénom ?

— Arrête, je suis sûre qu’il ne t’en tiendra pas rigueur. Et puis, tu peux être fier de toi ! Par rapport à l’année dernière, c’est un sacré premier pas ! Il te connaît maintenant.

Il baisse la tête sur ses baskets. Et Mathilde doit se retenir de ne pas le prendre dans ses bras.

— Je l’ai rencontré avant-hier, lui avoue-t-elle alors qu’ils se mettent à marcher vers les bancs. Complètement par hasard. On a eu l’occasion de discuter et je te promets qu’il est sympa. Tu n’as vraiment pas de soucis à te faire.

Son regard jade plonge dans le sien un instant. Elle acquiesce doucement, espérant que ses mots atteignent son esprit embrumé par le stress. Il inspire profondément avant de se laisser tomber sur le sol juste devant les gradins. Un rictus naît sur le visage de Mathilde qui s’installe sur l’assise en bois. C’est quoi cette aversion pour les bancs ?

— Il faut vraiment que j’arrive à lui parler, souffle-t-il, en glissant une mèche bleue derrière son oreille.

— Ça viendra, j’en suis certaine. Regarde le bon côté des choses ! Le contact est déjà établi ! C’est un grand pas pour l’opération PAFF, tente-t-elle en haussant suggestivement les sourcils.

Il lève les yeux au ciel mais un petit sourire s’est peint sur ses lèvres. Une bulle de fierté éclate dans le torse de la jeune femme.

— T’es vraiment nulle en acronyme, soupire-t-il dramatiquement.

— Tu ne reconnais pas mon talent.

— C’est pas un talent d’avoir le cerveau englué dans du fromage fondu.

— Quand on n’est incapable d’apprécier la raclette, on la ramène pas.

— Au moins, je n’ai pas la capacité pulmonaire d’un opossum.

— Je vais aller tenir compagnie à Liam si tu es tellement désagréable, menace-t-elle en s’éloignant de lui à grand pas.

— Mathilde, rigole-t-il. Arrête. Fais pas ça.

J’vais me gêner, tiens.

— Mathilde ! Reviens !

Un sourire machiavélique étire les lèvres de la blonde tandis qu’elle accélère l’allure. Elle n’a bien évidemment aucune intention d’aller voir le libéro. Mais ça, leur passeur ne sait pas.

Je suis démoniaque.

— JE M’EXCUSE, D’ACCORD ? JE MANGERAI UN DE TES TRUCS HORRIBLE ! ARRÊTE- TOI!

Alors que Théo se lance à sa poursuite, le visage défiguré par la panique, elle explose de rire.

Gagné.