21.2. Faible ou fort ?

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Sur le point de se noyer dans les magnifiques iris de son passeur, elle se racle la gorge pour se redonner une contenance :

— Dis, tu n’avais pas des courses à faire ? demande-t-elle en se détachant de la main du joueur. Ou tu es juste venu pour t’assurer que je n’allais pas acheter des pâtes encollées à Andréa ?

— Je ne doute pas un seul instant de ta créativité, rit-il. Mais j”aurais été incapable d’expliquer la raison de ce bricolage !

— Oh mais elle est très simple, la raison ! C’est parce qu’elle est casse...

— Fenêtre ? sourit-il en se levant de sa chaise.

— Casse-fenêtre ? C’est quoi ce métier improbable ?

— Tu ne savais pas qu’il y a des vitres qui se mangent comme des noisettes ?

— Mais mais… Tu racontes n’importe quoi !

— C’est maintenant que tu le remarques ?

Pendant qu’il explose de rire, elle le menace de troquer le kit beauté pour un bocal de pâtes gluantes. Cela n’a aucun effet sur son hilarité, au grand désespoir de la volleyeuse. Ils paient leur consommation puis commencent à se diriger vers les boutiques où Mathilde a essuyé échec sur échec. Sa mâchoire se contracte. Est-ce qu’elle ira vraiment à la soirée d’Andréa avec ses habits du siècle dernier ? Elle grimace. Quitte à être déçue, autant l’être jusqu’au bout.

— Hey, murmure-t-il. Tu vas bien ?

— Oh ! Je… oui, le rassure-t-elle. Je pensais à autre chose.

Ses yeux verts parcourent pensivement son visage. Puis la main du jeune homme recouvre la sienne et la presse gentiment. Ignorant le voile de chaleur qui se dépose sur ses joues, Mathilde exerce une pression similaire sur les doigts du passeur. Après quelques entraînements aux côtés de Liam, ils ont tous deux accepté ce réflexe qui prend Théo dès qu’il se tient près du libéro. Même si le volleyeur en a de moins en moins besoin, cette habitude a dépassé les limites du gymnase pour s’installer dans leurs conversations. Comme un moyen pour eux de se rassurer mutuellement quand les mots ne suffisent pas.

Même si elle sait pertinemment que ce geste est porteur d’une autre signification, elle ne cherche pas à se défaire de la poigne du garçon. Elle passe ses journées à l’étroit dans son costume d’étudiante parfaite, seule au milieu d’une foule qu’elle ne comprend pas… Alors pourquoi refuser quelque chose qui lui fait du bien ? Et puis, n’est-ce pas là un signe d’amitié, Inspecteur Premier degré ?

— Je vais faire un tour ici, lance Théo en pointant un magasin de vêtements masculins. Ça te dit de m’accompagner ?

Elle n’a aucune envie de retourner en territoire ennemi. Alors, en sa qualité de simple accompagnatrice, elle acquiesce et il l’entraîne en souriant à l’intérieur du bâtiment. Elle pouffe discrètement en l’observant gambader entre les portants, petite fleur bleue dans un océan de couleurs ternes. Tss. On ne risque vraiment pas de te perdre de vue, toi !

La sportive flâne tranquillement dans les rayons, ses mains effleurant les vêtements. Cette fois, pas de lacets, pas de teintes flashy, pas de dentelle ou de coupes étranges. Tout semble… simple. Elle décroche naturellement un tee-shirt noir avec un dessin au style japonais dans le dos. Est-ce qu’elle pourrait… ? Son regard se dirige vers le vendeur qui la détaille d’un air perdu. Ses doigts se resserrent sur le tissu. Peut-être qu’il s’imagine qu’elle cherche quelque chose pour un ami ou pour un petit-copain ? Un soupir. Elle repose l’habit avant de se remettre à sillonner les rayons. Levant la tête, elle observe Théo se choisir une salopette puis sautiller vers elle. Un sourire naît sur les lèvres de la jeune femme. Qu’est-ce qu’il y a chez Liam et toi pour que vous rayonniez aussi brillamment ?

— Tu as trouvé quelque chose ? demande-t-il, une lueur espiègle brillant dans ses iris verts.

— C’est pas un peu bizarre que je m’habille avec des habits qui n’ont pas été pensés pour ma morphologie ? réplique-t-elle en haussant un sourcil.

— Tu sais, ça m’est déjà arrivé d’acheter des vêtements dans les magasins que l’on dit pour filles, déclare-t-il en mimant des guillemets avec les doigts. D’ailleurs, la chemise que je porte actuellement vient de la boutique à côté ! Si je le fais, pourquoi pas l’inverse ?

La bouche de Mathilde s’ouvre légèrement tandis qu’il disparaît dans les cabines d’essayage. D’un coup, une vague de courage emporte la volleyeuse. Elle marche d’un pas décidé vers le tee-shirt qui lui a tapé dans l'œil, attrape un pantalon cargo au hasard et va se réfugier dans la cabine. Alors qu’elle croise la moue interloquée du vendeur, elle tire brutalement le rideau et jette ses trouvailles sur le tabouret.

Bordel. Dans quelle mouise me suis-je encore foutue ?

Elle inspire profondément.

Allez, lance-toi.

Elle se déshabille puis enfile ces nouveaux vêtements à la vitesse de l’éclair. N’ayant jamais été une grande fan de son reflet, elle se concentre d’abord sur les sensations que lui offrent ces vêtements. Si le haut semble un poil trop grand pour elle, le bas moule quelque peu ses fesses et retombe parfaitement sur ses jambes musclées. Ses lèvres s’étirent légèrement. Hé… C’est pas si mal.

Elle prend quelques instants avant d’oser se regarder dans le miroir. Ses yeux s'écarquillent, son corps se fige. Elle ne se reconnaît pas tout de suite. Le tee-shirt estompe les courbes de sa taille et camoufle les renflements adipeux plaqués par sa brassière. Oh wow. Elle se dandine sur place, le cœur battant la chamade. Je crois que… j’aime bien.

Alors qu’elle s’observe, intriguée, ses mains se glissent naturellement dans ses longues boucles et les regroupent entre derrière son crâne. Comme si elle avait les cheveux courts. Comme si elle était… Soudain, la voix de sa mère résonne dans sa tête.

T’es vraiment habillée comme un sac à patateFais un effort, maquille-toi !

Habille-toi de façon féminine ! C’est quoi encore cette tenue de garçon manqué ?

Tiens-toi droite ! Sors la poitrine, tu es une fille, non ? Alors, comporte-toi comme telle !

Des griffes se resserrent autour de sa gorge. Putain de merde. Elle détourne le regard, ses bras retombent le long de son pantalon et sa queue de cheval coule à nouveau sur ses épaules. C’est juste un essai. Une tentative. Elle se mord la lèvre. C’est juste des vêtements.

Elle redresse le menton et ses yeux retrouvent son reflet. Cette personne… ce n’est pas elle. Mais en même temps… Elle se tourne un instant sur le côté. C’est une version de moi que je ne déteste pas regarder. Ses mains empoignent son tee-shirt. Est-ce qu’elle oserait ? Sortir dans la rue et porter un tee-shirt “de garçon”? Afficher un style contraire à ce que sa mère lui a toujours mis sur le dos ?

Tu ne vas pas mettre ça, enfin Mathilde ! Ce n’est pas pour toi, voyons !

Les filles s’habillent chez les filles et les garçons chez les garçons !

C’est comme ça et pas autrement.

Sa mâchoire se serre, ses doigts commencent à trembler. Bordel de merde, reprends-toi. Théo est juste à côté. Elle expire une respiration chevrotante en s’adossant contre les parois de la cabine. Elle lève la tête vers le plafond tandis que les larmes commencent à embuer ses yeux. Fais chier. Ses jointures craquent dangereusement. Calme-toi. Calme-toi.

— Mathilde ?

Bordel. Elle s’essuie rapidement le visage et force un sourire :

— Oui, je suis là ! s’exclame-t-elle d’un ton qu’elle espère posé. J’ai essayé et… je… Ça ne me va pas trop ! Je me change et j’arrive ! Ne…

— Attends ! Est-ce que je peux regarder ?

Le souffle de la sportive se bloque dans sa gorge. Elle ne peut pas lui dire non, si ? Elle jette un regard à la son double avant de se retourner vers la toile rougeâtre. Arrête de faire la pleureuse. C’est juste des putains d’habits. Pendant qu’elle compte lentement dans sa tête pour reprendre son calme, elle cherche une blague à faire à son passeur. Encore, rien ne lui vient. Bordel. Alors, sans se laisser le temps de faire machine arrière, elle ouvre le rideau.

Elle voit Théo marquer un temps d’arrêt. Puis un sourire naît sur son visage.

— Oh wow, souffle-t-il.

Ses iris verts pétillent doucement. Un léger rouge éclot sur ses joues.

— Ça te va super bien, murmure-t-il sincèrement.

Gênée, elle baisse la tête avant de croiser les bras sur sa poitrine :

— T’es pas obligé de mentir, bougonne-t-elle, en arquant un sourcil. Allez ! Fini les bêtises, je vais ranger ça.

— Attends, Mathilde.

La main du jeune homme arrête la course du rideau.

— Est-ce que ça te plaît ? lui demande-t-il en se penchant légèrement sur elle.

— Je… Oui ? Non ? Je ne suis pas sûre.

Elle grimace. C’est ça, un avis tranché ? Elle lâche un soupir avant de tirer sur le bas de son tee-shirt.

— C’est pas un peu bizarre ? le sonde-t-elle sur le ton de la blague. J’ai sûrement l’air d’un clown !

— Pas du tout, réplique-t-il, les sourcils froncés. J’ai même l'impression de te voir plus clairement.

Elle plisse les yeux :

— C’est peut-être parce que tu n’as pas les yeux embrumés par la sueur !

Sans lui laisser le temps de répondre, elle tire théâtralement la toile sanglante. Bim !

— N’empêche que je maintiens ce que je te dis, retentit sa voix de l’autre côté de la barrière de tissu. Tu es très belle !

Elle n’a pas besoin de se tourner vers le miroir pour savoir qu’elle a rougi. Bordel.

Quand elle sort de la cabine, elle dépose tout à la caisse. Elle ignore totalement le petit sourire satisfait de son passeur qui l’attend près de la sortie. Tss. Le vendeur scanne ses articles en lui jetant des coups d'œil incertains. Puis, il ouvre la bouche :

— C’est pour offrir ?

Elle déglutit.

Ses paupières se ferment un instant.

Puis elle relève le menton :

— C’est pour moi.

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