22. 1. Chaud ou froid ?

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20h. Déjà une heure de retard. Tss. Un sourire carnassier étire ses lèvres. Les meilleurs savent se faire attendre. Mathilde lisse distraitement son nouveau tee-shirt puis habille son pantalon d’une ceinture en cuir noir. Son reflet l’observe, un sourcil levé. Lui aussi reste perplexe devant le confort que lui offre cette nouvelle tenue. C’est la première fois qu’un tissu ne gratte pas, la laisse respirer et lui permet de se sentir… forte. Bordel, ça fait du bien.

Elle tire sur son élastique. Ses boucles blondes se déversent le long de sa nuque, coulent sur ses épaules avant d’inonder ses omoplates. Fredonnant les paroles d’une des chansons préférées de Liam, elle tresse quelques mèches, dansant bêtement devant son miroir. Quand elle a terminé son œuvre, sa natte part de sa tempe gauche, parcourt la naissance de son cou et finit sa course sur sa clavicule droite. Pour le reste, elle n’a qu’à passer les mains dans sa chevelure pour retrouver sa crinière de lionne.

Un autre coup d'œil dans la glace. Pendant un instant, elle envisage de colorer ses cils d’un peu de noir, histoire de réhausser le noisette de ses iris. Sans chercher à comprendre cette coquetterie soudaine, elle se dirige vers les instruments de torture qu’elle n’a pas touché depuis qu’elle a quitté le domicile parental. Une fois le tube de mascara débouché, ses sourcils se froncent. Pourquoi je ferais ça ? C’est juste une soirée, pas un concours de beauté ! Alors que l’image de ses coéquipiers se forme dans son esprit, un souffle de chaleur se dépose sur ses joues. Saleté de rhume. Elle enterre à nouveau l’objet dans le cimetière qu’est sa boîte de maquillage puis se détourne. Elle va encore oublier qu’elle a ce truc sur le visage et se frottera les yeux à vingt-deux heures comme la mamie fatiguée qu’elle est. Ce qui tracera de magnifiques traces noires autour de ses yeux, créant la tronche d’un panda en fin de vie. Et ça, on peut s’en passer !

Un sourire complice à son double.

C’est parti !

Sur le trajet en direction de la super soirée, elle se sent… puissante. Elle n’est pas saucissonnée dans un vêtement aux formes étranges ou engoncée dans des chaussures malveillantes - Si ! Les talons ont été créés pour assassiner les chevilles de leurs propriétaires ! Elle n’est pas inquiète à l’idée que l’on puisse deviner sa brassière à travers son chemisier ou voir ses chaussettes pingouins dépasser de son tailleur. Non. Cette fois-ci, elle arbore ses socquettes phoques avec fierté nouvelle. Alors, quand une mamie la fixe sans politesse, l’attaquante soutient son regard jusqu’à ce que la vieille dame laisse échapper un humf hautain. Prends ça dans la face, mémé rageuse.

Lorsqu’elle arrive devant l’immeuble indiqué par son téléphone, Mathilde sonne sans hésiter. Elle n’a pas le temps de se présenter à l’interphone que la porte se déverrouille immédiatement. Elle hausse un sourcil. Si pénétrer dans l’antre de son pot de colle ne l’enchante pas, elle a hâte de retrouver ses deux compères qui, au vu du silence régnant sur leur conversation, doivent déjà s’être empêtrés dans les tentacules du spaghetti gluant. J’arrive pour vous sauver, bande de camemberts rôtis !

En haut des escaliers, la sportive pousse le battant laissé entrouvert. Les basses de la musique pulsent puissamment à l’autre bout du corridor, accompagnées par un brouhaha de rires, cris et chants entonnés sans respect pour la mélodie originale. Oh bordel, mes oreilles. Elle se déchausse rapidement et place ses pauvres baskets aux côtés d’une armada de chaussures non identifiées. Y a vraiment autant de monde ? Le grognement de la gardienne se perd dans la cacophonie ambiante. Elle a tout juste fermé la porte derrière elle qu’une Andréa sauvage surgit, un plateau de petits fours à la main :

— Ooooh ! Mathilde ! C’est génial que tu sois là ! Je suis trop trop contente !

Ni une ni deux, la blonde se retrouve embrassée bruyamment sur les deux joues. Urk. Soudain, son pot de colle semble se souvenir de ce qu’elle tient dans les mains :

— Ack ! C’est chaud ! s’écrie-t-elle en se précipitant dans la cuisine. Aïe, aïe, aïe !

Alors que le scotch dépose la plaque brûlante sur le comptoir, Mathilde ouvre le robinet afin que son hôte puisse plonger ses mains sous l’eau froide. Comme si c’était le moment de se brûler au troisième degré !

— Ooooh c’est divin ! soupire la glue sur pattes. Heureusement que t’es là, hein ! Sinon, je…

— Tu veux de l’aide pour quelque chose ? demande la sportive en arquant un sourcil.

— Oh non ! J’ai déjà tout préparé ! Y a du cake salé, des mini tartes, des…. Il y a tellement de choses que je ne me souviens plus de tout ! rit-elle en s’essuyant les mains sur sa mini-jupe. Va t’installer, j’arrive !

Mathilde jette un regard aux montagnes de nourriture amoncelées dans cette petite cuisine. Entre les paquets d'apéritifs, les mignardises salées et les multiples packs de bières, des dizaines de gâteaux faits maison ont été finement décorés pour l’anniversaire de la reine de la soirée. Un soupir. Si l’immeuble était assiégé, les occupants de la tour de béton auraient sûrement à manger pour six mois. Au secours.

Alors qu’Andréa applique tendrement des paillettes en sucre sur des muffins à peine sortis du four, la gardienne s’éclipse au plus vite hors de ce temple de la pitance. Bordel, y a combien de personnes dans cet appart ?

Assez spacieux, le salon est peuplé par une trentaine d’étudiants en train de discuter, un verre à la main. Des ballons jonchent le sol, des banderoles colorées décorent les murs tandis que des bougies et rubans de lumière sont dispatchés un peu partout. Mathilde reconnait certains volleyeurs, anciens comme nouveaux. Dana, la copie conforme d’Andréa, danse avec un Mikaël embarrassé pendant que David et Juliette essayent de contenir leur hilarité devant le ridicule de la scène. Du côté du buffet, des handballeurs font honneur à la cuisine de leur hôte. Elle serre les dents quand elle entend le rire gras d’Adrien, l’armoire à glace qui lui a dégommé la tronche il y a deux semaines. Bien évidemment, Paul et sa misogynie ne sont pas loin. Elle lève les yeux au ciel. Son pot de colle les déteste autant qu’elle, alors pourquoi… ? Un grognement. Encore une possession inexpliquée du démon de la stupidité.

Mathilde se faufile entre les invités et s’avance vers sa capitaine. Dès que Juliette la repère, un grand sourire se dessine sur son visage. La petite rousse complimente l’attaquante sur sa tenue tandis que David lui assène une grande tape dans le dos. Si Mathilde avait eu un grand frère, il arborerait certainement ce même air fier. Elle prend le temps de discuter avec les deux sportifs avant d’aller saluer les étudiants qu’elle a appris à connaître depuis la rentrée. Pour quelqu’un qui ne désespérait de ne connaître personne au début de l’année, elle en a fait du chemin. Je suis juste trop forte, en fait. Elle ne qualifierait pas ces joueurs “d’amis” mais elle se sent assez à l’aise en leur présence pour tenter quelques blagues. Il faut bien que mon humour se répande aux quatres coins de la Terre !

Soudain, son regard s’arrête sur ses deux coéquipiers. Installés sur le canapé, dans leur petite bulle, ils discutent, un bol de chips posé entre eux. Les lèvres de la jeune femme s’étirent. Bien évidemment, la relation qu’elle a pu construire avec les autres n’a rien à voir avec le lien l’unit à Théo et Liam. Si le passeur lui apporte cette légèreté, cette liberté qu’elle s’interdit trop souvent, le libéro l’aide à garder la tête sur les épaules lorsque son propre humour l’empêche d’y voir clair.

Le vent et la terre.

Une étincelle.

Opposés et complémentaires.

Alors qu’elle discute avec Fred, elle ne peut s’empêcher de jeter des coups d'œil discrets à la petite fougère et à son soleil radieux. Un verre à la main, Théo s’enfonce dans un discours dont elle peut aisément deviner le sujet - il est encore en train de raconter des bêtises - pendant que Liam laisse échapper un rire, ses iris chocolat étincelant à la lueur des bougies. Magnifiques.

D’un coup, le temps semble ralentir. Les autres invités deviennent flous. Mathilde déglutit. La voix de son interlocuteur se mêle aux pulsations erratiques de la musique. Aux pulsations erratiques du cœur de la blonde. Un souffle. Au cours d’un instant, elle se voit rire à côté de ses coéquipiers, ses mains se glissant dans les leurs.

— Mathilde ? demande Fred en agitant une main devant ses yeux. Ce sont mes performances sportives qui t’endorment ?

— Hein ? Pas du tout, pas du tout ! Voyons, l’équipe noire ne serait rien sans notre bloqueur central, le rassure-t-elle en souriant. Je reviens, je vais me chercher un verre.

Manquant le regard amusé du sportif, l’attaquante se faufile jusqu’au buffet. Quelques gorgées de soda plus tard, elle colle le verre froid contre ses joues brûlantes. Encore un délire lié à la fièvre ! Elle avale un autre verre de sa boisson favorite quand soudain, son téléphone vibre.

Passeur talentueux : Mathilde ? Tu es bientôt là ?

Passeur talentueux : Liam comprend rien à mes blagues, c’est désolant.

Passeur talentueux : J’ai besoin de ma partenaire d’absurde !

Libéro starlette : Quelle grossière exagération des faits !

Libéro starlette : Je suis outré, je saisis toujours tout parfaitement !

Passeur talentueux : Un mensooooonge !

Passeur talentueux : J’ai réussi à lui faire croire que les personnes “lunaires” étaient des astronautes qui ont réussi à faire huit fois le tour de la lune ! HUIT FOIS, MATHILDE !

Libéro starlette : …

Libéro starlette : Pour ma défense, c’était presque probable.

Libéro starlette : …

Libéro starlette : Pourquoi suis-je voué à être persécuté par l’un de vous deux ?

Passeur talentueux : Je vois que le dramatisme est une qualité que tu partages avec une certaine personne !

Libéro starlette : Tss.

Libéro starlette : Mathilde ?

Libéro starlette : Je te promets de donner une chance à l’ananas si tu viens me sauver.

Passeur talentueux : TRAÎTRE !

Mathilde se retient d'éclater de rire. Le soda qu’elle a dans la bouche n’est pas de son avis. Le liquide remonte dans son nez et elle menace de s’étouffer. Bordel de merde. Elle s’essuie rapidement le visage puis se tourne vers le canapé où sont installés les deux garçons qui ont recommencé à se chamailler à haute voix. Elle expire un coup et s’avance vers eux.

Comme s’il l’avait sentie arriver, le regard de Liam se pose immédiatement sur elle. Un éclat. Il passe ses doigts dans ses mèches bicolores avant de les poser sur le genou de Théo pour attirer son attention. Les joues de leur passeur se fardent immédiatement d’un léger rouge. Ils sont mignons.

Soudain, les yeux verts du garçon trouvent ceux de la sportive. Un magnifique sourire se peint sur son visage.

— Mathilde ! s’exclame-t-il en se bondissant du canapé, les bras grands ouverts.

Elle se fige. Qu’est-ce qui lui prend ? Contre un Théo lancé à pleine vitesse, ses réflexes de gardienne ne lui sont d’aucune utilité. Le corps du jeune homme s’écrase contre le sien et ses mains se raccrochent à la taille du volleyeur pour éviter de tomber. Le cœur battant la chamade, Mathilde écarquille les yeux. C’est quoi cette nouvelle mode ? On se fait des câlins maintenant ?

— T’es vraiment trop belle ! Ta chevelure est magnifique et cette tenue te va vraiment trop bieeeeeeen, s’écrie-t-il, au grand désespoir des tympans de la blonde.

Un voile de chaleur couvre le visage de l’attaquante.

— Coucou Théo, souffle-t-elle en souriant d’un air gêné.

Elle fait mine de se détacher de lui. Raté. L’étreinte du passeur se resserre et un grognement mécontent résonne dans les oreilles de la blonde. Nan mais je rêve. Elle tapote le dos du sportif, puis lorsqu’elle se rend compte que ça ne suffit pas, elle lève les yeux vers un Liam à l’air très ravi.

— Il a bu combien de bières ? demande-t-elle, un sourcil arqué.

— Trois.

— Quoi ?

— Ne me regarde pas comme ça ! Je ne savais pas qu’il avait une descente aussi rapide ! J’ai essayé de le freiner mais….

— Liaaaaaam ! interrompt Théo en se détachant de sa proie. Regarde, elle porte la tenue qu’elle s’est trouvée cet après-midi ! Elle est pas splendide notre attaquante ?

Le volleyeur se met à gesticuler autour d’elle comme un collectionneur fou qui aurait mis la main sur la perle rare. Mais stoppez-le ! Elle lâche un soupir exaspéré.

— Théo. Qu’est-ce que tu fais ?

— C’est une danse très connue chez les zouaves de Trifouillis-les-tzouins-tzouins ! Elle permet de mettre en valeur la beauté de la personne ! Mais c’est vrai que tu n’en as pas besoin ! Tu es très belle au naturel !

— Tu… Argh. Arrête de dire ça ! s’exclame-t-elle, les pommettes empourprées.

— Mais quoi ? C’est vrai ! lui assure-t-il, les sourcils froncés.

Pendant qu’elle se noie dans ses grands yeux verts, sa respiration s’accélère. Décidément, l’alcool fait dire pas mal de conneries. Théo décide alors de bondir autour d’elle dans une combinaison de mouvements plus étranges les uns que les autres. Elle lève les yeux au ciel avant de se tourner vers Liam :

— Aide-moi, l’implore-t-elle. S’il te plaît.

— Il a pourtant l’air très content de te gracier de sa danse des… zouaves, analyse le libéro en suivant le volleyeur d’un regard attendri. Je m’en voudrais de lui retirer ce plaisir.

— Tch. Inspecteur au cœur d’artichaut, soupire-t-elle en croisant les bras sur son torse. Tu sais ce qu’il va se passer ? Notre passeur-toupie va me donner le tournis, je vais lui vomir dessus, il va glisser et toute cette histoire va se terminer aux urgences par TA faute !

Un léger gloussement s’échappe de la bouche du handballeur.

— Quelle clairvoyance, je suis très impressionné, la nargue-t-il en haussant un sourcil. Cela dit, il n’a pas tort. Tu es ravissante.

Bim. Une lueur malicieuse scintille dans les iris du garçon. Pas de tir de sommation. Coup direct à la jugulaire. Le visage de la sportive prend feu. Bordel, Liam ! Impossible d’accuser l'alcool pour jeter le compliment aux oubliettes ; la salade bicolore a l’air beaucoup trop fière d’elle pour être imbibée de liqueur. Loin de cacher son irritation, Mathilde expire profondément avant de couiner un “merci” du bout des lèvres. Si l’intéressé n’ajoute rien de plus, il rayonne de satisfaction. La mâchoire de la gardienne se contracte. À chaque connerie qu’ils débitent, ces deux génies réduisent mon espérance de vie.

Une respiration.

Je ne vais pas finir l’année à ce rythme-là.

— Ah tu vois ? Je te l’avais dit que ça t’allait bien, chantonne Théo qui a décidé d’arrêter d’imiter les éoliennes.

— Parce que si Liam le dit, c’est la vérité universelle ? râle-t-elle en noyant sa peine dans ce qu’il reste de son verre de soda.

— Absolument, réplique l’autre.

Elle lève les yeux au ciel. Théo pouffe derrière sa main tout en tendant son poing au libéro. Ce dernier y cogne délicatement le sien, un sourire aux lèvres. Rectification : si je suis encore vivante à la fin de cette soirée, il faudra fêter ça.

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