23.1. Tout ou rien ?

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Un pas après l’autre, Mathilde se laisse emporter par la musique. Dans ce salon où résonne des musiques qu’elle ne connaît pas, où la moitié des invités sont déjà ivres, la sportive lâche prise. Les mélodies s’enroulent autour de son corps, les basses gouvernent ses pas et ses muscles se détendent. La main dans celle de Théo, elle s’abandonne lentement à son contrôle. Ses yeux se perdent parfois dans la douceur céladon des iris du passeur, parfois dans celle, caramel, de Liam qui ne perd pas son tendre sourire. Les doigts de la jeune femme se glissent naturellement entre ceux du libéro. Est-ce la fatigue, ses propres envies ou les étoiles dans les prunelles de Théo qui dirigent ses gestes ? Elle n’en a aucune idée. Son cœur bat un peu plus fort dans sa poitrine. Des fourmillements étranges parcourent l’intérieur de son ventre. Trop éreintée pour y accorder de l’importance ou accuser son rhume, la gardienne danse, enveloppée par la chaleur de ses deux partenaires.


Lorsqu’on apporte son gâteau d’anniversaire, Andréa lâche un petit cri de surprise. Un soupir s’échappe de la bouche de Mathilde. À quoi s’attendait-elle ? À ce qu’on se mette à brailler des chants de Noël ? Les mains toujours emmitouflées dans celles des garçons, la sportive se retient d’aller secouer la penne rosissante. Nan mais. Cette dernière souffle les bougies après avoir pris quelques instants pour faire un vœu. Si elle pouvait perdre son adhésivité pour sa dix-neuvième année, ça serait fantastique. Applaudissements obligent, la blonde se détache de ses coéquipiers pour rendre hommage à son pot de colle. Joyeux anniversaire, Andréa.

Puisses-tu me foutre la paix pendant les prochains mois.

Alors que Liam est désigné pour couper le dessert, Théo le suit en titubant, le regard fixé sur les bonbons mis en valeur par la pâtisserie. L’alcool ralentissant ses réflexes, la petite fleur bleutée manque de s’étaler sur le sol quand un ballon percé lui barre le chemin. Liam le rattrape immédiatement, un bras s’enroulant autour de sa taille. Un souffle de chaleur se dépose sur le visage de l’attaquante. Elle les observe se sourire. Leur regard scintillent à la lumière des bougies. Si proches, leurs lèvres bougent sans qu’elle ne puisse déchiffrer un seul mot. Le souffle de Mathilde se raréfie. Bordel.

Le spaghetti gluant est ravi de son nouveau pack propreté. Le cadeau déballé, elle tape dans ses mains, le rouge aux joues et les yeux brillants. Pendant qu’elle déballe chaque échantillon, elle casse les oreilles de Mathilde en répétant combien son invitée la connaît bien, combien elle est contente qu’elle soit venue à sa petite soirée. Un maigre sourire sur les lèvres, la gardienne se retient de ne pas lever les yeux au ciel. Pitié. Tirez-moi de là.

— Non mais regarde-moi ça ! Un shampoing à la myrtille ! C’est mon fruit pré-fé-ré ! Comment as-tu su ? C’est fou ! Tu me comprends par-fai-tement ! Je…

— Pour la douzième fois, Andréa, c’est un cadeau commun. Liam et Théo…

— Quoi ! s’écrie la brune, les yeux écarquillés. Liam et Théo ont aussi participé ? Mais quelle chance ! Un cadeau de ces beaux gosses ! Pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ? Je dois impérativement les remercier !

Sans laisser le temps à la sportive d’en placer une, le scotch de mauvaise foi fonce vers le passeur. Un soupir exaspéré. Pourquoi espérer une écoute attentive d’une pâte trop cuite ? Ça n’a pas d’oreilles, une pâte trop cuite !

Occupé à déguster son dessert, Théo ouvre des yeux terrifiés quand il voit la phobique de la sueur débarquer face à lui. Son regard vert trouve immédiatement celui de Mathilde. Si le désespoir avait un visage, il aurait sûrement celui du jeune homme. Pendant qu’il acquiesce poliment au discours débité par son interlocutrice, l’attaquante le voit se pencher discrètement dans sa direction. Les traits du garçon se plissent dans une grimace dramatique et ses lèvres forment un “Aide-moi” silencieux.

Elle arque un sourcil. Nope. C’est mort. Se penchant sur sa propre assiette, elle lorgne sa part de gâteau. Vingt minutes qu’elle tient ce trésor entre ses mains sans pouvoir en prendre un morceau ! Sa jambe enfin libérée du joug d’Andréa, elle a bien le droit à une petite récompense. Le sportif doit comprendre qu’elle n’a aucune intention de le sauver car il plisse les yeux tout en la menaçant de sa petite cuillère. Un sourire carnassier étire les lèvres de la gardienne. Chacun son tour !

Le répit de Mathilde est de courte durée. David l’attrape au détour du buffet et la présente à d’autres volleyeurs qu’elle n’a pas encore eu l’occasion de rencontrer. Fier de sa nouvelle recrue, le chef des anciens vante ses performances sportives, insiste sur la qualité de son analyse stratégique avant de souligner à quel point le trio qu’elle forme avec Théo et Liam fonctionne à merveille sur le terrain. Au secours. Elle essaye de nuancer les compliments de l’étudiant mais c’est peine perdue. “Je n’exprime que des faits” lui rétorque-t-il. Défaite, elle laisse David gonfler son ego. Espérons que ma grosse tête puisse passer les portes après ça !

Lorsqu’elle arrive enfin à s’extirper de cette conversation - hallelujah -, elle n’hésite pas un instant à rejoindre Théo. Installé sur le canapé, les yeux à demi-fermés, l’artiste a l’air d’avoir survécu à l’avalanche de colle. Hmm. Le traumatisme est peut-être moral. Elle prend place à côté de lui, son regard scannant le salon qui a commencé à se vider. Aucun signe de leur libéro ou du fusilli collant. Elle grimace. Sois fort Liam. Reviens-nous vivant.

— Ça y est ? Tu commences à dessoûler ? demande-t-elle en remettant une boucle blonde derrière son oreille.

Un grognement.

— Je ne suis pas soûl, râle le passeur en croisant les bras sur son torse. C’est la magie des fées, Mathilde. J’ai du mal à la gérer.

— Mes hommages à tes marraines. Quand prévois-tu de te piquer au fuseau d’un rouet ?

— Peux pas dire.

— Ah ?

— Eh oui. Je suis plein de mystères, la nargue-t-il en créant des vagues avec ses sourcils.

— D’alcool, Théo. Pas de mystères. Plein d’al-cool, soupire-t-elle, un petit sourire sur les lèvres. D’ailleurs, combien font deux plus deux ?

— Pff, pour qui me prends-tu ? Quatre.

— Et six fois huit ?

— Facile.

Une pause.

— C’est pas un nombre « Facile », rétorque-t-elle, dubitative.

— Ce n’est pas un nombre parce que tu ne le laisses pas l’être. Tu te rends compte que tu lui fais de la peine en présumant qu’il n’est… ?

— Arrête de gagner du temps, tricheur ! Six fois huit ?

— Mais euh ! C’est… Soixante- deux.

—Raté. Et de loin en plus.

Le volleyeur se liquéfie sur le canapé en poussant des gémissements plaintifs. Après avoir chouiné qu’il se fait honteusement martyriser par sa propre coéquipière, il pose sa tête sur l’épaule de Mathilde.

Elle se fige.

Les battements de son cœur s’accélèrent.

— Théo…

— Gnnnh.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Je colonise ton espace vital. Vu que t’as décidé de m’embêter avec tes calculs savants, t’as pas le droit de te plaindre si je t’utilise comme oreiller.

— Tu ne voudrais pas que je te cherche un verre d’eau ? propose-t-elle gentiment. Histoire de diluer toute la magie des fées dans ton sang ?

Sans réponse de sa part, elle essaye de se dégager. Un couinement geignard le lui interdit. Elle lève les yeux au ciel. Quelle diva celui-ci ! Un coup d'œil à sa montre. 1h37. Merde. Prenant soin de ne pas trop secouer le chat grognon à moitié endormi sur elle, Mathilde consulte rapidement son téléphone. Un juron s’échappe de sa bouche. Le dernier tram vient de passer. Oh meeeerde.

— Très cher passeur, pourriez-vous m’indiquer si vous avez la moindre idée de comment rejoindre votre domaine ? l’interroge-t-elle, un sourcil arqué.

— Voui.

Une pause.

Une pause très longue.

J’vais l’étrangler.

— Pourriez- vous m’en dire plus ? expire-t-elle entre ses dents.

— Ah mais c’est ça ! s’exclame-t-il en bondissant sur le divan. Je vais rentrer… en volant ! Eh oui ! La poussière d’étoile est très efficace de nos jours. Bon, c’est un peu pénible à récolter mais…

— Théo !

— Quoiii ? ronchonne-t-il, en s’écartant d’elle un instant. Pourquoi tu m’embêtes ? J’veux dormiiir !

Pendant qu’il retrouve sa place sur l’épaule de la jeune femme, celle-ci lâche un soupir exaspéré. Il ne risque pas de rentrer si je le trucide avant !

— Tu sais quel bus prendre ? insiste-t-elle. Ou s’il y en a un qui passe chez toi ? Parce qu’aucun tram ne circulera avant cinq heures du matin.

— Pourquoi rentrer à la maison ? Tu ne veux pas venir au Pays Imaginaire avec moi ? souffle-t-il, ses grands yeux verts plongés dans les siens.

Elle est si faible face à aux bêtises de son passeur. Chacune des interventions du garçon est teintée de stupidité et pourtant, une douce chaleur continue de se diffuser dans le torse de la jeune femme. Pourquoi me suis-je autant attachée à ce charmeur?

— Je ne sais pas si Peter Pan t’acceptera, chuchote-t-elle en détournant le regard. Tu es quand même très grand pour un garçon perdu.

— Je vais me faire tout petit. Tu vas voir ! Tout, tout petit. Puis je me mets dans la petite poche de ton tee-shirt et tada ! De toute façon…

Elle sent Théo se détacher d’elle puis l’entend gigoter un instant. Elle fronce les sourcils. Qu’est-ce qu’il….

— C’est impossible que je me perde avec toi ! affirme-t-il, en plaçant sa tête sur les genoux de la gardienne.

Alors que les cheveux bleutés du volleyeur s’étalent sur ses jambes, les joues de Mathilde s’enflamment. Elle n’est pas étrangère à un certain degré de proximité physique avec son passeur. Mais ce nouveau développement enveloppe son esprit d’une brume épaisse. Sans savoir où poser ses mains, elle se noie dans l’océan vert d’eau des iris du garçon. Son souffle se raréfie.

Puis, la fatigue submergeant ses craintes et effaçant une partie de ses inhibitions, la jeune femme reprend la parole comme sa poitrine n’était pas sur le point d’exploser :

— Si tu savais à quel point je suis une quiche en orientation, lui révèle-t-elle en s’adossant plus confortablement sur les coussins du divan. Je suis tellement nulle que j’ai toujours besoin d’allumer mon GPS pour aller à la fac.

— Moi aussi ! Mais c’est pas grave ! On emmène Liam ! sourit Théo en levant l’index.

— Qui te dit qu’il est meilleur que nous en orientation ?

— Aucune idée. Mais il nous le faut dans notre équipe, c’est certain ! C’est un pokémon ultra rare !

Elle ricane.

— Tu l’aimes bien, hein ?

Il se mord la lèvre puis acquièce timidement, une rougeur naissant sur ses pommettes.

Un petit sourire se peint sur les traits de la sportive.

Je crois que c’est réciproque.

Elle relève la tête et cache un bâillement derrière sa paume. Elle pourrait s’endormir en deux secondes si l’idée de rester dans l’antre de son pot de colle pour toute une nuit ne lui collait pas des frissons. Son regard suit les invités qui s’éclipsent de la soirée. Elle les salue vaguement de la main quand ils se tournent vers elle. Il serait temps que l’on mette les voiles, nous aussi. Elle jette un œil à la fougère assoupie. Un verre d’eau ne lui fera pas de mal avant le grand départ.

La mâchoire serrée par la concentration, elle glisse une main sous la nuque du garçon et se dégage aussi délicatement qu’elle le peut. Un gémissement plaintif. Elle se fige. Théo se recroqueville sur le canapé, ses doigts fatigués cherchant l’attaquante disparue. Oups. Quand son bras retombe mollement sur les coussins, Mathilde lâche un soupir soulagé. Quinze points pour Serpentard.

Elle traverse le salon, se faufile dans le couloir. Ce qu’elle y voit lui fait marquer un temps d’arrêt. Andréa et Liam. L’hôte de la soirée a la tête baissée, la lèvre inférieure tremblante. Figé devant cette dernière, le handballeur l’observe un instant puis pose une main sur son épaule. La brune se saisit immédiatement des doigts de Liam et les entremêle avec les siens. Son visage se plisse dans une grimace désespérée.

Merde. Une sensation désagréable s’éveille dans la poitrine de Mathilde. Alors que les yeux du libéro se posent sur elle, l’attaquante se presse jusqu’à la cuisine. Fais chier. Elle rafle un verre sur la table, ouvre le robinet et le remplit d’eau. Même si l’opération PAFF est sur la bonne voie, le génie qu’elle est a oublié une seule donnée. Une – putain – d’information. Liam n’est peut-être pas libre. Ses doigts se crispent sur le récipient. Bordel. La tête baissée sur ses pieds, elle fonce dans le salon. Sans accorder un seul regard au duo dans le couloir.

Accroupie devant Théo, elle le secoue un peu pour le réveiller. S’il râle un peu devant son insistance, il boit son eau d’un trait.

— Théo ? Attends, ne t’endors pas ! s’exclame-t-elle lorsqu’il fait mine de se rallonger. Je pense que je ne vais pas tarder à y aller. Est-ce que tu as un plan ? Ou tu vas…?

— Zut. C’est vrai, grogne-t-il, les yeux mi-clos. Il faudrait que j’y aille aussi. J’veux pas dormir ici, Mathilde. Il est pas du tout confortable ce canapé.

La sportive hoche la tête d’un air entendu. C’est parti. Elle l’aide à se lever et ils saluent le reste des invités encore présents. Théo tangue un peu sur le chemin mais sa main rejoint vite celle de la jeune femme qui devient la gardienne de son équilibre.

Mathilde atteint le corridor avec un poids inexplicable dans l’estomac. Les sourcils froncés, elle pose une main sur son ventre douloureux et jure à voix basse. Un rhume doublé d’une indigestion. Quel dieu ai-je offensé, bordel ? Les yeux fixés sur ses chaussures qui l’attendent près de la porte d’entrée, elle récupère rapidement son sac à dos et sa veste. Elle enfile ses baskets tout en veillant à ce que son passeur ne s’endorme pas sur les siennes. Pourquoi tu mets quinze ans à faire tes lacets, Théo ? Lorsqu’ils sont enfin prêts, elle se relève.

Son regard se tourne vers le couple au fond du couloir.

Un souffle.

Leurs paumes se sont quittées.

Les doigts de Théo se nouent aux à ceux de Mathilde. Une expiration, un sourire forcé sur les lèvres. Allez. On bat le boss de fin de niveau et on se barre vite fait, bien fait.

— Oh ! Vous partez déjà ? caquette le pot de colle en zyeutant leurs mains entrelacées. Il est encore tôt ! Vous êtes sûrs que…

Oui, coupe Mathilde, un peu plus durement qu’elle ne l’aurait voulu. On va y aller. Merci pour l’invitation, Andréa. C’était super.

— Merci ! Tu sais, tu es toujours la bienvenue ici ! s’exclame la brune en l’embrassant sur les deux joues - berk. Tu peux venir quand tu veux ! D’ailleurs, on pourrait même…

— Oui, oui sûrement. Je suis désolée Andréa, je suis fatiguée, l’arrête la gardienne en s’écartant avec peine de l’adhésif. On en parlera à un autre moment.

Elle lève la tête vers Liam. Son regard chocolat s’enroule autour d’elle et la respiration de Mathilde s’adoucit. Elle resserre sa prise sur la main de Théo puis tend son poing au libéro.

— Rentre bien, lui lance-t-elle poliment. Je ne… Pardon. On ne vous dérange pas plus longtemps.

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