23. 2. Rêve ou réalité ?

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Les sourcils du handballeur se froncent. Ses iris parcourent un instant le visage de l’attaquante et celui du passeur. Puis il prend la parole :

— Vous voulez bien m’attendre une minute tous les deux ? demande-t-il d’un ton ferme.

— Ne t’embête pas, réplique Mathilde. On va…

— Oh ouiiii ! On rentre avec Liaaam ! Comme ça, on ne se perdra pas !


Bordel, Théo.


— Tu ne sais plus où tu habites ? demande Liam, une lueur inquiète dans le regard.

— Alors là… Aucune idée ! pouffe le volleyeur avant de cacher un bâillement derrière sa main.


Elle lève les yeux au ciel. Tu es un boulet. Un boulet très chou, certes. Mais un boulet quand même.


— Sans rire, Théo, donne-nous ton adresse, insiste-t-elle en caressant distraitement la main du garçon de son pouce.

— Hmm… 8… 9 ? Rue de… Hmmm… Nope, je sais plus, assure-t-il, un grand sourire sur le visage.


Elle se pince l’arête du nez, réprimant un soupir exaspéré. Ce type est une menace pour ma santé mentale. Un coup d'œil vers Liam. Sans pitié pour le désespoir de Mathilde, le jeune homme ricane de tout cœur avec leur passeur. Une envie sévère de se taper le crâne contre un mur submerge la blonde. Achevez-moi.


— Vous pouvez toujours dormir chez moi ! propose Andréa, toute excitée. J’ai de la place ! On fera une super pyjama party, je suis sûre que…

— Non, non ! Je vais…, commence Mathilde en secouant le bras de Théo pour le maintenir éveillé. On va… On va trouver une solution.

— Et toi, Liam ? Tu sais où dormir ? s’écrie-t-elle en s’emparant de la main du sportif. Tu peux toujours…


Se dégageant fermement de la poigne de la phobique de la sueur, il lui sourit :

— Dans mon appartement. Je vais les accompagner, d’ailleurs. Mathilde et moi, on habite pas loin.


Un sourire.

Statut du boss de fin de niveau ? L’ego en mille morceaux.


Flawless Victory.


Pendant que Théo choisit ce moment précis pour jouer au désossé - bordel, je vais le tuer -, Mathilde manque l’éclair de jalousie traversant le regard d’Andréa. La gardienne rattrape son passeur avant qu’il ne tombe par terre et le stabilise sommairement en le soutenant par la taille.

— Liaaaam, chouine la fougère entre deux bâillements. Je veux dormiiiir.

— Oui, oui, ça va j’arrive.


Il doit y avoir un peu d’alcool dans le sang de Liam car il ébouriffe tendrement les cheveux de Théo en partant chercher ses affaires. Le visage du volleyeur s’illumine immédiatement. Alors qu’il se tourne vers Mathilde, un sourire satisfait sur la figure, elle lève les yeux au ciel, les commissures de ses lèvres se réhaussant. Charmeur, va.


— Prêts ? leur demande Liam en leur ouvrant la porte, son sac sanglé à son dos. Merci beaucoup Andréa ! Bonne nuit !


Occupée à maintenir leur passeur sur ses deux pieds, Mathilde agite vaguement sa main libre dans la direction de son pot de colle puis se concentre sur les escaliers. Théo se débrouille remarquablement bien dans sa descente des marches même s’il titube dangereusement sur certaines d’entre elles. Heureusement pour lui, être encadré par ses deux coéquipiers lui assure une arrivée sans encombre sur le perron de l’immeuble.


Un vent froid chargé de minuscules gouttes de pluie s’enroule autour des trois sportifs. Un frisson glacial remonte le long de la colonne vertébrale de la jeune femme. C’est noté, l’univers a décidé de me pourrir la vie !

— C’est quoi le plan ? demande Liam en zippant sa veste jusqu’au col.

— J’espérais que l’air frais lui remette les idées en place, lui révèle-t-elle en plongeant sa main libre dans la poche de son jean. Théo ?

— Voui ?

— Où est-ce que tu habites ?

— Sur la luuuuune ! répond-t-il, des étoiles plein les yeux. Vous avez vu comment elle est belle ? C’est là-bas, chez moi !


Un soupir.


— On ne va pas s’en sortir, râle la volleyeuse. Tu sais quoi ? On va aller chez moi, je vais…


Elle se mord la lèvre. Elle n’a pas de canapé, pas de lit double, ou de matelas gonflable. Son appartement est beaucoup trop étroit pour…

— Sinon… Venez chez moi, tente le libéro, les joues rougies par le froid. Il y a largement de la place.


Elle déglutit.


— C’est… C’est gentil à toi de proposer de nous héberger mais… Mais je peux rentrer chez moi si…

— Mathilde, l’interrompt le jeune homme aux cheveux bicolores. On sait tous les deux qu’il va paniquer s’il se retrouve seul et… sobre, face à moi demain matin.


Les yeux de la joueuse s’arrondissent. Elle ouvre la bouche pour défendre son passeur quand ce dernier s’effrondre de fatigue sur son épaule.

— Bordel de merde, siffle-t-elle en grimaçant sous le poids du joueur.


Liam s’accroupit devant elle.

— Je vais le porter.

— Tu es sûr ?

— Il va prendre froid si on marche à sa vitesse.


Aussi éreintée qu’elle est, Mathilde n’y réfléchit pas deux fois. Elle abandonne Théo sur le dos de Liam, place ses bras tatoués autour du cou de son porteur pendant que les grandes mains du handballeur agrippent l’arrière des cuisses de la belle au bois dormant. Une fois le koala sécurisé, elle lâche un soupir fatigué.

Ô Enki. J’espère qu’il ne te vomira pas dessus.


Alors que Théo se blottit contre lui tout en murmurant des paroles incohérentes, Liam arque un sourcil, un sourire amusé sur les lèvres.

— Pas de mal des transports avec moi, je ne suis pas un engin motorisé. Aussi… Enki ? l’interroge-t-il, intrigué.

— Ah ! grimace-t-elle, gênée. C’est quelque chose que mon grand-père dit souvent quand il est exaspéré. Ou quand je fais une bêtise, sourit-elle, une lueur espiègle dans le regard. Il ne m’a jamais expliqué la signification de ce mot mais… c’est resté.

— J’imagine que Petite Mathilde a un grand palmarès de bêtises à son actif, la taquine-t-il en lui faisant signe de tourner à droite.

— Encore une belle déduction, Sherlock.


Une étincelle complice scintille dans leurs iris. Puis Mathilde détourne la tête, se concentrant sur leur itinéraire. Leurs pas claquent sur le trottoir humide, une cadence parfois interrompue par les soupirs rêveurs d’une certaine fougère. À la grande surprise de la sportive, Liam connaît la ville comme sa poche. Il la guide à travers les rues, si bien qu’elle finit par ranger son GPS dans sa poche. Un fin limier ce détective.


— Tu es proche de ton grand-père ? demande Liam en desserrant légèrement l’étreinte de Théo sur son cou.

— Oh oui. Il… Il m’a pratiquement élevée, souffle-t-elle, ses souvenirs se jouant devant ses yeux. Quand j’étais petite, mon père était toujours en voyage pour des conférences scientifiques et ma mère n’était pas non plus particulièrement présente.


Elle baisse les yeux sur les pavés avant de continuer, la fatigue lui déliant la langue :

— Mon grand-père… a toujours été là pour moi. Il me rassurait quand mes parents nous annonçaient un énième déménagement, il m’emmenait faire des balades en forêt pour me changer les idées… Il me faisait découvrir notre nouvel environnement avec un entrain presque enfantin. Il avait toujours une blague stupide à me faire quand on était tous les deux.

— « Avait » ? Est-ce que…


Un sourire attristé.

Tu ne laisses rien au hasard, n’est-ce pas ?


— Après un temps, ma famille a fini par s’installer définitivement dans un petit village au sud d’ici. J’avais neuf ans à l’époque, murmure-t-elle. C’est à ce moment que la santé de mon grand-père s’est beaucoup dégradée.


Ses sourcils se froncent. Un pincement au cœur. Au fond de ses poches, ses poings se ferment.


— Il va… mieux ?

— Oui, oui, le rassure-t-elle à mi-voix. Même s’il est beaucoup plus silencieux depuis. Il y a eu… comme une cassure cette année-là. Je ne sais pas pourquoi. Mais…, hésite-t-elle, une vague de tristesse submergeant sa poitrine. Il n’est plus pareil. C’est idiot mais depuis j’ai… j’ai l’impression d’avoir perdu mon… Mon meilleur ami.


Elle inspire profondément puis lève la tête vers Liam. Son regard brun s’est assombri. Sa mâchoire, tendue. Elle lève un sourcil interrogateur mais le jeune homme la prend de vitesse :

— Ce n’est pas trop dur pour toi d’habiter loin de lui ? Il doit te manquer, avance-t-il en replaçant Théo un peu plus haut sur son dos.

— C’est vrai que j’aimerais pouvoir lui parler plus souvent, lui confie-t-elle en coinçant distraitement une de ses boucles derrière son oreille. Il a du mal avec les portables et… tout ce qui est technologique à vrai dire, ricane-t-elle en se souvenant des jurons que son grand-père a laissé échapper face à son nouveau téléphone. C’est donc assez complexe de communiquer à distance avec lui. Mais je vais le voir dans deux semaines. Quand j’irai chez mes… parents.


Elle inspire, réprimant une grimace. Ça va encore être une partie de plaisir ce truc-là. Elle tend le bras vers Liam pour réajuster la capuche de Théo et ranger une des mèches bleutées qui chatouille la joue du libéro. Ce dernier la remercie d’un clin d’œil.

— Ça va ? demande-t-elle, soucieuse. Tu tiens le coup ?

— Il est plus léger que je pensais. Mais tu sais quoi ? Je n’aurais jamais imaginé qu’il soit aussi volubile dans son sommeil, se moque-t-il, ses mains se resserrant sur les cuisses du passeur.

— Moi non plus, rit-elle. Faut croire que l’alcool amplifie sa capacité à déblatérer des bêtises. Déjà qu’elle est particulièrement affutée en temps normal.

— Certes. Mais il a l’avantage d’être mignon, sobre ou saoul.


Les joues de Liam se couvrent d’un rouge léger. Tiens ? Un sourire amusé se peint sur les traits de la sportive pendant que les fourmillements dans son estomac reprennent. Saleté d’indigestion.

Elle se racle la gorge avant de reprendre la parole :

— Et toi ? Tu vois souvent tes parents ?

— À peu près tous les mois, souffle-t-il. Ils ont pas mal de travail avec leurs serres et leurs champs alors je les aide quand je n’ai pas de match le week-end.

— C’est donc de là que te vient ton amour des plantes ?

— Peut-être.


Il sourit, un peu rêveur.

— J’y allais plus souvent l’année dernière avec mon… avec un ami. Mais ce n’est plus le cas maintenant.


La douleur déchire un instant le visage du garçon.

Le cœur de la jeune femme se serre.


— Il s’est passé quelque chose ? demande-t-elle, les sourcils froncés. Tu…

— Je… Je ne suis pas prêt à en parler.


Sans être sec, son ton, ferme, n’appelle aucune discussion. Merde. La honte colore le visage de la sportive qui se répand immédiatement en excuses :

— Je… je suis désolée, je… C’est sorti tout seul. Je…

— Mathilde, l’arrête-t-il en souriant. Ce n’est rien, ne t’inquiète pas. Je… Je porte encore les cicatrices de cette histoire. Je ne peux pas en parler aussi… librement que je le voudrais, grimace-t-il. Ne le prends pas contre toi.


Elle acquiesce, son regard parcourant le visage de son libéro. Sa mâchoire se contracte. Une sensation désagréable comprime la poitrine de Mathilde.


Que t’est-il arrivé ? Qui t’a blessé ?

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