23. 3. Ombre ou lumière ?

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Lorsqu’elle entre dans l’appartement de Liam, elle hausse un sourcil impressionné devant le nombre de plantes peuplant ces murs. De toutes sortes, elles envahissent les rebords des fenêtres, se suspendent au plafond et étendent leurs feuilles aussi loin qu’elles le peuvent. Une véritable jungle. Elle jette un regard au passeur endormi. Au moins tu te sentiras à la maison, petite fougère.


Ni une, ni deux, Liam et Mathilde déposent délicatement l’apprenti koala sur le canapé. Théo s’étend de tout son long sur les coussins puis pousse un soupir satisfait dans son sommeil. Le regard des deux coéquipiers encore éveillés se rejoignent et ils se retiennent d’éclater de rire.


Calmé, le libéro grimace, une main dans ses mèches bicolores :

— Bon, je n’avais certainement pas prévu qu’il s’étale autant. Vous pouvez vous serrer si…

— Je vais dormir par terre, l’interrompt Mathilde en réprimant un bâillement. C’est plus simple et ça m’évitera de me prendre des coups pendant la nuit.

— Tu es sûre ? Sinon je peux…

— Je ne suis pas une princesse, Liam, le rassure-t-elle d’un ton espiègle.

—Jamais je ne t’aurais mise dans cette case-là.


Un clin d’œil.

Le cœur de Mathilde manque un battement.



Liam lui indique la salle de bain, lui prête un tee-shirt et un jogging si jamais elle souhaite se changer et pose un oreiller et des draps près de la petite fleur endormie. S’ils déposent une couverture sur ce dernier, ils ne se font pas d’illusions. Il y a plus de chances qu’ils la retrouvent sur le sol que sur son corps le lendemain matin. Tss. C’est l’intention qui compte.

Une fois sortie de la douche et enveloppée de vêtement propres, Mathilde le remercie encore une fois :

— Tu n’étais vraiment pas obligé de faire ça… Je…

— Tu aurais galéré toute seule avec Théo dans cet état-là, assure-t-il en étouffant un bâillement. Vous êtes les bienvenus ici.


Il s’étire, un grognement s’échappant de sa bouche.

— ­Pardonne-moi, je suis vraiment fatigué, confesse-t-il gêné. Si vous avez besoin de quoique ce soit, ma chambre est au fond du couloir. N’hésitez pas.

— Ça marche. Repose-toi bien et… merci beaucoup.


Un sourire étire les lèvres du garçon. Il s’éclipse du salon et la porte de sa chambre se referme dans un claquement léger. Une expiration. Bonne nuit, Liam. Mathilde se glisse dans son lit de fortune après s’être assurée que son passeur ne lui tombe pas dessus au milieu dans la nuit. S’il se met à ronfler, je lui ferai gober des ananas tous les jours jusqu’à ses soixante ans.


Elle croise les bras sous sa nuque, son regard étudiant les ombres dessinées au plafond. Vêtue des habits de Liam, une douce odeur de cannelle se propage dans ses narines. Bordel, sa lessive est juste incroyable.

Comme dans le sweat-shirt de Théo ou sa propre tenue de soirée, elle se sent à l’aise dans les affaires de son libéro. Elle inspire. Le point commun entre tous ces tissus s’inscrit dans leur coupe. Ce sont des vêtements taillés pour des personnes masculines. Elle se mord la lèvre et jette un coup d’œil vers Théo. Il lui a assuré qu’elle ne devrait pas avoir de scrupules à s’habiller dans des boutiques conçues pour le sexe opposé.


Une expiration.


Même si les mots du jeune homme résonnent encore dans son crâne, une question lacère son cœur. Elle n’a jamais aimé porter des robes, des collants ou l’un de ces horribles bodys en dentelle. Rien qu’y penser me fout les jetons. Elle n’a jamais apprécié vernir ses ongles, se maquiller ou s’épiler les jambes dans l’espoir que quelqu’un reluque ses mollets trop pâles. Est-ce qu’affectionner ce genre de chose fait d’elle une femme ? Ou est-ce qu’au contraire… Ses yeux se baissent sur les renflements graisseux rattachés à son torse. Elle hait profondément ces trucs-là. Parce qu’ils sont lourds, parce qu’ils la gênent… Parce qu’ils sont aussi pratiques qu’une putain de balle dans le pied. Elle a toujours voulu s’en débarrasser. Toujours.

Elle inspire profondément. Ces arguments la font-elle basculer dans le genre masculin ? Ses doigts se posent sur ses joues. Avoir une barbe… Elle fronce les sourcils. Avoir une barbe, une voix grave ou un truc qui brinqueballe entre ses jambes ne l’attirent en aucune façon. À choisir, autant garder ces choses horribles sur la cage thoracique !

Soudain, les moqueries de Paul lui reviennent brutalement en tête. Dans l’avalanche de bêtises qu’il a pu débiter, une chose s’est ancrée dans l’esprit de la sportive. Elle n’est peut-être pas séduisante dans des vêtements fabriqués pour les hommes. Après tout, les fringues sont pensées pour mettre en valeur les corps de ceux pour qui elles sont créées. Alors… Elle déglutit. Si elle continue sur cette voie, sera-t-elle capable d’attirer qui que ce soit dans des habits qui ne sont pas conçus pour son sexe ? Est-ce que… quelqu’un la trouvera à son goût ? Devra-t-elle faire un choix entre ce qui la met à l’aise ou la perspective d’une relation avec quelqu’un ? Sa lèvre inférieure se met à trembler. Bordel.


Les feux bleus d’une voiture de police illuminent un instant les ombres sur le plafond. Les gouttes de pluie continuent de glisser contre les vitres de l’appartement.


Un reniflement.


Fille ou garçon ?

Dois-je choisir un extrême ou l’autre ?


Elle se recroqueville sur elle-même, un bâillement terrible déformant ses traits. Elle ne règlera pas ses interrogations ce soir. Elle n’est même pas sûre de se poser les bonnes questions. Elle lève les yeux vers la main de Théo qui a glissé du coussin et sourit dans son oreiller. Bonne idée. Un énorme dodo sera plus bénéfique qu’une trituration de méninges inexistantes. Ses paupières se ferment et elle plonge avec délice dans les bras de Morphée.


— Mathilde ? Liam ? croasse une voix endormie.


Les traits de la jeune fille se plissent tandis que le dieu des rêves la rejette violemment. L’univers adooooore me mettre des bâtons dans les roues, n’est-ce pas ? Elle inspire profondément. Bordel, quel échec.


— Je suis là Théo, chuchote-t-elle en agitant les doigts vers le canapé. On est chez Liam, tout va bien. Rendors-toi, tu es en sécurité.


Le volleyeur lui répond par un murmure incompréhensible. Si incompréhensible que la joueuse se demande s’il n’a pas simplement marmonné des trucs dans son sommeil.


— Mathilde ?


Je voulais dormir, Théo.


— Oui ? Bien joué, c’est toujours mon prénom.

— J’ai un goût… étrange dans la bouche. On dirait de… l’ananas.

—Ah bon ?

— Oui. C’est hyper sucré mais aussi… salé. Comme si on avait mélangé des trucs qui ne vont pas ensemble.

— Oh zut, fait-elle d’un ton malicieux. Quelle torture, quel supplice !

— Dis… Tu n’aurais rien à voir avec ça, n’est-ce pas ? demande-t-il entre deux bâillements. Tu n’aurais pas profité de mon état de faiblesse pour me faire ingurgiter des horreurs ?

— Quoi ? Moi ? Mais je n’aurais jamais osé !

— Ah ! C’est bien ce que je pensais… Tu n’es pas aussi retorse que dans mon rêve…

— C’est sûrement les brumes de l’alcool qui t’empâtent la langue, murmure-t-elle sans cacher son air fier. Ne t’inquiète pas, je suis certaine que d’ici demain cette saveur d’ananas ne sera qu’un lointain souvenir…


Gniark.

J'suis un génie. 

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