24. 1. Doux ou épicé ?

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— Mathilde.

— Nope.

— S’il te plaît.

— Nooope.

Une pause.

— Si tu me le dis, je promets de ne plus me moquer de tes goûts douteux. Ou de ta capacité respiratoire avoisinant celle d’un marcassin en fin de vie.

— Aoutch ! Et mon ego alors ? Je n’en sais rien ! Demande à Liam.

— Me prendrais-tu pour un escabeau à trois pieds ? Je lui ai déjà posé la question. Il s’est contenté de me sourire avant de changer de sujet aussi rapidement qu’un savon surfant sur un toboggan humide !

— Sacrée vitesse ! Tes vertèbres en carton doivent être jalouses, signale-t-elle d’un ton moqueur. Et son sourire… Tu as apprécié la vue ?

— Laisse-les en dehors de ça. Elles ne se sont pas remises de ton affront gustatif d’il y a deux semaines. Et oui, j’ai apprécié la vue.

— Ah tiens ? demande-t-elle, un sourcil arqué.

Le téléphone de Mathilde reste silencieux. Ce n’est pas un problème de réseau ; c’est Théo qui rêvasse aux beaux yeux de Liam. Comme ça peut lui arriver assez souvent. Elle lève les yeux au ciel, un léger sourire sur les lèvres. Retour à la réalité dans trois… Deux… Un…

— C’est pas la question ! rouspète la voix du passeur dans le combiné. N’essaye pas de me retourner le cerveau !

Gagné. Elle s’évente de sa main libre, refuse des demandes d’autographes imaginaires pendant que ses traits s’étirent de fierté. Quelle précision, Mathilde. T’es vraiment trop forte. Elle s’incline devant ses propres compliments, sans s’inquiéter d’un possible gonflement de ses chevilles ou de son crâne. Puis elle reprend la parole :

—Pour le retourner, faudrait encore que tu en aies un, Monsieur je-bois-trop-d’alcool-parce-que-je-suis-stressé-par-mon-sublime-libéro !

— Gnia gnia gnia. J’ai un beau cerveau, d’abord ! Il est magnifiquement bien rempli. Il est plein de couleurs et de soleil ! fanfaronne-t-il. Et puis, tu n’avais qu’à pas être en retard ! Si tu avais été là, j’aurais été moins stressé et beaucoup moins bu !

— Ah parce que c’est de ma faute si tu n’arrivais pas à parler à Liam sans bégayer ?

— Oui. Non. Argh ! C’est toujours pas la question ! Qu’est-ce que j’ai dit dans mon sommeil ? Quand il me portait ?

—Nan mais Théo ! Tu as vu ma taille ? Je suis grande mais vous êtes des géants ! J’ai rien entendu.

Le grognement du sportif caresse les tympans de l’attaquante. Ah, quelle douce mélodie. Elle écarte le téléphone de son oreille et ricane discrètement dans sa grande écharpe rouge.

— Tu sais quelque chose, tu l’as sous-entendu toute la semaine ! insiste-t-il. Je te tirerai les vers du nez ! T’en as plein les narines, ça grouille !

— Ma morve te passe le bonjour.

— Bonjour, Morve de Mathilde.

Un silence.

— Mathilde.

— Quoi ?

— Je vais te secouer jusqu’à ce que tu jures de ne plus manger de raclette de ta vie.

— Mais j’ai aucune idée de ce que tu lui as dit ! Tu étais perché sur son épaule à lui murmurer des trucs, qu’est-ce que tu veux que j’entende ? Si ça se trouve, tu lui as simplement chuchoté que mon intelligence dépasse largement celle des grands ce monde.

— Bien évidemment. J’en ai aussi profité pour lui dire à quel point je te trouve magnifique, ajoute-t-il, exaspéré. Il ne t’a rien confié avant que je me lève le lendemain matin ?

— Théoooo, chouine-t-elle. On en a déjà parlé ! Il n’a pas eu le temps ! Tu l’as remercié de nous héberger avant de te tirer de l’appart. J’arrivais à peine à te suivre !

La gardienne se souvient très bien de ce matin-là. L’odeur de viennoiseries flottait dans l’air, le soleil caressait son visage encore plissé par le sommeil. Elle s’est lèvée, le corps engourdi par sa nuit et a rejoint Liam dans la cuisine. Les cheveux en bataille, ses yeux noirs à demi-fermés, leur libéro finissait de se servir un verre de jus d’orange. Si elle avait eu envie de plonger dans ses bras pour retrouver la chaleur perdue de son lit de fortune, elle s’est retenue. Le jeune homme lui a souri et ébouriffé ses mèches blondes quand il est passé à côté d’elle pour aller arroser l’une de ses multiples plantes. Les joues de la sportive se sont colorées de rouge.

Avant que Théo ne se lève, elle a proposé à Liam un plan machiavélique : faire croire au passeur qu'il avait dit quelque chose d'embarrassant pendant son voyage sur le dos du handballeur. Ce dernier a grimacé à l’idée de mentir. Il s’est s’inquièté de la gêne et du stress que Théo ressentira à son réveil. Mais, au grand bonheur de Mathilde, il a fini par céder.

Théo est entré dans la cuisine quelques minutes plus tard. Le regard dans le vague, il a marqué un temps d’arrêt avant de s’installer sur une des chaises. Si ses yeux verts étaient encore voilés, ils se sont écarquillés d’horreur à mesure que ses deux coéquipiers lui ont raconté qu’il a dû être porté jusqu’à l’appartement de Liam. C’était à cet instant précis que Théo a compris où il était. Son expression s’est décomposée. Il a rougi furieusement puis bégayé des phrases sans queue ni tête. Son croissant à peine touché, il s’est excusé plusieurs fois avant de s’enfuir de l’immeuble, Mathilde sur les talons.

— Franchement, ta tête au réveil, je ne m’en remets toujours pas, se moque-t-elle en tirant sur son écharpe. Pauvre Liam, il avait cherché des petits-pains pour nous ! J’ai même pas pu croquer dedans ! C’est honteux !

— Si tu savais combien de fois je me suis excusé auprès de lui…, soupire-t-il au téléphone. Mais quand même ! Notre libéro a au moins la décence de ne pas me rappeler ces événements embarrassants dès qu’il le peut !

— Je savoure chaque occasion avec délice.

— Tu es un nuisible.

Elle explose de rire. Elle dérange sûrement les autres voyageurs mais, pour un samedi matin, le train est trop vide pour qu’on lui jette des regards en biais. Elle essuie ses larmes d’hilarité de sa main libre avant de reprendre son souffle.

— Vous vous êtes bien rapprochés depuis cette soirée, non ? demande-t-elle, un peu plus sérieusement. Je veux dire, tu ne bégayes plus, tu n’as plus peur d’être seul avec lui… C’est génial, tu dois être content de te sentir plus à l’aise avec notre magnifique starlette !

Théo ne répond pas mais elle imagine très clairement ses pommettes se couvrir d’un joli rouge. Un sourire sur le visage, Mathilde appuie sa tête contre la vitre. Les paysages défilent si vite devant ses yeux qu’elle en a presque le tournis. Le grondement du train sous ses pieds la berce et, pendant un temps, elle ferme les yeux.

— Tu sais…, commence-t-elle, ses doigts caressant distraitement le siège devant elle. Je pense que si tu lui demandais… il sortirait avec toi.

Elle inspire profondément. L’image des deux joueurs se tenant tendrement la main danse derrière ses paupières. Un sourire. Magnifiques. Une douce chaleur éclot dans sa poitrine mais son cœur se serre. Elle ne fera plus partie du tableau quand ils accepteront enfin qu’ils sont faits l’un pour l’autre.

— Je n’en suis pas sûr, Mathilde, hésite le passeur. Tu m’as raconté que tu l’avais vu avec Andréa à un moment… Et s’il sortait avec elle en secret ?

Urk. La sportive grimace. Depuis qu’elle a été témoin de ce moment dans le couloir, Mathilde a remarqué une chose sur son pot de colle. Le spaghetti gluant profite de chaque instant où Liam est seul pour venir se dandiner devant lui. L’attaquante lève les yeux au ciel. C’est presque ridicule – désespérant, oui - de la voir s’agripper au bras du handballeur avec sa bouche de merlu en cœur. D’ailleurs, Liam n’apprécie pas particulièrement l’attention de la phobique de la sueur. Il s’arrange toujours pour rejoindre Théo ou Mathilde le plus vite possible. C’est une stratégie plutôt efficace car depuis la soirée, Andréa n’ose plus s’approcher du trio. Oui, le vœu de la gardienne s’est exaucé : son pot de colle ne produit plus assez de glue pour s’accrocher à ses basques. Encore une belle victoire.

— Je pourrais lui demander à l’occasion, propose-t-elle en haussant les épaules.

— Quoi ?

— Si Liam sort effectivement avec Andréa en secret et qu’il veut bien me le dire, autant lui poser la question ! Pourquoi faire des suppositions si on peut avoir la réponse du principal concerné ?

Un soupir résonne dans les oreilles de Mathilde.

— Comment arrives-tu à être aussi directe ? Tu n’as pas peur ?

— Peur de quoi ? demande-t-elle en fronçant les sourcils. Tu sais tout comme moi que Liam ne ment pas, il a horreur de ça. Au pire, il me dira que ce ne sont pas mes oignons. Ah non, il n’aura sûrement pas cette expression, sourit-elle. Enfin tu m’as comprise ! S’il n’est pas avec elle, c’est top, s’il l’est…

La mâchoire de l’attaquante se contracte.

— S’il l’est, ça me ferait chier, crache-t-elle sans réfléchir.

— Ah ! ricane-t-il comme à chaque fois qu’elle devient grossière. Ça t’embêterait qu’il sorte avec elle ?

— Ouais… Vous êtes faits pour être ensemble. Mon ex-pot de colle n’a pas le droit de gâcher votre mariage !

Le rire de Théo s’enroule autour du cœur de la gardienne et elle ne peut s’arrêter de sourire.

— On se calme, Madame l’entremetteuse. Même si j’avoue que je serai un peu mal à l’aise, je suis sûr qu’on serait tous les deux contents de le savoir heureux, non ?

— Mouais.

— Mathilde.

— Bon d’accord ! Mais quand même Andréa… Pourquoi s’infliger une peine aussi sévère ?

— Fais pas ta serpillère oubliée au fond de la machine à laver. Tu le connais, il voit sûrement quelque chose en elle. Quelque chose que nos yeux de mortels ne peuvent comprendre, souffle-t-il. L’important, c’est que l’on puisse garder notre amitié. Je… J’aime bien être à ses côtés. Je me sens… compris.

Un gloussement s’échappe de la bouche de la sportive. Elle regarde les rares passagers sortir du wagon avant que les portes ne se referment dans un crissement agaçant. Je ne suis pas la seule à ressentir ça pour toi, Sherlock.

— Ne tirons pas de conclusions hâtives, mon cher Watson, tempère-t-elle en zippant sa veste jusqu’au cou. Nos neurones de crevettes ne supporteraient pas la surcharge de réflexion. Je lui demanderai s’il sort avec quelqu’un. Juste comme ça.

— Qui penses-tu berner avec tes techniques de taupe à lunettes ? Il est tellement futé qu’il va te griller avant même que tu n’ouvres la bouche.

— Mais non, mais non ! D’abord, j’suis hyper maligne. Ensuite, je vais tellement noyer le poisson qu’il n’y verra que du feu. Appelle-moi 007.

Le silence de Théo en dit long sur ce qu’il pense de ses compétences d’agent secret. Tss. Univers, plains-moi, je suis tellement sous-estimée. Elle attrape son bonnet et cache ses boucles sous la laine pourpre. Bordel, c’est un train ou un congélateur géant ?

— Maintenant que tu as fini de persécuter honteusement ton coéquipier - on va créer un groupe de parole avec Liam, cette situation n’est plus tenable -, je t’appelais pour savoir si Tarzan et son gorille de compagnie t’ont cherché des noises jeudi, au hand.

— Si tu avais été à l’entraînement d’hier, tu le saurais. Tss ! Heureusement que notre libéro est là pour me soutenir parce qu’on ne peut pas compter sur toi, clame-t-elle d’un ton de diva outrée. Espèce de fougère jaunie !

— Oh, comment t’es vilaine ! Tu sais très bien que je ne pouvais pas, j’avais un concert !

— Des excuses, toujours des excuses, soupire-t-elle en levant les yeux au ciel. Un concert le vendredi soir !  C’était quel groupe ?

— Le mien.

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