25.4. Eux ou moi ?

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Une tonalité.

Deux tonalités.

Trois tonali… clic.

— Mathilde ? Tu vas bien ?

La voix inquiète de Liam résonne dans les oreilles de la blonde. Elle sourit tandis qu’une vague de soulagement déferle dans son ventre.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

Théo vient de se joindre à la conversation. Son ton jovial s’enroule autour de la poitrine de Mathilde et elle se recroqueville sous sa couette protectrice.

— Je…, hésite-t-elle, chuchotant pour ne pas déranger sa mère dans la chambre d’à côté. Je ne sais pas si…

— Tu n’es pas obligée de nous confier quoi que ce soit, l’arrête brusquement son libéro. On ne veut pas te mettre mal à l’aise.

— Mais ! Je veux savoir, moi ! chouine Théo.

— Hm... Sacrée curiosité pour une fougère, observe l'autre jeune homme. Je me... le note. Je crois que j’aurais vraiment dû en disséquer plus en première année. Tu m’étonnes à chaque fois, Monsieur la Filicophyta.

— Qu’est-ce… Qu’est-ce que tu fais subir à mes semblables ? s’exclame le passeur, terrifié. Mathilde ! À l’aide ! Liam est un meurtrier !

— Attends, attends ! Ce sont mes professeurs qui sont allés les couper ! J’ai juste observé des… Bon oui, d’accord, selon ton point de vue, ce sont des… cadavres mais…

— MATHIIIIIILDE !

La main plaquée sur sa bouche, la gardienne tremble de rire dans son lit.

— Mais... Ô mère nature, qu’est-ce que ça crie les végétaux. C’est terrible, soupire l’étudiant en biologie. Théo, je me trompe peut-être dans mes conclusions ! Peut-être que tu n’es pas si curieux que ça et que tu es capable de laisser Mathilde se confier à son propre rythme.

— Sache que je suis toujours sage comme une image.

— Ah-ah ! Cette expression là, je la connais ! s’écrie Liam d’un ton victorieux. Mais... je n’y crois pas une seule seconde. Tu as encore bu, n’est-ce pas ?

— Mais arrêtez avec ça !

— Eh ! J’ai rien dit, moi ! proteste l’attaquante.

— C’est ça, oui ! Je t’ai pratiquement entendu le penser !

— Hm... Ça a des pouvoirs télépathiques, les épiphytes ? demande la voix intriguée du handballeur.

— Tu n’as aucune idée d’à quel point mes capacités sont terrifiantes ! Tremble, pauvre mortel ! Je vais venger mes amies fougères ! Et ça n’aura rien à voir avec le piège à l’ananas d’une certaine TRAÎTRE !

— C’était un éveil gustatif, Théo ! se défend Mathilde en chuchotant sous sa couette. J’y peux rien si tes papilles ont fui le pays !

— Toi, tu perds rien pour attendre! menace le sportif aux cheveux bleus. Mais pour l’instant, c’est Liam qui va fuir devant mon gourou !

— Ton… gourou ? interroge le détective. Attends. Tu es dans une secte ? Wow... Hm.... C’est plus grave que je pensais cette histoire de fougère.

— Je crois qu’il voulait dire “courroux”, répond-t-elle doucement. Sa langue a fourché. Peut-être parce qu’il est bourré.

— Pardon ? Fourché ? Il a… une fourche dans la bouche ?

— Maaaaaaaais ! Pourquoi vous m’embêtez comme ça ! Vous êtes aussi gentils que des radiateurs rouillés ! Je vais monter une association de défense des plantes vertes persécutées, vous allez voir ! Je l’appelerai… “le Refuge Lumineux des Végétaux Martyrisés par une Folle Ananassée et un Biologiste Meurtrier !”

— C’est très long.

— Sherlock a raison. T’es nul en acronyme. RLVMFABM, qui va retenir ça ?

— Moi ! Parce que je suis victime de votre maltraitance ! C’EST HONTEUX !

— Eh bien ! C’est vraiment pas de tout repos d’avoir une plante verte pour amie, constate le libéro. Celles qui se sont réfugiées chez moi sont assez tranquilles en fait. Sauf peut-être… Alberta. Et Jocelyne. Oui, elles aussi ont un caractère bien trempé !

Un souffle.

— Attends. Tes plantes ont des… prénoms ?

— Eh bien... oui ? Je ne suis pas un sauvage ! Bien sûr qu’elles ont des prénoms !

Mathilde explose de rire. Comment rester silencieuse avec ces deux-là au bout du fil ? Plus elle les écoute se chamailler, plus les événements pénibles de sa journée s’effacent.

— Mathilde ? Tu ne dis plus rien, observe l’inspecteur. Pourtant, Théo vient de dire une grosse bêtise.

— Comment ça, une grosse bêtise ? La magie, ça existe ! Comment aurait-on pu appercevoir des licornes un vingt-cinq décembre si c’était pas le cas ? Et d’où tu me balances ?

— Je…. Je…. Il y a beaucoup de choses qui sont inconcevables dans tes phrases. Mais tout d’abord, je suis chez mes parents, je ne peux pas te balancer ! D’ailleurs, on n’est pas sur une balançoire !

— Mais… Mais…. Ah oui. Premier degré. Hm hm. Monsieur le biologiste, l’expression “balancer quelqu’un”, ça signifie haïr quelqu’un du plus profond de son cœur, certifie Théo d’un air malicieux. En plus…

— Ça n’a aucun sens.

— Comment tu le saurais, espèce de savon de patinoire ?

— Tu as le même ton quand tu dis n’importe quoi ! Je te connais ! Espèce de… de… de passeur feuillu !

Le rire de Théo s’échappe du téléphone de la joueuse. Pliée en deux, elle essuie les larmes d’hilarité qui coulent sur ses joues. Ils vont me tuer. Soudain, la voix de Liam s’élève à nouveau :

— Et je suis pas un savon de patinoire !

Une pause.

— C’est quoi un savon de patinoire, déjà ?

Le corps secoué de spasmes, Mathilde rigole comme elle ne l’a jamais fait dans la maison de ses parents. Elle a mal aux joues, aux abdos mais elle n’échangerait ce sentiment de plénitude pour rien au monde. Oh, les gars, je vous…

— Bref, siffle le libéro. Mathilde ? Tu voulais nous dire quelque chose ?

— Bordel, hoquette-t-elle doucement. Si on pouvait allonger notre vie à chaque fou rire, j’ai le plaisir de vous annoncer que je viens de gagner cent ans d’existence. Je… Oh punaise… Je suis vraiment heureuse que vous soyez dans ma vie.

Ses yeux équarquillent, ses joues s’empourprent. Merde. C’est sorti tout seul. Avant que les garçons ne puissent en placer une, elle reprend la parole :

— Je… J’ai… passé une journée compliquée, aujourd’hui, bredouille-t-elle, les sourcils fronçés. Mes… parents ne sont pas… Disons qu’on ne se comprend pas. Je suis… Comment l’expliquer ? Je… Je suis “trop” pour eux. Je devrais me comporter plus… convenablement, je devrais être plus mesurée ou plus polie. Je devrais…

Elle inspire.

  • Je...

— Mathilde, la coupe Liam. Il n’y a pas de “devoir” ou de “trop”. Tu es toi. Tu m’entends ? Tu es toi. Et ça suffit entièrement. Je te l’ai déjà dit, tu es forte. Fière. Brillante. Ne laisse jamais personne te dire le contraire.

— Liam a raison, Mathilde. Tu n’as pas à changer pour qui que ce soit. Tu ne vis pas pour satisfaire les attentes de ta famille. Les choix que tu fais pour toi t’appartiennent et ne regardent que toi. Qui tu es n’est pas une question à laquelle les autres sont autorisés à répondre à ta place. Mais ça… Tu le savais déjà, n’est-ce pas ?

Elle entend presque le sourire de son passeur dans sa voix. Elle laisse échapper une respiration amusée.

Avec Théo, elle a brisé les chaînes qui la retenaient au sol. Elle a délivré cette Mathilde loufoque qui rit aux éclats sous les étoiles, qui n’a pas peur de parler trop fort ou de s’habiller confortablement.

Avec Liam, elle a déchiré ce bâillon qui l’empêchait d’exprimer ses peurs et ses doutes. Maintenant, elle peut briller de toutes ses forces sans avoir honte de ses faiblesses.

— Je... Je crois que oui.

Je ne sais pas encore qui je suis.

Mais je sais une chose.

Je ne suis pas seule.

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