26. 2. Esprit d'équipe

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— Oh ! Avec un tel regard, on pourrait presque croire que tu réfléchis.


Arrachée à ses pensées par le ton moqueur de Liam, elle lui tire la langue. Son rire s’enroule autour d’elle tandis qu’ un frisson remonte le long de son dos. Jurant tout bas dans ton écharpe, elle se tourne vers leur passeur en train de déméler ses cheveux encore humides. Elle sent son coeur s’accélérer et, pour contrer cette vague d’émotions qu’elle ne comprend pas, elle se racle la gorge :

— Couvre tes algues, toi, bougonne-t-elle en enfonçant ses poings dans les poches de sa veste. Tu vas attraper froid.

— Impossible, ma chère Mathilde. J’ai une astuce géniale pour ne pas tomber malade. Elle a été transmise de générations en générations. En effet, ma grand-mère la tient de son père, qui la tient de sa tante, qui la tient d’un type qu’elle a rencontré dans la rue un vingt-quatre juillet.

— J’ai comme un doute, siffle Liam d’un air sceptique.

— Moi aussi, tiens, renchérit Mathilde en leur tenant la porte du gymnase.

— Tout de suite de la méfiance ! Vous allez voir ! Pour déclencher mon super pouvoir, j’ai besoin de vous. Vous êtes prêts ? Faites-moi dix-sept compliments à la suite.


La sportive jette un coup d'œil complice au libéro. Il hoche la tête et se place lentement derrière l’autre joueur. Stratégie amorcée. Pendant qu’elle fait mine de réfléchir à la requête irréalisable de Théo, elle observe son associé sortir l’arme ultime de son sac de sport. Démarrage du plan dans trois secondes. Elle prend une grande inspiration. Trois , deux, un…


— Oh, Théo, regarde ! Un papillon qui fait de la lumière ! s’exclame-t-elle en pointant les étoiles.

— Quoi ! C’est vrai ? Où ça ? Où ça ?


Sans perdre un seul instant, elle se jette sur le passeur pour l’empêcher de se débattre. Muni du bonnet que Mathilde et lui ont acheté hier soir, Liam enfonce la laine multiculore sur la tête de leur victime. Oh, yes. Bien joué ! Leur méfait accompli, les deux brigants s’écartent d’un agile bond en arrière et se bouchent les oreilles. Ils ont déjà subi des discours terrifiants pendant lesquels le volleyeur s’est égosillé à leur répéter qu’il n’a pas une tête à chapeau et qu’il refusera de mettre quoi que ce soit sur ses beaux cheveux. Tch. Du dramatisme comme on en a rarement vu. Toutefois, avec le vent froid, les températures négatives et la compétition inter-départementale - la fameuse Nuit du Volley - la semaine prochaine, les deux handballeurs ne prendront pas le risque de perdre leur coéquipier aux affres de la grippe hivernale. Alors, craignant une explosion terrible, Mathilde grimace. Ses muscles se tendent en préparation d’une fuite pour sa survie. Je veux pas mourir, j’ai pas encore eu de raclette cette année !

Soudain, les yeux céladons du jeune homme s’arrondissent devant les trois énormes pompons qui pendouillent devant son visage. Son air outré s’efface, laissant la place à un grand sourire :

— Oh ! Il est tout doux ! ronronne-t-il en caressant les mailles piquées de fleurs tissées. Vous êtes en avance, Noël c’est dans un mois ! Merci beaucoup !

Il rabat les freluches colorées en arrière, ajuste le couvre chef sur son ses mèches azur puis les observe, son regard pétillant de malice :

— On en était où déjà ? Ah oui ! Les dix-sept compliments ! Alors, ça vient ?

— Arrête ton char deux secondes, fougère jaunie, proteste-t-elle, l’index levé. Tu nous fais pas un caca nerveux parce qu’on t’a mis quelque chose sur la tête ?

— Mais noooon ! Là, c’est différent !

— Ah bon ? demande Liam en fronçant les sourcils. Je peine à comprendre en quoi.

— J’ai jamais eu de bonnet avec des pompons ! Ce serait criminel de ne pas le porter, regardez comme il est génial, rit-il en faisant bouger les houppettes dans tous les sens.


Hein ? L’attaquante se tourne vers le libéro qui a l’air encore plus perdu qu’elle. Mais qu’est-ce qu’elle nous chante la plante verte, là ?

— Tu veux dire que tout ton laïus sur “j’ai pas une tête à chapeau”, c’était des conneries ? demande-t-elle en fermant sa veste.

— Mais non ! J’aime vraiment pas mettre des trucs sur la tête.

— Et ce bonnet, tu le portes sur tes fesses, peut-être ?

— Non mais… Argh. Laisse-moi clarifier les choses. Ce que je veux dire, c’est qu’un bonnet tu l’offres, tu ne l’achètes pas pour toi !

— Hmm. C’est vrai que tout est vachement plus limpide maintenant, soupire-t-elle. Qu’est-ce que t’en penses, Liam ?

— Je crois que mes capacités cognitives sont dépassées par les évènements, rétorque-t-il, un sourcil arqué.

— Quel exploit, Théo la débrouille. Tu as même réussi à faire bugger le détective avec tes histoires.

— Attendez, attendez.


Il leur fait signe de s’arrêter de marcher, réfléchit un instant puis reprend la parole :

— Dans ma tête, il existe une règle selon laquelle de s’acheter son propre bonnet, c’est super triste, déclare-t-il, très sérieux. On en offre à ses amis et c’est réciproque. Le problème, vu qu’en plus de ne pas être fan des trucs qui m'enserrent le crâne, on m’a toujours donné des bonnets… fades, simples. Je rêvais des bariolés, des illuminés etc… Donc, à force d’être déçu, j’ai fini par dire que j’aimais pas. C’est pareil pour vous, non ?

— Absolument pas, répond platement la gardienne.

— Nom d’une flûte bouchée, tu t’achètes tes propres bonnets ?

— Bien sûr que oui, rétorque-t-elle. Comme si j’allais laisser quelqu’un d’autre choisir la pièce de tissu qui va te rester en travers de la tronche pendant tout l’hiver !

— Tss. Mathilde Baryram, je te retire des points sur ta carte de savoir vivre. D’ailleurs, avec ton bonnet rouge sans âme là, tu ne perds rien pour attendre.

— C’est une menace, face d’haricot ? Je te préviens, j’ai des ananas dans mon sac.

— QUOI ? Comment oses-tu ! Je…

— Et celui que tu as sur la tête, interrompt le libéro d’un ton ferme. Il n’est pas… trop banal pour toi ?

— Tu rigoles ? C’est un chef d'œuvre, il est trop bien ! Regarde !


Un rire s’échappant de sa bouche, Théo secoue la tête dans un rythme endiablé. Les pompons colorés suivent le mouvement comme des astéroïdes fous gravitant autour d’une planète imprévisible. Ils s’écrasent le visage du volleyeur, manquent de peu celui de Liam et essayent d’atteindre Mathilde. En vain. Elle a fait un pas en arrière pour éviter les odieuses tentatives d’assassinat. Tch.

— Eh bien maintenant que tu es bien au chaud, rappelle-moi le plan, sourit Liam en marchant vers le campus. On va chez toi ?

— Oui, répond l’autre sportif, soudain tout rouge.

— Tu as tout ou faut-il qu’on aille chercher des choses au supermarché ?

— Oh non, j’ai tout prévu.

— Même les…

— Ouais.

— Ne t’inquiète pas, ça va bien se passer, murmure Liam, en posant une main sur l’épaule de Théo.

— J’espère, souffle-t-il.


Juste derrière eux, Mathilde hausse un sourcil. Puis un sourire carnassier se peint sur son visage :

— Vous parlez bien de notre soirée crêpes, hein ?

— Bien évidemment, réplique le handballeur. De quoi veux tu qu’on parle d’autre ?

— Oh, je sais pas, de se…


Elle n’a pas le temps de finir que la main de Théo se plaque sur sa bouche. Ses grands yeux verts la supplient de se taire. Je vois qu’on a pensé à la même chose. Elle lève les yeux au ciel avant de toucher la paume du garçon du bout de sa langue. Chochotte, va. Le passeur fait un bond en arrière, les joues cramoisies. Ignorant le feu dévorant sa propre peau, la sportive accélère l’allure pour marcher aux côtés de Liam :

— J’ai une bonne nouvelle pour vous ! J’ai amené du chocolat, des fraises mais aussi des ananas ! Avouez, vous êtes super contents !

— Comme si on avait besoin d’ananas pour une soirée crêpes, ronchonne l’algue bleutée.

— Bien évidemment qu’on en a besoin ! réplique-t-elle, outrée. C’est très bon pour la santé en plus d’être excellent pour le moral !


Théo lâche un grognement abattu tandis que Liam éclate de rire.


— Cette fixette est de plus en plus malsaine, soupire le volleyeur aux cheveux bleus.

— N’importe quoi ! Quand on a les papilles d’un bloc de polystyrène, on ne donne pas son avis sur ce fruit délicieux !

— C’est quoi la prochaine étape ? l’interroge-t-il, les poings sur les hanches. Enlever le droit de vote à ceux qui ne partagent pas ton amour destructeur pour le fromage fondu ?

— Peut-être bien, oui ! Le monde se porterait beaucoup mieux avec de la raclette tous les hivers ! Tu sous-estimes le pouvoir fédérateur de cette tradition !

— C’est toi que j’ai sous-estimé avec tes idées politiques complètement débiles !

— Débiles ? Pardon ? C’est du génie, oui ! se complimente-t-elle. C’est toi, l’idée débile !

— T’as vraiment la répartie d’un paradoxe temporel !

— Utilise pas des mots que tu connais pas !

— Vous avez fini, oui ? les coupe Liam, excédé. Où est-ce qu’on va ? Théo, c’est à gauche ou à droite ?

— Droite, siffle l’intéressé.


Le regard fixé sur son opposant politique, Mathilde plisse les yeux. Théo l’imite, se penchant légèrement sur elle. Un soupir exaspéré se diffuse dans l’air. Le libéro se place entre les deux joueurs, rompant leur épique bataille d'œillades. Obligée de rendre les armes, elle se redresse puis lève les yeux vers Liam :

— Ah oui, j’avais une question à te poser !


Liam arque un sourcil. L’étincelle agacée dans ses prunelles sombres la fait réfléchir à deux fois quant à l’intégrer à ses chamailleries avec leur passeur. Un rictus arrogant étire les lèvres de l’attaquante. J’ai une bien meilleure idée. L’air de rien, elle demande :

— Cher inspecteur, est-ce que tu sors avec Andréa ?

— Mathilde ! s’écrie la fougère.

— Quoi ? râle-t-elle. Qu’est-ce que j’ai encore fait ?

— Tu choisis vraiment ton moment, toi !

— Hein ? J’y pense maintenant, je lui demande ! Y a quoi de mal à ça ?

— Raaah ! Tu as la subtilité d’un lampadaire à détection de mouvement !


Elle lève les yeux au ciel. Tout de suite les grands mots !

— Alors ? reprend-t-elle en se tournant vers Liam.

— Qu’est-ce qui te fait penser ça ?


Prête à noyer le poisson dans une blague, le timbre grave de la voix du handballeur l’oblige à considérer sa question sérieusement. Elle fronce les sourcils avant de hausser les épaules.

— Simple curiosité. Je l’ai souvent vue accrochée à ton bras ces derniers temps. Et puis, vous étiez assez… proches à son anniversaire.

— Son anni… Ah. Oui. Je vois, grince-t-il entre ses dents.


Il lève la tête vers le ciel et son soupir caresse les étoiles. Ses iris marrons se fixent sur l’horizon tandis que ses doigts se crispent sur la bretelle de son sac de sport.

— Andréa… Je l’ai rencontrée dans un bar, à une soirée où toutes les équipes avaient été conviées. C’était au début de l’année, un peu avant que l’on se rencontre tous les trois, souffle-t-il, un faible sourire sur les lèvres. Elle… Elle avait l’air d’avoir besoin de parler. D’ouvrir son cœur à quelqu’un. Alors, je l’ai écoutée. Encore et encore. J’ai essayé de la conseiller du mieux que je pouvais. Elle a fini par… s’attacher. Trop. À sa soirée d’anniversaire, elle m’a… fait sa déclaration.


Mathilde grimace. Elle se penche discrètement vers l’avant, histoire d’attraper le regard de Théo. Il plisse les yeux, l’air de dire “fais pas de conneries”. Un sourire espiègle. Aie confiance, mon cher passeur. Elle se racle la gorge puis commence à sautiller autour des deux garçons :

— C’est là que tu lui as avoué ton amour inconditionnel, que vous vous êtes embrassés et que vous avez prévu de partir en voiture vers le soleil couchant ?

— Euh… non.

— Ah ! Peut-être plus sombre ? Ouuuuh, dark Liam, siffle-t-elle en haussant les sourcils à de multiples reprises. Tu l’as joué inaccessible, elle s’est effondrée en larmes et tu as fini par lui avouer du bout des lèvres que tu l’aimais depuis le premier jour ?

— Mais non ! contre le handballeur, confus.

— Ou alors ! s’exclame-t-elle en tapant dans ses mains. Tu lui as prévu une demande en mariage sous la neige, avec des verres de champagnes et un feu d’artifice en arrière plan.

— Mais pas du tout ! Qu’est que ce tu…

— Je sais ! J’ai craqué l’énigme. Tu devrais me passer ton badge d’inspecteur tellement je suis un prodige de la déduction. Tu vas aller la voir ce soir, lui proposer une lune de miel sur la lune et…

—Mathilde ! s’écrient les deux sportifs.


Elle sursaute, interrompant sa danse de la joie. Coupée dans son élan, elle ouvre de grands yeux innocents :

— Mais quoi ? demande-t-elle avec une voix d’enfant.

— Tu es insupportable, se lamente Théo, un sourire aux lèvres.

— C’est exactement pour ça que tu m’aimes !

— Nan. Pas-du-tout, siffle-t-il en remontant son écharpe sur ses joues rougies par le froid.

— Si !

— Nan !

— Si !

— Nan !

— Liam, il faut que tu inter…


Les mots de la jeune femme se perdent dans l’obcurité. L’air troublé du handballeur efface toute volonté de railleries. Son estomac se tord. Putain, Mathilde. Toi et tes gros sabots. Les yeux sombres du sportif sont fixés sur le lointain tandis qu’un pli s’est dessiné entre ses sourcils. Ses doigts tremblent légèrement sur la bretelle de son sac. Liam… Elle jette un coup d'œil à Théo. Un sourire inquiet sur les lèvres, il hoche la tête d’un air entendu. Ensemble, leurs mains se posent sur les bras de leur coéquipier.

— Liam ? souffle le passeur. Est-ce que ça va ?

— Je suis désolée, tente la blonde en secouant la tête. je n’aurais pas dû parler comme ça d’Andréa. Je…

— Je ne suis pas amoureux d’elle, souffle Liam d’une voix émue. Après… Après lui… Je ne peux pas, je ne suis pas prêt à… Mais… Vous, avec vous, je…


Le regard du handballeur passe de Théo à Mathilde sans savoir où se poser. Ses paupières se ferment un instant, sa machoire se tend. La sportive se mord la lippe. Les mots se pressent dans sa bouche sans qu’aucun son ne fasse vibrer ses cordes vocales. Enchaînée au silence, elle observe le pouce du sportif aux cheveux azur dessiner des plis sur la veste du libéro :

— Hey… Prends ton temps, murmure Théo.


Liam acquiesce doucement. Puis, levant la tête vers le ciel, il expire une respiration tremblante. Mathilde doit résister à l’envie de se blottir contre lui. Bordel. Elle voudrait lui donner le courage de se laisser aller aux sanglots qui font tressaillir sa poitrine, lui offrir la force de se libérer de ce poids qui pèse sur son cœur…

— Ne te force pas, ajoute la gardienne en resserrant sa poigne sur le bras du joueur. Applique tes propres conseils. Tu sais très bien que l’on respectera tes limites, que tu choisisses de nous parler de ce qui te préoccupe ou pas.


Un long soupir se fraie un chemin au travers des lèvres entrouvertes du jeune homme. Les volutes de vapeur s’envolent vers le ciel, confiant leur secret à la lune. Liam baisse le menton vers Mathilde, les yeux humides. Ses prunelles ténébreuses se promènent sur le visage de la gardienne avant de se tourner vers Théo. Les coins de sa bouche s’étirent tendrement :

— Vous êtes vraiment géniaux tous les deux, souffle-t-il. J’espère que vous le savez.

— Je crois qu’on s’en est rendus compte dès que l’on s’est rencontrés, déclare doucement Théo en faisant un d'œil à l’attaquante.


Le souvenir de leur absurde première discussion crée un doux sourire sur le visage de la sportive. Qu’est-ce qu’il nous a pris de parler de mes funérailles sans même avoir échangé nos prénoms ? Elle lui rend son œillade tandis que ses doigts quittent, à regret, le bras de Liam.

— Et tu t’es joint à nous pour relever le niveau, déclare-t-elle, espiègle. Heureusement, d’ailleurs ! Parce que j’ai du mal à la suivre, cette folle fougère, tellement il va loin dans ses délires. Et puis, n’y-a-t-il pas une expression qui dit “ jamais deux sans trois” ?

— Tu me demandes ça à moi ? sourit le handballeur, un sourcil arqué.

— Argh, tu m’as eue. Encore une preuve que tu es le cerveau du trio. On devrait presque te décerner le titre de passeur parce qu’à part pour le volley, Théo l’utilise pas beaucoup.

— Hé ! C’était gratuit ça !

— Parce que tu veux payer pour te faire insulter ? l’interroge-t-elle en singeant un certain libéro.

— Je suis admiratif devant ta capacité à offenser deux personnes en une seule phrase.

— C’est tout un art, mon Liam.

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