27. 1. Money time

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Les cheveux encore humides de sa douche rapide, Mathilde sort son portable de son sac de sport, clique sur le nom de sa meilleure amie avant de fourrer ses affaires sales dans le panier à linge.

Tut-tuuut.

Elle glisse sur son parquet jusqu’à sa chambre, jette son téléphone sur son matelas tout en maudissant son corps fourbu par la fatigue. Pourquoi j’ai pas séché l'entraînement d’aujourd’hui? Les deux autres génies se seraient très bien débrouillés sans moi !

Tut-tuuut.

Elle range les restes de son dîner en vitesse, exile ses baskets puantes de transpiration sur la terrasse puis se laisse tomber sur son lit avec un grognement épuisé. Je vais pas tellement pas assumer quand il va falloir se lever à trois heures du matin.

Tut-t… Clic.

—Mathhhh ! Ça fait longteeemps ! s’exclame le haut-parleur de l’appareil.

— Salut, Aïsha.

Allongée sur les draps, la sportive sourit. Elle pose son téléphone sur son torse, ses muscles courbaturés se tendent et elle réprime une grimace de douleur. Punaise, Théo, on a la Nuit du Volley demain ! Pourquoi tu as tenu à perfectionner nos enchaînements ce soir ?

— Oh ! C’est quoi cette petite voix ?

— C’est le son de ton portable qui est réglé au minimum, banane, rétorque la volleyeuse, en cherchant une meilleure position sur son lit.

— Et voilà, même pas dix secondes de conversation et je me fais déjà insulter.

Le rire moqueur de Mathilde résonne dans l’appartement. Elle croise les bras derrière sa tête après avoir ramené la capuche de son sweat-shirt sur ses boucles blondes.

— T’insulter ? Moi ? s’insurge-t-elle en prenant une voix outrée. Quelle horreur ! Jamais je ne t’infligerai ça, enfin !

—Tu peux te passer de ton petit ton sarcastique, Bayram. Je sais pertinemment que tu m’aimes bien même si tu es vilaine !

— Mouais, je suis pas sûre d'avoir envie d’une amitié avec une banane. Mais bon, j’ai appris récemment que tu aurais des vertus antioxydantes alors ça serait dommage de te jeter !

Le portable émet un long soupir. Quinze secondes avant le premier signe d’exaspération. Une moue de fierté naît sur le visage de l’attaquante. Encore un nouveau record pour la formidable Moi.

— Bon, comment ça se passe, ta vie ? reprend la voix d’Aïsha. Tes études t’embêtent toujours autant ?

— Ouaip. Aucun changement là-dedans.

— Ah, Math. J’ai vraiment espoir qu’avec le temps, elles finissent par te plaire. Mais bon, passons. Tu t’es fait des potes dans ta fac ? Je sais que tu ne feras pas d’efforts avec Nina et Vanessa mais tu as sûrement rencontré des gens qui ne sont pas des clichés de ta branche ! Ils sont comment ? Sympas ?

— Ils sont… euh… Loin, j’imagine ?

— Maaath !

— Mais quoiii ?

— T’as essayé au moins ? De te faire des amis qui te rassureraient dans ton choix de carrière ?

La volleyeuse se racle la gorge, soudainement très intriguée par une imperfection gâchant la blancheur du plafond. Oh mince, c’est dommage ! Une tache…

— Ouais, d’accord. Je vois le genre.

— Contente que tu changes de sujet ! sourit la sportive, un doigt en l’air. Il y a une chose qui s’est améliorée depuis septembre : je me suis acheté des nouveaux habits !

— C’est… super ?

La voix de la guitariste est chargée d’hésitation, d’incompréhension. Mathilde se redresse sur son oreiller, trouvant soudainement sa posture inconfortable. Alors que le silence gagne du terrain sur leur conversation, elle fronce les sourcils et insiste :

— Des habits dans lesquels tu n’as pas l’habitude de me voir ! râle-t-elle en levant les yeux au ciel.

— Ah ! Tu t’es enfin décidée à t’acheter un sweat-shirt pour me rendre le mien ?

— Tu rêves ! En fait, je…

— Ça fait combien de temps que tu le retiens en otage, hein ? Tu prends soin de lui au moins ?

— Mais oui, ne t’inquiète pas ! s’impatiente la gardienne d’un ton brusque. Il est au fond de mon armoire, bien au chaud avec mes tee-shirts troués par les mites ! Ce que je veux dire, c’est que j’ai totalement changé de style vestimentaire !

— Ah bon ? Tu as décidé de te déguiser à partir de maintenant ?

La blonde se mord la lèvre pendant que le rire de l’artiste éclate dans ses oreilles. Tch. Ses doigts triturent les lanières de son pull. Ça ne passe pas.

Qu’espérait-elle au juste ? Aïsha ne peut pas comprendre. Un grognement remonte dans sa gorge. Sa meilleure amie l’a vue évoluer au collège, au lycée, dans un style parfaitement habituel aux filles de leur âge. Elle expire profondément. Pourquoi s'attendre à ce qu’Aïsha saisisse son questionnement intérieur sans que Mathilde n'ait besoin de l’exprimer ?

La volleyeuse ouvre la bouche puis la referme. Est-ce qu’elle doit le dire ? Est-ce que c’est quelque chose qu’elle peut révéler ? Sa machoire se contracte.

— Math… ?

— Ouais, je suis là.

— Je t’ai vexée ? Si c’est à propos du sweat-shirt, tu peux le garder. J’ai fait une croix dessus depuis longtemps, plaisante Aïsha, gênée.

— C’est pas ça, je…

Est-ce que tu as envie d’en parler ? Le souvenir de la voix de Liam retentit à l’intérieur de son crâne. Elle se revoit assise dans la cuisine d’Andréa, sa main glissée dans celle du handballeur, les joues striées de larmes parce qu’un pauvre débile a décidé d’exposer sa propre connerie au monde. Tu n’es pas obligée d’en parler, si tu ne te sens pas prête.

Ses poings se serrent. Elle s’assoit sur son matelas. Son cœur cogne fort dans sa cage thoracique. Un regard vers son téléphone qui a glissé sur les couvertures. Je crois que… Elle inspire profondément. Je crois que j’ai besoin qu’elle sache qui…

Qui j’ai besoin de devenir.

— Aïsha…, commence-t-elle d’une voix plus douce. C’est peut-être un peu bizarre pour toi mais… Je ne me suis jamais sentie… à l’aise dans les soutifs, les robes, les collants. Tous ces trucs, ces trucs que… que l’on attend des filles. J’y… arrive pas. Je n’aime pas ça. Juste… Non. Je ne peux pas. Je ne peux plus.

Un souffle.

— Tu… Mais au lycée, tu as toujours…

— Je suivais ce que ma… mère me disait de mettre, répond Mathilde, les yeux humides. Je suivais son avis parce que rien ne me faisait envie dans ce genre… de vêtements. Je croyais que c’était une souffrance pour tout le monde et qu’il fallait faire avec, qu’il fallait s’y habituer. Mais…

Des images de Théo avec ses tenues pleines de couleurs, ses tatouages et ses inimitables cheveux bleus s’invitent dans son esprit. Tu n’es pas obligée de subir qui tu es. Un frisson. Tu peux revendiquer ton identité, la crier au monde. Le sourire du jeune homme réchauffe la poitrine de la volleyeuse. Ou la garder dans ton cœur, la chérir secrètement de toute ton âme. Elle se remémore cette première soirée avec son passeur, allongée sur l’asphalte à ses côtés, les étoiles étincelant au-dessus d’eux.

Mais ton identité ne dépend en aucun cas de l’avis des autres.

— Pourquoi…, murmure Aïsha. Tu ne m’en as jamais parlé, je…

— Je ne savais pas… qu’il existait un autre chemin que celui que ma mère a rêvé pour moi, grimace la sportive, les yeux baissés sur ses genoux. Je ne savais pas que j’étais autorisée à mettre des vêtements amples, à opter pour des brassières au lieu d’endurer cette lingerie inconfortable, à choisir des habits… masculins au lieu de ceux pensés pour ma morphologie. Théo…, souffle-t-elle, un doux sourire naissant sur son visage. Théo m’a fait m’interroger sur l’importance de barrières que je m’étais posées. Pourquoi ne serais-je pas… admise dans les boutiques pour hommes ? En quoi cela signifierait-il quelque chose de particulier ? Pourquoi ne pourrais-je pas me vêtir selon mes goûts, qu’ils soient plus tournés sur le masculin que le féminin ?

Une pause.

— Je n’ai pas encore posé de mot sur… tout ce qui se passe en moi. Je ne me sens pas femme, je ne me sens pas homme non plus. Aïsha… Je… Je ne veux pas que tu me trouves étrange ou juste en manque d’attention, je…

— Math, non. Tu es ma meilleure pote. Je te suivrai au bout du monde si tu me le demandais. Tu es qui tu es et c’est tout. Je t’aime, Math, quoi qu’il arrive. Rien ne changera ça. L’important, c’est que tu te sentes bien dans ta peau. Peu importe ce que les gens pensent ou disent. Maintenant, est-ce que tu te sens à l’aise dans ce que tu portes ?

— Je… Oui.

Ses mains caressent le tissu de ce pull trop grand pour elle. La matière coule entre ses doigts, caresse sa peau sans la coller, enserre son corps sans l’étouffer. Son pouce effleure le petit arc-en-ciel brodé juste au-dessus de son cœur. Théo… Un sourire. J’espère que tu continueras à me guider vers ma confiance en moi.

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