29.2. Cinnamomum

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Un élastique entre ses dents, le passeur glisse ses doigts entre ses mèches azur, les yeux fixés sur le sol. Une fois sa chevelure enroulée dans un chignon délicat, il relève la menton. Puis son regard vert d’eau rencontre celui du libéro. Le souffle de Liam se perd dans la nuit. Sublime.

— Hey, sourit Théo en s’approchant de son coéquipier. Tu es un peu en retard pour suivre le cours du mardi. Qu’est-ce que tu fais dans le froid, à cette heure ?

Un tremblement dans la voix, une légère crispation de machoire… Les sourcils du scientifique se froncent. Est-ce de la… tristesse qu’il lit sur le visage du volleyeur ? Qu’est-ce que…

— Tu cherches sûrement Mathilde, murmure le guitariste en baissant le menton. Elle… Elle n’est pas venue ce soir.

— Oh ! Elle…

— Je n’ai pas de nouvelles depuis dimanche. Quelques réponses courtes mais pas plus.

Liam plisse les yeux. Mathilde… Pourquoi ce brusque changement de comportement ? Ses pensées le guident vers leur conversation sur le toit de l’internat. Ses dents se serrent. A-t-elle du mépris pour lui maintenant qu’elle connait son passé ? Pire ! A-t-elle compris la nature de ses sentiments pour elle ? Ses iris bristrés étudient Théo tandis que les hypothèses continuent d’affluer dans son esprit. Il observe la courbure de ses long cils, les poils de barbe qui recommencent à pousser sur son menton, les arabesques d’encre s’entremeler sur le côté gauche de son cou.

Sans qu’il ne s’en rende compte, ses doigts se posent sur la joue de Théo et replacent une mèche rebelle derrière son oreille. La peau du passeur s’enflamme sous sa paume. Liam recule d’un pas, plongeant sa main dans la poche de son pantalon cargo. Restons à l’écart. La tête baissée pour masquer ses joues rougissantes, il grimace. Par Rosalind Franklin, comment obtempérer quand tout mon être me crie de l’embrasser ?

— Est-ce que ça te dirait d’aller boire une bière ? lui demande le handballeur, une fois le coup de chaud passé. Ou manger quelque chose ? Il y a une pizzeria pas très loin d’ici.

Le regard de Théo parcourt le visage de Liam, s’arrête sur lèvres et l’étincelle illuminant ses prunelles s’éteint. L’artiste lui sourit d’un air gêné :

— Je… Pas ce soir. Je vais rentrer chez moi prendre une douche et… commencer les travaux que je dois rendre cette semaine. Je… je n’ai pas beaucoup bossé depuis ce week-end.

Liam acquiesce, sa déception dissimulée au fond de lui. Théo le salue brièvement avant de prendre la direction du campus. Ses épaules s’affaissent à mesure qu’il s’avance dans la rue. Le libéro se mord l’intérieur de la joue. Devait-il courir après lui ? Lui proposer encore une fois de discuter ? Il te répondrait la même chose. Un soupir. Mathilde… s’il te plaît. Prends soin de ton âme sœur.

Alors qu’il observe Théo partir, Liam sent un regard posé sur lui. Il tourne la tête vers le gymnase. Accompagnée par Dana, Andréa lui sourit timidement puis lui adresse un signe hésitant de la main. Il n’a pas parlé à la jeune femme depuis sa soirée d’anniversaire, il ne l’a pas non plus vue pendant la Nuit du Volley. Il incline poliment la tête. Est-ce qu’elle s’est rendue compte qu’elle n’était pas amoureuse de lui mais qu’elle avait simplement besoin d’un véritable ami ? Faudrait-il que… Son flot de pensées s'amenuise. Dana vient de prendre la main de la brune. Il hausse un sourcil. Peut-être que quelqu’un l’a compris avant elle.

— Oyé ! Oyé ! N’est-ce pas le champion venu rendre visite à ses pauvres sujets ? Viens-là, toi !

L’ordre de David n’a pas fini de faire vibrer ses tympans qu’un bras musculeux tombe lourdement sur ses épaules. Liam serre les dents. Aïe.

— Qu’est-ce que tu fais là ? demande le chef des anciens en le secouant. T’as pas l’air en forme. On va manger un bon avec l’équipe, ramène tes fesses ! Ça te fera du bien !

— Non, je vais…

— Oh ! Salut Liam !

Une main ébouriffe ses cheveux. Le libéro lève les yeux au ciel. Il n’apprécie pas être supris de la sorte et Mikaël le sait. Ô Théophraste, sauvez moi.

— Alleeeez ! insiste le central. Viens boire un verre avec nous !

— On ne peut pas boire quelque chose de solide !

— Roh, ça y est, il recommence ! s’indigne une voix féminine.

Quel est le proverbe déjà ? Ah oui. “Jamais deux sans trois.” Juliette surgit à leurs côtés, les traits plissés dans une moue exaspérée. Son regard détaille rapidement Liam avant de se tourner vers l’horizon. Elle lève la main vers les étoiles et, comme un général ordonant à ses troupes d’avancer, elle abat son bras :

— On y va, bande d’idiots ! La starlette a besoin d’une grande bière !

Tintements de verre, chevauchement de voix à intensité multiple, notes de musique électronique… Liam ferme brièvement les paupières pour essayer d’atténuer les sons qui l’assaillent depuis qu’ils se sont installés dans ce bar. Ses doigts se referment sur sa pinte de moût d’orge fermenté. Pour quelles raisons a-t-il accepté de se rendre ici ? Ses yeux se posent sur David et Mikaël. Leur hamburger ingurgité, les deux joueurs conversent inaudiblement, leurs visages bien plus proches qu’à l’accoutumée. Liam hausse un sourcil et se tourne vers Juliette, une question silencieuse dans le regard. Est-ce qu’ils… La volleyeuse lui sourit malicieusement mais se garde bien de répondre. Liam expire un souffle frustré avant de noyer sa curiosité dans la mousse de sa boisson alcoolisée. La petite rousse ricane trop fort à son goût, il n’aime pas la fierté qui brille dans ses iris bruns.

Une fois qu’elle a fini de gausser, elle boit une gorgée de son cocktail puis se tourne vers lui pour lui détailler le cours de génétique moléculaire qu’elle a suivi lundi après-midi. Les lèvres de Liam s’étirent. En première année de master de biologie, la sportive a bien plus d’expérience, de compétences que lui. Elle lui recommande souvent des publications scientifiques, des ouvrages, des conférences à suivre. Leur rencontre, l’année précédente, lui avait fait l’effet d’une bouffée d’air frais. Un esprit brillant ainsi quune intelligence émotionnelle. Tout l’inverse d’Arthur et son groupe. Au fil des mois, elle avait peu à peu pris la place d’un mentor à ses yeux. Sans elle dans l’équipe, il n’aurait peut-être pas eu le courage de s’inscrire au volley universitaire. Et sans cela, il n’aurait pas pu faire la connaissance des deux personnes qui occupent la plupart de ses réflexions.

Il inspire profondément tandis que son esprit se nourrit des informations rapportées par l’étudiante. En plus de réussir à détecter quand quelque chose le préocupe, Juliette a toujours su quoi faire pour lui remonter le moral. Rediriger ses pensées fluctuantes vers son principal centre d’intérêt constitue sa principale stratégie. Aussi s’affaire-t-elle à débattre avec lui du discours disparate du professeur Brunk. Combien de fois cette tactique a-t-elle fonctionné ? Plus de fois que tu ne l’avoueras jamais.

Lorsque Juliette conclut que le professeur de biologie cellulaire ferait mieux d’ouvrir un bouquin plutôt que de raconter des énormités, le calme règne à nouveau dans la tête de Liam. Enfin. Il passe une main fatiguée sur son visage et s’accoude sur la table collante. Espérons que mes neurones modèrent leur activité jusqu’à ce que je rentre chez moi. J’aimerais pouvoir dormir cette nuit.

Un coup d’épaule.

Une grimace agacée plissant ses traits, il rencontre à nouveau le regard de Juliette.

— Mieux ? demande-t-elle, arquant un sourcil.

Liam acquiesce, un sourire léger sur visage. Satisfaite, elle se saisit de son verre, vide son cocktail en quelques gorgées avant de s’essuyer la bouche avec sa serviette. Puis elle fait le tour de la table et s’assoit sur la banquette où sont postés les deux anciens. Ayant cessé leur conciliabule depuis un certain temps, ces derniers se tournent vers elle, intrigués.

— Gardez la starlette et mes affaires à l'œil, ordonne-t-elle en se penchant vers eux. Je vais danser ! Amusez-vous bien !

Sur ces paroles, elle dépose un baiser sur les lèvres de Mikaël, puis sur celles de David. La machoire de Liam se décroche, ses yeux s’écarquillent. Pardon ? Alors qu’une avalanche de questions surgit dans l’esprit du libéro, la biologiste lui jette une œillade amusée puis s’en va se déhancher sur la musique. Stupéfait, le hanballeur la regarde disparaître dans la foule tandis que ses prunelles circulent entre le chef des anciens et son second. Ai-je rêvé ?

— Qu’est-ce que…

— Oh, David ! Regarde sa tête.

Mikaël éclate de rire pendant que le cerveau de Liam extrait toutes les données concernant les trois volleyeurs. Il passe en revue ses propres souvenirs à la recherche d’un indice qu’il aurait manqué. Il avait remarqué la promité entre David et Mikaël mais jamais il n’aurait pensé que Juliette fasse partie de… De quoi exactement ? Liam lève la tête vers le Capitaine des Renards qui ricane dans sa barbe naissante. Au vu de l’étincelle dans son regard, David ne divulguera rien sans que le scientifique ne pose une question. Alors, ce dernier se lance :

— Qu’est-ce que c’était, ça ? Vous êtes ensemble ?

— C’est plus compliqué que ça, sourit Mikaël en passant ses doigts dans ses longs cheveux noirs.

De son côté, David se gratte le menton, son expression pareille à celle qu’il arbore quand il vient de piéger un adversaire. Liam lève les yeux au ciel. Par Leonhart Fuchs, vas-tu parler ? Comme s’il lisait dans ses pensées, le brun ouvre la bouche :

— C’est pas aussi compliqué que ça en a l’air. Mika et moi, on sort ensemble depuis quoi… ? Deux ? Trois ans ?

— Quatre ans, soupire l’intéressé. C’est pas parce que tu fais un master en sciences du sport qu’il faut oublier comment compter !

— Roh ça va ! râle l’ex-rugbyman. Monsieur Je-sais-tout ici présent et moi, on s’est avoué notre amour inconditionnel depuis un certain temps. Et…

— Quatre ans, je t’ai dit. Enfin, mille trois cent cinquante huit jours pour être exact.

— C’est noté, Newton. Je peux continuer de parler ou tu vas m’interrompre toutes les deux secondes ?

— Non, je prends le relai, réplique Mikaël en secouant la tête. Tu es trop peu précis pour que notre histoire soit vraisemblement relatée. Donc ! Après qu’on se soit mis ensemble sérieusement, on a rencontré Juliette. On était en deuxième année de licence à l’époque. Et, lors d’une soirée un peu… arrosée, il y a eu…

— Des galipettes ! s’exclame le chef des ancians, tout sourire. Ouaiiiiis !

— David ! Ne sois pas cru, la starlette va tomber dans les pommes.

Cru ? Des pommes ? Liam fronce les sourcils. Quel est le rapport entre un vignoble et un manque d’équilibre ? D’ailleurs, ne préfère-t-on pas le raisin pour la fabrication du vin ?

— Quoi qu’il en soit, reprend Mikaël sans détailler son histoire de pommes, on a continué à se voir. On s’est habitué les uns aux autres. Certes, quand elle n’est pas là, il manque quelque chose mais on est aussi heureux d’avoir nos moments à deux. Juliette garde une place privilégiée dans nos cœurs tout en restant libre de sortir avec d’autres personnes. Qui sommes-nous pour limiter la liberté amoureuse de quelqu’un ?

Le central ose un clin d'œil à Liam avant de laisser ses iris dériver vers Juliette. Ses traits s’adoucissent lorsqu’il la repère, flammèche dansante au milieu des inconnus. Le libéro observe le souffle de Mikaël s’apaiser, ses paupières s’affaisser légèrement et ses doigts caresser le bracelet doré qu’il porte au bras gauche. Un sourire discret se dessine sur les lèvres du handballeur. Tu l’aimes profondément, n’est-ce pas ?

— Ce qui compte c’est qu’on soit tous les trois contents et qu’on parle souvent de nos envies relationnelles ou sexuelles. C’est tout, déclare David en haussant les épaules. Chacun fait ce qu’il veut de ses fesses. Nous, c’est comme ça qu’on fonctionne et c’est parfait.

Liam réprime un rire devant le regard abattu de Mikaël. Ce dernier se tourne vers son petit-ami, faussement exaspéré :

— T’es vraiment un ours, toi.

— Exactement, réplique l’insolent en finissant sa bière. Mais un ours très content.

David pose sa tête sur l’épaule de l’étudiant en physique avant de l’attaquer à coup de chatouilles. Le volleyeur sursaute, une exclamation de surprise s’échappant de sa bouche. Après quelques secondes de combat acharné, il réussit à s’extirper des grandes mains du brun et prétexte une envie pressante pour s’enfuir rejoindre Juliette sur la piste de danse. Les deux sportifs s’enlacent, ignorant la langue tirée du chef des anciens. Soudain, ce dernier reporte son attention sur Liam. Le jeune homme aux cheveux bicolores déglutit avec difficulté. Hooke, à l’aide. Va-t-il me proposer d’intégrer son harem ?

— Bon, Liam ! s’exclame David en tapant du point sur la table. Toutes ces histoires d’amour, c’est bien joli mais il y a beaucoup plus intéressant ! Est-ce que ça te dirait de faire une soirée déguisée samedi soir ?

— Non.

— Alleeeeez !

— J’aime pas les masques !

— Il n’y aura pas de masques ! ronchonne le brun. De toute façon, c’est pas toi qui choisis ton déguisement. Eh ouais ! Tu le tires au sort !

Liam lève les yeux au ciel :

— C’est censé me rassurer ?

— Tu vas venir, t’as pas le choix.

— Étant en pleine possession de ma liberté d’aller et venir, je peux t’assurer que j’ai le choix.

— Mathilde m’a déjà dit qu’elle viendrait.

Liam serre les dents. Bigre. David hausse brièvement les sourcils avant de s’affaler sur la banquette, les bras croisés. La fierté qu’il affiche ne plaît pas du tout au biologiste. Liam lève le menton d’un air de défi. Tu ne m’auras pas avec ta tactique bancale.

— D’ailleurs, continue le Capitaine des Renards en regardant ses ongles, Théo m’a aussi fait savoir qu’il serait de la partie.

Echec et mat. Dépité, Liam laisse tomber son crâne sur la table. Fichu stratège. Il cogne son front sur le bois pour éliminer les neurones qui ont cru pouvoir l’arracher d’un jeu où David possédait clairement deux cartes maîtresses. Renard à la noix. Il se redresse, la machoire tendue.

— Très bien, siffle-t-il d’un ton ferme. Mais pas de costume stupide. Sinon tu peux dire adieu à ta Nuit du volley l’année prochaine !

— Ouaaaaaaaaaais ! Vendu !

Tocard de goupil.

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